Le droit au bonheur : réalité et domaines.

Par Amos Maurice, Docteur en Droit.

1895 lectures 1re Parution: Modifié: 4.22  /5

Explorer : # droit au bonheur # droits de l'homme # Épanouissement personnel # responsabilité de l'État

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Cet article traite de la notion du "Droit au bonnheur", sur sa réalité juridique et les domaines publics ou privés dans lesquels il pourrait s'appliquer. Si ce droit n'est pas explicitement défini, il trouve son fondement dans plusieurs instruments régionaux ou internationaux.
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Certains auteurs présentent le bonheur comme une affaire privée qui ne dépend que de la volonté, des efforts et du travail de l’individu. D’autres pensent qu’il est à la fois une affaire tant publique que privée. Il y en a aussi qui jugent que l’État ne doit pas intervenir dans les questions relatives au bonheur ou qu’il ne saurait exister de droit au bonheur. Cet article vise donc à apporter quelques éclairages supplémentaires sur la réalité et les domaines publics ou privés du droit au bonheur.

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Le droit au bonheur n’est ni un mythe ni une utopie. C’est un droit mixte relevant tant du droit public que du droit privé que toute personne peut faire valoir devant une juridiction de droit public ou de droit privé de son pays. Ce droit trouve son fondement dans plusieurs instruments régionaux ou internationaux, notamment la Charte des Nations Unies [1], la DUDH [2], le PIDCP [3], le PIDESC [4], la CESDHLF [5], la Charte de Genève des Nations Unies sur le logement durable [6], la Charte sociale européenne (ratifiée par 27 pays européens) [7], la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) [8], la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme de 1948 (préambule, 1er paragraphe).

Les États signataires ou ayant ratifié la Déclaration de 1992 de Rio sur l’environnement et le développement [9], de même que la Déclaration du 4 décembre 1986 des Nations Unies sur le droit au développement, se sont aussi, implicitement, engagés à garantir le droit au bonheur, sur le fondement des composantes du droit au développement. Ils ont pris ainsi l’engagement de garantir : 1) la quête incessante du bien-être collectif et individuel, qui suppose la quête du bonheur ; 2) la répartition équitable des richesses en leur sein, pour permettre à toutes et à tous d’en bénéficier dans les meilleures conditions possibles ; 3) la participation libre, active et significative du public aux affaires qui le concernent ; 4) les libertés et droits fondamentaux nécessaires à l’épanouissement de la personne humaine.

Ce droit peut être revendiqué en France [10], comme dans tout autre État de droit, sur le fondement tant de la législation nationale que des instruments régionaux ou internationaux des droits de la personne. Tous les pays s’y obligent par leurs textes constitutionnels ou fondamentaux, même si certains le garantissent mieux que d’autres. Certains le constitutionnalisent, explicitement, à l’instar de la France, des États-Unis d’Amérique, du Bhoutan [11], du Brésil [12], du Japon (Const.- art. 13), de la Corée du Sud (Const. - art.10) et autre.

D’autres fondamentalisent en utilisant les termes équivalents de droit au bien-être (Const. suédoise - chap. 1er, art. 1er), de droit au bien-être maximum (Constitution de l’Ouzbékistan - art. 14 et 20), de droit au développement, de droit au libre développement de sa personnalité (Constitution du Gabon - art. 1er), de droit à l’épanouissement intégral ou total ou au plein épanouissement [13], à l’exemple de l’Indonésie (Const. - préambule et art. 33.3), de l’Irlande (Const.- art. 45 (1)), de la République populaire de Chine (Const. - art. 42**) et du Vietnam (Const. - art. 16). Il y en a aussi qui garantissent le droit au bonheur en offrant de larges possibilités à tout citoyen ou à toute citoyenne de participer aux affaires publiques ou d’influer sur les décisions les concernant personnellement, à l’instar des pays nordiques et de la Suisse.

Le droit au bonheur est consacré par quasiment toutes les Constitutions ou Lois fondamentales nationales, soit explicitement ou implicitement (notamment en posant les conditions déterminantes du bonheur ou qui garantissent le droit au bonheur, sans relater le terme de bonheur ou de droit au bonheur). Le bonheur étant le résultat de plusieurs objectifs ou buts, la plupart de ces textes fondamentalisent justement ces objectifs ou buts qui permettent de le réaliser sans le relater. Le droit constitutionnel n’étant pas d’interprétation stricte, il appartient ainsi aux femmes et hommes de lois et aux philosophes du droit de remonter à la terminologie, à l’exégèse et à la finalité de certaines normes constitutionnelles, pour pouvoir y identifier les équivalents terminologiques et les dispositions implicites du droit au bonheur.

Pour accomplir son rêve de bonheur, tout individu humain doit nécessairement faire ce qui dépend de lui. C’est un impératif. Cependant, l’accomplissement de ce rêve dépend en grande partie de l’État ou de l’autorité publique. L’État ne peut pas procurer le bonheur, mais lui seul peut créer ou garantir les conditions et moyens fondamentaux nécessaires au bonheur collectif et individuel. Le bonheur est impossible en l’absence d’un bon gouvernement pour en garantir les moyens ou les conditions de base qui le déterminent ou le favorisent, pour paraphraser Félicien Lemaire [14] et Thomas Jefferson [15].

Si l’État ne rend pas le territoire, l’environnement, les espaces et les personnes qui y vivent propices au bonheur, il est impossible pour un individu humain d’avoir durablement le bonheur. Si l’État n’intervenait pas dans l’éducation des citoyennes et citoyens pour les rendre suffisamment cultivés, civilisés, humains, réceptifs du bonheur, compréhensifs, susceptibles de contribuer au bonheur d’autrui et de réagir positivement aux signes de bonheur, ç’aurait été un rêve impossible, pour paraphraser Nicolas Condorcet [16] et Laurent Pendarias [17]. Il en serait de même si l’État ne garantissait pas à chacun les droits, les libertés, les sentiments de paix, de sécurité, de sûreté, de confiance, de justice…, des services publics satisfaisants et les possibilités de jouissance heureuse des biens matériels et immatériels.

Toute personne dont le malheur ou la violation du droit au bonheur est imputable à l’État peut d’ailleurs intenter une action en responsabilité de l’État, soit du fait des lois, de l’absence de lois, du fait des institutions et services publics ou autre, sur le fondement de son droit au bonheur. Toute personne dont le droit au bonheur est violé ou menacé peut exercer un recours en réparation des préjudices liés à son bonheur ou en prévention des risques en rapport avec son bonheur. L’État s’oblige également de diverses façons, explicitement ou implicitement, à garantir le bonheur collectif et individuel.

Le fait pour lui de ne pas honorer cette obligation peut engager sa responsabilité de diverses manières. L’État garantit également le droit au bonheur, en créant des moyens pour des victimes d’obtenir réparation pour des préjudices de jouissance, d’affection et de plein d’autres en rapport avec le bonheur.

L’auteur de cet article a écrit sur cette thématique l’ouvrage "L’obligation étatique de bonheur".

Docteur en droit public (Université de Poitiers)

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Notes de l'article:

[1La Charte des Nations Unies (art. 55 [c] et autres) impose aux États l’obligation de promouvoir le respect universel et effectif des droits et libertés de la personne humaine auxquels ils se sont engagés, y compris le droit au bien-être et les autres droits et libertés impératifs pour le bonheur collectif et individuel.

[2Presque tous les articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) renvoient au droit au bonheur, plus précisément aux conditions déterminantes du bonheur. De plus, l’article 8 de cette déclaration stipule : « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».
Tous les pays qui ont adhéré à la DUDH ont ainsi une obligation de bonheur, de même que de garantir le droit au recours lorsque le droit au bonheur est violé ou menacé. L’article 22 de la DUDH reconnait aussi un droit au développement personnel. Par ailleurs, les stipulations de l’article 26 (2) de la DUDH prévoient que « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Or, le droit à l’épanouissement de sa personnalité humaine ou à son développement personnel inclut le droit à des possibilités pour améliorer sa qualité de vie, réaliser ses aspirations et ses rêves (y compris celui de bonheur), s’épanouir affectivement, relationnellement, professionnellement…

[3En son préambule, le PIDCP reconnaît que l’idéal de l’être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques, et libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si les conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sont créés.

La création de ces conditions relève de la compétence de l’État. La garantie des droits civils et politiques est aussi une des conditions fondamentales déterminantes du bonheur.

[4Les stipulations de l’article 13 du PIDESC renforcent celles de l’article 26 (2) de la DUDH, en consacrant que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les États qui ont adhéré au PIDESC se sont aussi engagés à garantir le droit au bonheur, en ayant consenti à respecter et à faire respecter en leur sein l’ensemble toutes les conditions déterminantes du bonheur consacrés aux articles 6 à 15 dudit instrument.

[5Comme bien d’autres instruments juridiques régionaux ou internationaux, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDHLF) ne relate pas le terme de droit au bonheur. Cependant, le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (consacré en son article 8), de même que le droit de pensée, de conscience et de religion, sont bel et bien des conditions qui garantissent le droit au bonheur. Il en est de même du droit à la protection de la propriété privée consacré au Protocole numéro 1 additionnel à la CESDHLF.

[6Selon le paragraphe 16 de cette charte, la politique du logement devrait tenir compte de ce qui touche au bien-être émotionnel (soit au bonheur) de chaque personne. Commission économique des Nations Unies pour l’Europe, Charte de Genève des Nations Unies sur le logement durable/Garantir à tous l’accès à un logement convenable, de qualité adéquate, abordable et salubre.

[7Charte sociale européenne, CDE, 1961, Entrée en vigueur : 26 février, 1965 ; Signée par 32 pays, ratifiée par 27 pays. Cette charte est signée par 32 pays et ratifiée par 27 d’entre eux. Ces pays signataires sont : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Ex-République Yougoslavie de Macédoine, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie et Ukraine (voir https://www.whatconvention.org/fr/ratifications/176).

[8Cette constitution se donne pour but le bonheur des peuples, tout en définissant la santé comme un état de complet de bien-être physique, mental et social.

[9Cette déclaration reconnait notamment le droit à la satisfaction équitable des besoins relatifs au développement, c’est-à-dire le droit à la quête incessante du bien-être, à la jouissance équitable des richesses nationales, à la garantie des conditions nécessaires à l’épanouissement de l’être, à la participation libre, active et significative. Le droit à la participation est, en quelque sorte, un corollaire du droit au bonheur. En participant aux affaires publiques qui le concernent, l’individu humain a ainsi la possibilité de faire valoir, a priori, son droit au bonheur et d’éprouver, du même coup, un sentiment de satisfaction. En réalité, les peuples les plus heureux, selon le rapport du bonheur mondial de 2023, sont ceux qui jouissent effectivement et efficacement de tous leurs droits de participation politique et citoyenne.

[10Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 (préambule) ; Constitution française de 1958 (article Préambule) ; préambule de la Constitution de 1946 ; Charte de l’environnement...

[11Const.- art. 9.2 et 20.1.

[12Constitution fédérale du Brésil - art. 6 (voir Ementa no 19, de 2010) ; Jurisprudence constitutionnelle du Brésil : Brasil. Supremo Tribunal Federal, 2ª Turma, rel. Min. Celso de Mello. Acórdão nos autos do Ag. Reg. no RE 477.554/MG. Brasília, 16.08.2011. DJe de 26.08.2011 (cité dans Teresa de Jesus Candeias, 17 juillet 2023, Droit au bonheur : constitution et interprétation des tribunaux.

[13Constitution de la République démocratique du Congo - art. 14, 51 et 53 ; Constitution de la République du Bénin - art. 8 et 9.

[14Félicien Lemaire. ”Le bonheur, un principe constitutionnel ?”. Aux confins du droit : Mélanges-Hommage amical à Xavier Martin, Presses universitaires juridiques de Poitiers, LGDJ-Lextenso éditions, pp.271-284, 2015, 979-10-90426-47-4. ffhal-02561569f.

[15Pour Thomas Jefferson, « The care of human life and happiness is the only legitimate object of good government », cite in World Happiness Report (WHR) 2023, p. 21.

[16Condorcet qui a réclamé, dans ses Cinq mémoires sur l’instruction publique une Instruction publique pour le peuple. D’après Condorcet, l’ignorance (ou l’absence de connaissances et de compétences) constitue un obstacle à la liberté et la capacité à faire ce qu’on veut ; elle entraîne les gens dans la dépendance en empêchant ainsi l’indépendance. Si l’État n’intervenait pas dans l’éducation de ses citoyennes et citoyens, ç’aurait une jungle ou un État de nature.

[17Selon Laurent Pendarias, on pourrait exiger de l’État qu’il s’occupe de notre bonheur en s’occupant notamment du système éducatif, car une instruction publique et gratuite à l’ensemble du peuple permet à tous d’obtenir un diplôme et un travail et de s’assurer individuellement les conditions de leur bonheur. Voir Laurent Pendarias, L’État doit-il s’occuper de notre bonheur, Posted on janvier 18th, 2012, https://laurentpendarias.com/2012/01/letat-doit-il-soccuper-de-notre-bonheur/

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