Même si cette réalité est souvent oubliée, il existe un corps de règles applicables aux conventions « réglementées » conclues entre les sociétés civiles et leurs dirigeants, tout à fait comparable à la réglementation des conventions entre les SARL et leurs gérants.
Il existe notamment certaines formes spéciales de sociétés civiles, telles que les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), qui sont soumises à un contrôle de leurs conventions réglementées (article L. 214-76 du Code monétaire et financier).
De même, compte tenu de la liberté statutaire propre aux sociétés civiles, il est toujours possible de soumettre une société civile de droit commun à un système de conventions réglementées, soit en aménageant statutairement un corps de règles sui generis, soit en rendant applicable statutairement le régime des conventions réglementées des sociétés à responsabilité limitée (articles L. 223-19 et suivants du Code de commerce) ou des sociétés anonymes (article L. 225-38 et suivants du Code de commerce).
Mais là, n’est pas l’essentiel du régime des conventions réglementées applicables aux sociétés civiles. En effet, un nombre non négligeable de sociétés civiles est soumis au régime des conventions réglementées par l’article L. 612-5 du Code de commerce relatif aux « personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ».
1. Le concept de « personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique »
Le législateur n’a absolument pas défini la notion de « personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique », et encore moins dressé la liste des personnes morales concernées.
On doit donc se demander dans quelle mesure une société civile peut entrer dans le champ d’application de ces personnes morales.
Il est vrai qu’on perçoit assez naturellement qu’une société civile, personne morale de droit privé non commerçante par définition, puisse avoir une « activité économique », compte tenu de l’ampleur et de la généralité de cette notion, en apparence « attrape-tout ».
On pourrait même penser que toute société civile, à l’instar de toute personne physique ou morale, a une « activité économique », prise au sens le plus large du terme.
Même si cette position semble intellectuellement défendable, compte tenu de l’imprécision totale de la notion d’« activité économique », cette opinion n’est habituellement pas admise par la doctrine et par la jurisprudence.
a. L’approche de la doctrine
Plusieurs courants, concordants et complémentaires, peuvent être dégagés :
Selon une réponse ministérielle, une activité économique désigne très largement « toute activité de production, de transformation ou de distribution de biens meubles ou immeubles et toute prestation de services en matière industrielle, commerciale, artisanale et agricole » (Rép. A.N. « Sergheraert », 17 mars 1986).
Selon la doctrine des commissaires aux comptes, « une personne morale de droit privé non commerçante a une activité économique lorsqu’elle collecte des fonds qu’elle redistribue et assure ce faisant un rôle d’intermédiaire dans un processus de redistribution des richesses » (Norme CNCC 5-103).
A cet égard, une intéressante analyse des débats parlementaires par la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) a permis de dégager les hypothèses suivantes :
les associations gestionnaires, agissant dans les domaines de la santé et de la protection sociale (par exemple, les associations pour personnes handicapées, les maisons de retraite ou les centres d’aides ménagères), des loisirs ou du tourisme, ainsi que de la formation et de l’éducation, poursuivent une activité économique ;
de même, les sociétés civiles professionnelles, les sociétés civiles immobilières de construction-vente, les sociétés civiles immobilières propriétaires de forêts, les sociétés civiles coopératives de construction d’immeubles, les sociétés civiles d’attribution d’immeubles, les sociétés civiles d’exploitation agricole, les sociétés coopératives poursuivent tout autant une activité économique.
b. L’approche de la jurisprudence
A ma connaissance, la jurisprudence ne s’est jamais prononcée sur la notion d’activité économique, dans le cadre du régime juridique des conventions réglementées des « personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ».
La Cour de cassation a cependant statué sur cette notion, mais dans un tout autre cadre, celui de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, relatif aux concours aux entreprises des établissements de crédit.
Cette jurisprudence est habituellement regardée par la doctrine comme la référence en matière de définition d’une « activité économique », alors même que l’esprit et les domaines de ces deux réglementations sont radicalement différents.
Selon la première chambre civile de la Cour de cassation, l’activité économique caractérise « l’entreprise », au sens de l’article L. 313-22 du Code monétaire financier et il ressort de cette jurisprudence :
qu’une activité libérale constitue indubitablement une activité économique (Cass. Civ. 1ère, 12 mars 2002, Bull. 2002 ; n° 86) ;
qu’une activité d’investisseur immobilier consistant à acquérir, gérer, emprunter et vendre des biens immobiliers, en vue de réaliser plusieurs opérations immobilières (Cass. Civ. 1ère, 5 mai 2004, n° 01-12.278), ou de procéder à des opérations de location immobilière (Cass. Civ 1ère, 15 mars 2005, n° 02-20.335) constitue une activité économique ;
que l’objet social d’une société civile consistant dans l’achat, la vente et la gestion de tous biens immobiliers confère à la société civile le caractère d’une entreprise (Cass. 1e civ. 28 juin 2007 n° 06-14.867).
On comprend que cette conception de la notion d’activité économique est extrêmement large.
Pour autant qu’elle serve de référence au domaine d’application de la réglementation des conventions réglementées conclues par les « personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique », cette position extensive de la notion d’activité économique a donc vocation à s’appliquer à de très nombreuses sociétés civiles.
On pourrait même se demander a contrario quelles sont les sociétés civiles qui n’ont pas d’activité économique.
En effet, au regard de cette jurisprudence, l’activité économique n’est pas constituée si la société civile sert uniquement de structure d’accueil à un patrimoine familial, destiné au logement de la famille, et éventuellement à financer ce bien immobilier, à l’exclusion de toute spéculation ou de production de revenus. Encore, faudrait-il que l’objet social de la société civile concernée ne soit pas trop large, compte tenu de la jurisprudence de 2007.
Si cette jurisprudence est appliquée au champ d’application de l’article L. 612-5 du Code de commerce, il se trouve qu’en théorie, peu de sociétés civiles ont vocation à échapper à une procédure de contrôle des conventions réglementées.
On a pour autant le sentiment qu’en pratique, un nombre plus restreint de sociétés civiles se soumettent d’emblée à l’article L. 612-5 du Code de commerce, alors qu’au regard de la jurisprudence précédente, elles devraient y être soumises.
2. Le régime des conventions réglementées des sociétés civiles ayant une activité économique
L’article L. 612-5 du Code de commerce articule le régime de ces conventions réglementées autour des principes suivants :
Le gérant de la société civile à activité économique ou, s’il en existe un, son commissaire aux comptes, présente à l’assemblée générale des associés un rapport sur les conventions passées directement ou par personne interposée entre la société civile et l’un de ses gérants.
Il en est de même des conventions passées entre la société civile et une autre personne morale dont un associé indéfiniment responsable, un gérant, un administrateur, le directeur général, un directeur général délégué, un membre du directoire ou du conseil de surveillance, un actionnaire disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 % est simultanément gérant de la société civile.
L’assemblée générale des associés de la société civile statue sur ce rapport, une convention non approuvée produisant néanmoins ses effets. Les conséquences préjudiciables à la personne morale résultant d’une telle convention non approuvée peuvent être mises à la charge de ses gérants.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux conventions courantes conclues à des conditions normales qui, en raison de leur objet ou de leurs implications financières, ne sont significatives pour aucune des parties.
Stéphane Michel, Avocat au Barreau de Paris