Réunis il y a un an en Conseil national, les présidents des associations régionales de conciliateurs de justice appelaient solennellement l’attention de la Chancellerie sur « les fortes interrogations que les conciliateurs de justice se posaient et sur l’absolue nécessité de clarifier les choses quant au positionnement de la conciliation de justice … », en s’interrogeant alors « sur la place et l’avenir qu’entendaient leur réserver les autorités législatives et réglementaires au sein de l’institution judiciaire… » tout en restant confiants « quant à sa volonté de conserver toute sa place en lui donnant une place centrale au sein des MARD… ».
Force est de constater que, si la place de la conciliation conventionnelle était déjà bien affirmée au cœur des territoires, certains dont je faisais partie s’interrogeaient encore sur une éventuelle évolution de la conciliation déléguée par le juge, l’autre facette du conciliateur de justice.
La situation a été maintenant clarifiée avec la mise en œuvre d’une nouvelle politique de l’amiable aux contours bien définis qui, a défaut de vouloir hiérarchiser les MARD d’une quelconque manière, n’apporte aucun changement particulier à une conciliation de justice efficace, parfaitement en place, au niveau où elle doit se situer. Encore faudrait il s’appuyer davantage sur elle en mode conciliation déléguée.
I - La renaissance de la fonction conciliatrice du juge.
La césure et l’audience de règlement amiable (ARA) entreront en vigueur le 1er novembre prochain avec pour objectif de devenir « la pierre angulaire de la politique de l’amiable » selon l’expression du garde des Sceaux.
Ce dernier est intervenu en clôture du colloque organisé par la Cour d’appel de Paris sur la justice amiable, le 17 octobre dernier : une occasion importante, dans un ressort précurseur en la matière, de faire plusieurs annonces destinées à ancrer l’amiable dans les esprits et les pratiques.
Pour l’essentiel :
- Une formation dès l’université : il était nécessaire de sensibiliser « les juristes de demain » dès les premières années de droit. Un groupe de travail composé d’universitaires et de professionnels sera constitué d’ici la fin de l’année pour mettre en place des outils « pour que la culture de l’amiable se diffuse, au fil des années, sur les bancs des universités ». C’est une démarche fondamentale comme en témoigne le rôle joué par certaines associations comme Juristes d’avenir qui a bien compris l’importance de l’amiable et la nécessité de dejà y sensibiliser les jeunes juristes [1].
- La revalorisation de l’aide juridictionnelle : à condition que litige soit résolu par un mode amiable. « Si la loi de finance est votée en ce sens, cette disposition entrera en vigueur dès le 1er janvier 2024 » … « constituant un levier puissant pour les avocats qui feront le choix d’une activité non exclusivement tournée vers le contentieux ».
- La spécialisation : la Chancellerie devrait réfléchir à l’occasion de la prochaine mandature du Conseil national des barreaux (CNB) sur la nécessité de créer des outils pour mieux valoriser cette pratique chez les avocats, avec notamment la création d’une nouvelle mention de spécialisation.
- L’évaluation des magistrats : pour valoriser leur investissement en la matière, le garde des Sceaux a confirmé que la direction des services judiciaires travaillait « pour que les fiches de postes de magistrats civilistes intègrent la dimension de l’amiable » et qu’il en soit tenu compte dans leur évaluation. Des applicatifs métier seront mis à jour le 1er novembre prochain afin de suivre précisément les données statistiques des dossiers concernant l’amiable et se résolvant par un MARD.
- La communication : la Chancellerie va lancer prochainement une campagne commune avec le CNB. « Cette campagne sera ensuite relayée dans les points justice, les maisons France services, les tribunaux mais également dans les cabinets d’avocat ».
- Le Code de procédure civile (CPC) : la direction des affaires civiles et du Sceau et le tout nouveau Conseil de la médiation vont continuer leurs travaux pour rassembler dans un livre du CPC les dispositions éparses relatives à l’amiable. Le Garde des Sceaux a notamment rappelé que « les parties, assistées de leurs avocats, décideront de l’orientation de la procédure, soit vers une voie amiable courte, soit vers une voie contentieuse nécessairement plus longue. Si la voie de l’amiable réussit, l’accord ainsi obtenu sera homologué dans le mois de sa réception au tribunal ».
Qu’en est il maintenant des tribunaux de proximité (TP) ? Apparemment on ne change pas une équipe qui gagne.
Si la césure et l’ARA sont appelées à devenir « la pierre angulaire de la politique de l’amiable », les conciliations déléguées par le juge des contentieux de la protection (JCP) continueront de constituer autant de « briques de base » qui contribueront à alléger son office. Peut être serait-il souhaitable d’en augmenter le nombre à condition de leur donner une meilleure chance de s’imposer ?
II - Un nécessaire développement de la conciliation déléguée.
Pour différentes raisons propres à chaque juridiction, la pratique de la conciliation déléguée est très hétérogène selon les TP.
Or la nouvelle loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice a non seulement pour objectif de favoriser le développement de la culture de l’amiable et de poursuivre la simplification de la procédure mais également « de porter une attention plus marquée pour les personnes les plus vulnérables ».
Où en rencontrer sinon dans les audiences du JCP par définition ?
Ne serait-il pas alors judicieux de renforcer la synergie entre certains CJ (Conciliateur de Justice) rompus à la conciliation déléguée et leur JCP, surtout si ce dernier vient de prendre ses fonctions et n’a pas toutes les clés de l’amiable ?
Pour m’en être entretenu avec un jeune JCP, il peut être difficile en effet, parmi les nombreux dossiers prévus aux audiences des mois suivants, de distinguer ceux qui pourraient faire l’objet d’une conciliation.
Excellant dans la conduite amiable, certains CJ y ont acquis au fil du temps une grande expérience des différents types d’affaires conciliables ou non.
Disponibles et diligents, proches du lieu du litige ou des parties s’il faut se transporter sur les lieux voire auditionner des tiers, ces CJ pourront mener une instruction fine du dossier car, à la différence du juge, le temps ne leur est pas compté.
Dans un second temps, ils sauront concilier les parties qu’elles soient ou non assistées par un conseil, et auront notamment déjà eu l’occasion d’échanger avec des bailleurs sociaux et des avocats dans des affaires concernant l’application de la clause résolutoire.
Ils sauront rédiger un procès-verbal de constat d’accord sur le même modèle que celui utilisé par le greffe pour un jugement, prenant soin d’écarter tout risque d’erreur. Il faudra simplement, pour soulager le greffe, que la fusion numérique suive et que seule l’ordonnance d’homologation prenne un minimum de temps.
Dès lors, ne pourrait on envisager, environ deux mois en amont des audiences, une réunion de travail entre JCP et conciliateurs aguerris pour identifier ensemble les affaires conciliables ?
Cela a déjà été fait et, en mars dernier, cette idée avait semblé séduire les intervenants au colloque de L’ENM sur la conciliation judiciaire, lorsqu’on savait déjà que l’ARA ne concernerait pas la procédure orale des TP mais que cela n’empêchait pas d’essayer de rendre ses audiences plus fluides.
L’invitation à rencontrer un conciliateur lors de l’audience est souvent stérile car les parties et notamment les avocats représentant les bailleurs sociaux ne sont pas préparés à prendre cette décision « à chaud ». Pendant un an, cette « ouverture » a été proposée régulièrement à l’audience d’un TP du 78 pour des dossiers jugés conciliables par le JCP, avec 3 conciliateurs présents à chaque audience. Aucune invitation n’a été acceptée par les parties ou leur(s) avocat(s) qui avaient malheureusement (pour la conciliation) dejà prévu un scénario…
En revanche, lorsque le conciliateur, estimant le litige conciliable, a pu échanger avec son JCP, ce dernier peut lui avoir recommandé « d’inviter les parties à solliciter en début d’audience cette conciliation déléguée qui pourrait permettre de faire avancer voire résoudre en tout ou en partie du litige. Si une délégation de conciliation devait être prononcée, il serait effectivement opportun que le conciliateur soit désigné compte tenu de sa connaissance de l’affaire et des liens déjà établis avec les avocats des différentes parties ».
En effet, lorsque le conciliateur a eu le temps bien en amont d’échanger avec les parties et leurs avocats, la conciliation a très souvent débouché sur un procès-verbal de constat d’accord ensuite homologué par le JCP.
En résumé, l’invitation du juge à rencontrer un conciliateur de justice (CJ), pendant l’audience ou après l’audience, aura de fortes chances d’être acceptée par les parties et leurs avocats si le CJ a préalablement obtenu leur accord de principe.
La prise en compte de cette démarche pourrait être profitable au regard de :
- la multiplication des litiges, notamment en matière de consommation, qui pourraient se régler sans l’intervention directe du juge : produits (livraison, garantie, SAV, vice caché,…) travaux (malfaçon, abandon de chantier,…), services,…
- la nécessité de décharger intégralement le juge de proximité de certaines affaires difficiles à trancher sans consacrer suffisamment de temps à les instruire, en recherchant des informations, auditionnant des tiers voire en se transportant sur les lieux ce que le juge n’a plus le temps de faire : par exemple les litiges immobiliers sans incidence sur le droit de propriété, la responsabilité du fait des animaux, certains litiges de copropriété,…
- la priorité que le juge pourrait davantage accorder à certaines affaires a priori difficiles à concilier, qu’elles aient ou non déjà fait l’objet de conclusions des avocats des parties.
Concernant les troubles anormaux de voisinage, cela a déjà été acté puisque l’amiable est devenu obligatoire les concernant à peine d’irrecevabilité de la demande en justice pour les instances introduites à compter du 1er octobre 2023.
Là encore, le conciliateur de justice s’impliquera avec détermination dans ce genre de dossier’souvent très délicat (nuisances sonores, nuisances olfactives, pollution visuelle…) pour éviter qu’ils ne viennent, en cas d’assignation, s’entasser sur le bureau de son JCP.
Enfin, par exception à la règle fixant le plafond d’intervention du conciliateur à 5 000 euros, celui d’une conciliation déléguée pourrait atteindre sans difficulté le seuil de 10 000 euros du TP pour certains types d’affaires, comme le pratiquent déjà certaines juridictions.