Développer des « produits du droit » : l’avènement de l’avocat marketeur ?

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

© image Village de la Justice

Progressivement, les avocats multiplient les initiatives pour renouveler leurs offres et leur image, face à l’injonction d’évolution qui leur est faite. Sans se départir du cœur essentiel du métier, il leur faut être plus accessibles, plus compréhensibles, et plus « vendeurs ». Une logique marketing qui n’est pas innée dans la profession.
Parmi ces initiatives, on peut remarquer la stratégie qui permet de cibler précisément le volet d’un domaine du droit, une démarche juridique particulière, ou un contentieux identifié, et de mettre alors à la disposition des prospects une offre claire et déterminée. Mais quelle est la portée de cette stratégie ? Michel Lehrer, associé de Jurimanagement, a accepté de nous apporter son éclairage.

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Afficher une offre claire et plus compréhensible pour le justiciable

Deux types d’exemple peuvent illustrer ces nouvelles stratégies mises en place. D’un côté, les sites indépendants du site principal du cabinet, consacré à un contentieux précis, apportant toutes les informations qui lui sont rattachées et les démarches possibles, comme TEG-Innovo ou Bailcommercial-Innovo par Innovo Avocats, ETaxFrance par Eve d’Onorio di Méo, Thelys-Conso par Thelys Avocats, ou plus récemment Recours-APB par Exeme Avocats, suite aux problèmes d’admission post-bac au mois de juillet dernier. De l’autre, les « packs », qu’ils soient destinés à la création d’une start-up ou d’une entreprise, ou encore au divorce.
Une action délimitée, compréhensible pour le futur client, avec un prix déterminé : ces solutions créent donc de véritables « produits de droit », et présentent un véritable avantage en terme de visibilité, puisqu’un bon référencement permet à l’internaute de trouver rapidement l’information et l’avocat compétent pour sa problématique.

Michel Lehrer, Jurimanagement

En effet, pour Michel Lehrer, « il faut que l’offre soit compréhensible par la clientèle et par les prospects. Tant que les avocats afficheront uniquement sur leurs sites internet qu’ils font du droit social, du droit corporate, … et que chacun décrit ce qu’il fait, on n’avancera pas. »
De telles solutions permettent donc de clarifier le rôle de l’avocat, ce qu’il va accomplir pour son client, tout en démontrant qu’il est spécialiste dans son domaine. Il s’agit donc de véritables « outils marketing qui permettent de faire des produits d’appel pour une clientèle que l’on n’atteint pas. Je travaille par exemple avec un cabinet spécialisé en droit public et tourné vers les collectivités locales, qui s’est aperçu qu’il ne touchait pas les communes de moins de 3000 habitants. Il a donc packagé une offre en ligne de conseil forfaitaire, avec une vingtaine de questions pour un montant mensuel, et il adresse cette offre de manière très différenciée à ces communes. Mais la description de cette offre fait comprendre qu’elle ne concerne pas les communes de plus de tant d’habitants. » Une démarche certes marketing, mais qui va dans le bon sens quant à l’accès au droit et à l’avocat.

Quel est l’impact de telles initiatives ?

Penser et mettre en place de tels produits sont de bons outils de communication. Mais sont-elles viables ? Permettent-elles de fidéliser une nouvelle clientèle ? Les packs sont en effet une bonne approche : en aidant par exemple à la création d’une start-up, l’avocat devient celui qui est le plus à même de suivre l’évolution de la structure. Mais en se positionnant sur un seul et unique contentieux, que se passe-t-il ensuite une fois que celui-ci est terminé ?

Pour Michel Lehrer, ces solutions ne doivent évidemment pas être l’unique offre proposée : « Aujourd’hui, si l’avocat veut continuer à bien vivre de son métier, il va falloir qu’il soit malin. Je conseille donc de garder les deux standards. Il ne doit pas devenir low cost en ne créant que des forfaits packagés et en ligne, mais aussi essayer de chercher et de développer une clientèle à forte valeur ajoutée, que ce soit des particuliers ou des entreprises. Son accompagnement et les conseils qu’il aura prodigués feront qu’il pourra atteindre un certain niveau d’honoraires. »

C’est en effet ce que l’on constate : ces solutions ciblées ne sont qu’une proposition qui s’ajoute à l’activité du cabinet. Il faut donc veiller à les faire cohabiter. « Le tout est de se positionner correctement pour ne pas se tirer une balle dans le pied. C’est ce qui est délicat aujourd’hui pour les cabinets qui fonctionnent : développer de nouvelles offres, packager, avoir une action marketing, sans polluer ou détruire une partie du business existant. Quant aux cabinets qui ont du mal à s’en sortir aujourd’hui, il y a d’autres réflexions à mener, notamment sur leur présence et leur créativité sur les réseaux sociaux, pour trouver de nouveaux clients. »

Travailler à la cohésion interne, avant l’image extérieure

Repenser les offres proposées aux clients et aux prospects fait partie du travail d’innovation et de renouveau des avocats. Mais elle ne doit pas être l’unique moyen mis en œuvre. Comme l’explique Michel Lehrer, « l’innovation passe aussi par le fonctionnement interne des cabinets. Quand je les accompagne, j’essaye de créer les conditions de la transversalité, de la co-traitance, pour qu’ils travaillent mieux ensemble. Plutôt que de se précipiter sur des offres un peu marketing ou comm’, il faut repenser le mode de fonctionnement interne, la gouvernance, le mode de rémunération, … pour qu’il y ait derrière un décloisonnement.

Dans des cabinets structurés, on se rend souvent compte qu’ils ne partagent pas grand chose, sauf peut-être les résultats, et parfois les équipes. Chacun développe sa clientèle sans forcément croiser les fichiers. Et lorsque vous les interrogez les uns et les autres, vous réalisez parfois qu’ils ne sont pas capables de citer les dix plus gros clients du cabinet.
Si j’étais avocat, avant de faire un travail de présentation d’une offre packagée, je travaillerais donc mon CRM [1] et je mettrai en commun mes clients. On communique ensuite sur la démarche auprès de ses clients, mais il s’agit d’abord d’un travail de mise en place d’une offre. »

Si une démarche d’innovation doit donc faire partie d’une réflexion plus globale sur le fonctionnement du cabinet, mettre en place de telles offres est cependant un bon départ, démontrant une réflexion sur les nouvelles exigences de la relation-client. Et elles constituent une option pertinente face à la concurrence de certaines start-up. Car si elles emploient les mêmes modèles (contentieux ciblés ou packs), elles sont bien entendues limitées à l’aide administratif, ne pouvant alors sur le terrain du conseil. L’avocat, de par son statut, va plus loin dans l’accompagnement de son client, mettant ainsi en avant ses compétences et sa valeur ajoutée.

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

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[1Customer relationship management - gestion de la relation avec les clients

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