Au cœur du dispositif pénal des mineurs : rencontre avec la Directrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Au cœur du dispositif pénal des mineurs : rencontre avec la Directrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Propos recueillis par Nathalie Hantz
Rédaction du Village de la Justice

10690 lectures 1re Parution: Modifié: 4.92  /5

La Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse est un service du Ministère de la Justice en charge de la justice des mineurs ; un sujet très médiatique - souvent polémique - pour une direction qui œuvre elle plutôt dans l’ombre et ne se met pas souvent sur le devant de la scène. Pourtant la PJJ prend en charge 170 500 mineurs chaque année, compte environ 1 500 structures de placement et de milieu ouvert, et plus de 8 000 agents (dont la moitié sont des éducateurs). A la tête de cette direction, on trouve de 2017 à 2020 une ancienne magistrate, Madeleine Mathieu, qui entend faire changer le regard de la société sur les jeunes pris en charge par ses services. L’occasion également de mieux faire connaître les missions de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Le Village de la Justice l’a interviewée.

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Village de la Justice : Pouvez-vous, en quelques mots, nous expliquer le rôle et les fonctions de la PJJ ?

Madeleine Mathieu : "La Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) est la direction du Ministère de la justice chargée de l’ensemble des questions intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce titre. Le cœur de mission de la PJJ est l’action éducative dans le cadre pénal. Il s’agit d’éduquer, de protéger et d’insérer dans la société les mineurs en conflit avec la loi. L’objectif est bien sûr également de lutter contre la récidive.

Il s’agit d’éduquer, de protéger et d’insérer dans la société les mineurs en conflit avec la loi.

La protection judiciaire de la jeunesse propose son expertise éducative au juge des enfants et met en œuvre ses décisions. Elle assure la prise en charge de mineurs qui lui sont confiés dans ses établissements publics et ceux du secteur associatif habilité, dont elle contrôle la qualité. Elle conçoit les normes et les cadres d’organisation de la justice des mineurs, y compris en protection de l’enfance, en liaison avec les services compétents. Elle assure, par ses propres services ou par ceux qu’elle habilite, la mise en œuvre des mesures d’investigation éducative au civil comme au pénal.

La PJJ est également, depuis 2017, en charge du pilotage de la politique judiciaire de protection de l’enfance."

En tant que directrice, lesquelles vous tiennent particulièrement à cœur ?

"Les missions de protection et de traitement de la délinquance des mineurs sont indissociables. C’est d’ailleurs ce que traduit la double compétence des juges des enfants, au civil et au pénal.

La restauration de la confiance en l’adulte est le préalable indispensable à toute recherche de désistance.

En effet, les mineurs que nous prenons en charge au pénal ont très souvent connu des situations de danger, voire bénéficié d’une procédure de protection de l’enfance. La connaissance de la psychologie de l’adolescence, des besoins essentiels des enfants et des traumatismes de la petite enfance est indispensable pour garantir une prise en charge de qualité des jeunes confiés, afin qu’ils puissent se restaurer en tant qu’individus et mettre un terme à leur parcours de délinquance. Pour être efficace, l’action éducative au pénal doit associer fermeté et bienveillance, la restauration de la confiance en l’adulte étant le préalable indispensable à toute recherche de désistance."

Son parcours.

Titulaire d’une maîtrise de droit privé et diplômée de l’Institut d’études judiciaires de la Cour d’appel d’Orléans, elle a été nommée auditrice de justice en 1980.

Juge au tribunal d’instance elle a ensuite exercé les fonctions de juge des enfants (1989), puis de juge d’instruction chargée du droit pénal général et des mineurs au tribunal de grande instance de Bobigny (1995).

Vice-Présidente chargée de l’application des peines au tribunal de grande instance d’Évry en 2000 puis au Tribunal de grande instance de Paris, elle a été nommée sous-directrice des missions de protection judiciaire et d’éducation à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse en 2005.

En mai 2008, elle devient conseillère à la Cour d’appel de Paris puis Présidente de chambre à la Cour d’appel de Versailles.

Madeleine Mathieu a pris ses fonctions de Directrice de la protection judiciaire de la jeunesse le 13 février 2017.

Comment le travail de la PJJ s’articule-t-il avec celui des autres services du Ministère ?

"Nous travaillons très régulièrement avec les autres directions du ministère concernées par la justice des mineurs. La direction des services judiciaires bien entendu, qui organise les juridictions et en particulier en direction des mineurs. C’est par exemple dans ce cadre que nous avons travaillé ensemble afin de cerner les moyens humains supplémentaires nécessaires pour mettre en œuvre et accompagner la réforme. Cela a conduit la garde des Sceaux à décider l’attribution de moyens supplémentaires dès le budget 2020, avec 70 postes de magistrats, 100 postes de greffiers et une centaine de postes d’éducateurs supplémentaires.

Nous travaillons également avec la direction des affaires criminelles et des grâces en ce qui concerne l’évolution du droit, ou encore l’inspection générale de la justice qui propose son expertise pour accompagner cette réforme majeure. Nous échangeons régulièrement avec la direction de l’Administration pénitentiaire en ce qui concerne la détention des mineurs, ou encore avec le secrétariat général du ministère, qu’il s’agisse de questions statistiques, de la coordination des actions de recherche ou encore de l’évolution des systèmes d’information.

C’est un travail transversal au sein du Ministère qui est mené sur le sujet de la justice des mineurs.

Comme vous pouvez le constater c’est bien un travail transversal qui est mené sur le sujet de la justice des mineurs au sein du ministère, et même au-delà puisque nous travaillons également régulièrement avec les autres ministères qui peuvent être concernés par nos sujets, comme le Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, ou celui des solidarités et de la santé."

La rentrée a été marquée notamment par la réforme de la justice des mineurs prévue par la Garde des Sceaux : que vous inspire à ce jour ce projet ?

"Ce projet me semble être le gage d’une justice plus réactive pour une réponse éducative plus efficace.

Les principes qui régissent la justice des mineurs y sont réaffirmés : primauté de l’éducatif sur le répressif, spécialisation de la justice des mineurs et atténuation de la responsabilité en fonction de l‘âge. La création d’un code de justice pénale des mineurs était devenue nécessaire pour plusieurs raisons. C’est un constat partagé par les professionnels de la justice des mineurs, que nous avons largement consultés.

Le projet de loi sur la justice des mineurs semble être le gage d’une justice plus réactive pour une réponse éducative plus efficace.

Il existe en premier lieu un enjeu de lisibilité du texte. L’ordonnance de 1945 ayant été modifiée 39 fois depuis son entrée en vigueur, il était devenu difficile pour les professionnels de s’y retrouver et pour les mineurs et leurs familles de comprendre ses principes.

Il y a également un fort enjeu d’efficacité : aujourd’hui, il faut en moyenne 18 mois pour qu’un jeune soit jugé et les victimes doivent également patienter ce délai pour être indemnisées. Avec cette réforme, le jugement sur la culpabilité aura lieu sous 3 mois maximum, dans tous les cas où la nature des faits le permettra, c’est-à-dire le plus souvent, et ce, bien sûr dans le respect des droits de la défense. La victime pourra être dès lors faire valoir ses droits et être indemnisée.

La prise en charge éducative pourra se mettre en place plus efficacement à partir d’une culpabilité posée. Une période de mise à l’épreuve éducative s’ouvrira ainsi pour une période de 6 à 9 mois, permettant au juge des enfants de prendre sa décision en tenant compte de l’évolution du mineur.

Le jugement sur la sanction interviendra dans les 12 mois. La mesure éducative unique, assortie éventuellement de modules (santé, insertion…) pourra être prolongée en tant que de besoin à l’issue de la procédure, jusqu’aux 21 ans de l’adolescent.

L’objectif est également de réduire le nombre de mineurs en détention provisoire, qui est trop important (sur les 800 mineurs détenus, 84% le sont sous le régime de la détention provisoire).

Le travail va maintenant se poursuivre avec les parlementaires, qui disposent d’une année pour débattre, modifier et enrichir le projet de loi de ratification. La réforme entrera en vigueur le 1er octobre 2020."

La PJJ est un service peu mis en lumière : est-ce volontaire ? Un travail particulier est-il fait autour de la communication et de la médiatisation de la PJJ ?

"Nous devons mieux nous faire connaître, c’est un fait !

Historiquement, la Protection Judiciaire de la Jeunesse a travaillé auprès des mineurs en conflit avec la loi et de leurs familles sans en faire grande publicité. L’explication réside dans son appellation même : nous devons protéger les mineurs en conflit avec la loi, qui sont donc des adultes en devenir, et ne pas hypothéquer leurs chances d’insertion dans la société. Parmi nos professionnels, 60% sont des éducateurs, et ils ont à cœur de protéger les jeunes et leur vie future. Difficile donc a priori de médiatiser le travail réalisé… Le droit à l’image des jeunes est d’ailleurs soumis à des règles strictes d’anonymat.

Pourtant, nous sommes confrontés à d’autres injonctions : lutter contre les idées reçues qui, elles, se diffusent largement à propos de ces jeunes, et, bien sûr, s’adapter à la société dans laquelle nous évoluons. Communiquer est devenu un passage obligé.

Communiquer est devenu un passage obligé.

Ces injonctions sont autant d’opportunités pour mettre en lumière les missions de la PJJ et du Ministère de la justice, et pour que le travail réalisé par ses professionnels soit mieux identifié. La direction de la PJJ s’est dotée pour cela il y a maintenant plusieurs années d’un service dédié à la communication et aux relations extérieures, notamment avec la presse (le SCoRE). Il assure la mise en valeur de nos actions sur le plan national et il est soutenu par un réseau de chargés de communication déployé sur les territoires.

Nous entendons mieux faire connaître les missions de la PJJ dans les mois et les années à venir. Nous observons un intérêt croissant des médias pour nos sujets, ce qui est encourageant. La réforme de la justice pénale des mineurs est une occasion intéressante pour atteindre cet objectif."

Quelles évolutions espérez-vous ou craignez-vous pour les prochaines années ?

"A la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nous sommes tournés vers l’avenir ! Je ne crains donc rien. L’accompagnement éducatif a fait la preuve de son efficacité pour remettre sur le droit chemin les jeunes en conflit avec la loi. J’espère donc que nous continuerons à l’améliorer et à innover en la matière. Tout comme je souhaite que nous réussissions à mieux faire connaître les missions qui sont les nôtres et à faire changer le regard porté sur les jeunes suivis par la PJJ. Ces jeunes sont les adultes de demain. La société doit les accompagner pour qu’ils y prennent leur place.

La société doit accompagner les jeunes suivis par la PJJ pour qu’ils y prennent leur place.

La justice restaurative, consacrée par la réforme, me paraît constituer un important vecteur de progrès. En effet, permettre une rencontre consentie entre auteurs et victimes ne peut que favoriser la réconciliation sociale."

"Je souhaite vous donner rendez-vous. La PJJ porte aujourd’hui plusieurs grands évènements nationaux autour du sport, de la culture ou de la gastronomie. Ce sont autant de supports éducatifs pour conduire les jeunes vers une insertion sociale et professionnelle durable. Les journalistes et nos partenaires y sont les bienvenus ! Nous avons également imaginé un événement qui leur est spécifiquement dédié : « La PJJ vous ouvre ses portes ». Organisé cette année le 20 novembre, journée où nous célébrerons les 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, il leur permettra de découvrir partout en France des structures de la PJJ accueillant les jeunes."

Propos recueillis par Nathalie Hantz
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