La compétence liée du Ministre en matière de classement d’un site en zone Natura 2000.

Par Antoine Louche, Avocat.

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Explorer : # compétence liée # natura 2000 # droit administratif # environnement

Dès lors que la Commission européenne a inscrit un site sur la liste des sites d’importance communautaire, le gouvernement français, auquel aucun élément nouveau faisant obstacle à cette inscription n’a été apporté entre la transmission du dossier à la Commission et la décision de cette dernière, est tenu de prendre un arrêté désignant le site concerné comme site Natura 2000, sauf si les irrégularités dont serait entachée la procédure nationale ayant précédé la transmission du dossier à la Commission étaient de nature à affecter la validité de la décision de la Commission et, par voie de conséquence, la légalité de cet arrêté ministériel.

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En l’espèce, le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire avait désigné par arrêté en date du 27 mai 2009, comme site Natura 2000 (zone de protection spéciale) un espace s’étendant sur une partie des communes de Claix et Rouflet-Saint-Estephe en Charente.

Ce site a été dénommé « Chaumes du Vignac et de Clérignac ».

La société CDMR qui exploite une carrière de calcaire à ciel ouvert a formé un recours en annulation à l’encontre de cet arrêté.

Par jugement en date du 3 novembre 2011, le Tribunal administratif de Poitiers a fait droit à sa demande et a annulé l’arrêté litigieux.

Le ministre a alors interjeté appel de ce jugement.

Pour annuler l’arrêté litigieux, les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l’insuffisance des éléments d’informations communiqués aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à consulter dans le cadre de la procédure d’établissement du projet de désignation dudit site.

Toutefois, les juges administratifs d’appel bordelais ont estimé qu’il ressortait de l’instruction et des pièces du dossier que le préfet de la Charente avait le 25 novembre 2005 adressé audits EPCI et communes un dossier leur présentant clairement les éléments géographiques et scientifiques du projet de désignation de cette zone comme site Natura 2000.

La procédure de désignation n’étant pas entachée d’irrégularité, la Cour a censuré et annulé le jugement attaqué sur ce point.

Saisie de l’entier litige dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, la Cour a eu à connaître de l’ensemble des moyens soulevés par la société CDMR.

C’est à cette occasion que les juges ont apporté d’importantes précisions sur le pouvoir d’appréciation du ministre pour décider de classer une zone identifiée par la Commission européenne comme site d’importance communautaire, comme site Natura 2000.

Ainsi, dès lors que la Commission européenne a inscrit un site sur la liste des sites d’importance communautaire, le gouvernement français, auquel aucun élément nouveau faisant obstacle à cette inscription n’a été apporté entre la transmission du dossier à la Commission et la décision de cette dernière, est tenu de prendre un arrêté désignant le site concerné comme site Natura 2000, sauf si les irrégularités dont serait entachée la procédure nationale ayant précédé la transmission du dossier à la Commission étaient de nature à affecter la validité de la décision de la Commission et, par voie de conséquence, la légalité de cet arrêté ministériel.

Tirant les conséquences du principe qu’elle venait de dégager, la Cour a écarté comme inopérant l’ensemble des moyens soulevés par la société CDMR tirés de ce que la procédure nationale préalable à la notification à la commission européenne de la proposition d’inscription du site comme zone spéciale de protection méconnaîtrait les dispositions des articles L. 414-1 et R. 414-3 et -4 du code de l’environnement.

En l’absence d’élément nouveau de nature à faire obstacle à l’inscription de cette zone comme site Natura 2000, le ministre de l’écologie était tenu de procéder à cette inscription.

Par conséquent, l’ensemble des moyens tirés de la prétendue insuffisance de motivation attaquée, de l’erreur de droit et d’appréciation ne pouvaient qu’être écartés comme étant eux aussi inopérants.

En effet, rappelons que lorsqu’une autorité administrative se trouve en situation de compétence liée, la décision qu’elle est tenue de prendre n’a pas à être motivée ou à être précédée d’un examen préalable de la situation de l’intéressé (voir notamment en ce sens en matière de droit des étrangers CAA Lyon, 27 juin 2013, n° 12LY03174).

De même, les moyens tirés de l’erreur d’appréciation ou de l’erreur manifeste d’appréciation qui entacheraient une telle décision ne peuvent également qu’être écartés comme étant inopérants (voir notamment en ce sens CE, 20 janvier 2006, n°264176).

La seule marge d’appréciation de l’administration lorsque cette dernière se trouve en situation de compétence liée étant de constater cet état de fait et de prendre l’acte qu’elle est tenue d’édicter.

Précisions toutefois, que dans le domaine des sites Natura 2000, les autorités administratives compétentes ne se trouvent pas en situation de compétence liée pour l’ensemble des décisions relatives à un tel site.

Ainsi, lorsque l’autorité administrative constate, notamment au regard du rapport d’enquête publique préalable, qu’un projet, qui prévoit des mesures pour limiter ses incidences et son impact sur l’environnement, ne porte pas atteinte à l’état de conservation du site n’est pas tenu d’en informer la Commission européenne ou de recueillir son avis en application des dispositions de l’article L. 414-4 du code de l’environnement (voir notamment en ce sens CE, 7 mai 2008, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n°309285).

En matière de site Natura 2000, l’appréciation varie donc en fonction de la nature de la décision, oscillant d’une compétence liée à un réel pouvoir d’appréciation.

In fine, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a donc annulé le jugement attaqué.

Il conviendra d’être vigilant sur les prochaines décisions en ce domaine afin de voir si le Conseil d’Etat confirme cette position de principe, et si les juges administratifs fixent d’autres domaines de compétences liées pour des décisions relatives à des sites Natura 2000.

Références : CAA Bordeaux, 25 février 2014, n°11BX03436 ; CAA Lyon, 27 juin 2013, n° 12LY03174 ; CE, 7 mai 2008, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n°309285

Antoine Louche,
Avocat associé chez Altius Avocats
www.altiusavocats.fr

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  • par Laurent de Coudenhove , Le 6 août 2014 à 06:31

    Oui et Non.
    On peut comprendre dans votre article qu’un recours contre une décision de classement ne peut se faire qu’à une échelle Française, et ce avant que la décision ne soit prise au niveau communautaire.
    Il s’entend qu’il est bien compris que de façon ascendante ou de façon descendante, une décision Française ne peut être prise qu’au niveau National. Du fait de la Loi.
    Si la décision Française n’a pas été contestée, le fait de la faire valider dans le programme Européen correspondant ne peut entrainer une contestation mais une application de facto, car la décision Française avait déjà été prise et non contestée.

    Alors là dessus, oui.
    Le non se rapporte plutôt à l’écart qui est donné entre la valeur du site qui ne devient que focalisé sur l’habitat ou l’espèce subséquent à ce classement.

    ...L’évaluation des incidences ne doit étudier ces aspects (évaluations environnementales, études d’impact) que dans la mesure où des impacts du projet sur ces domaines ont des répercussions sur les habitats et espèces d’intérêt communautaire."

    http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-evaluation-des-incidences-Natura.html

    Ce qui pour moi ne veut pas dire la même chose que : en plus des études habituelles d’impact environnemental régionales classiques, il sera demandé un approfondissement sur l’impact des habitats et espèces reconnues d’intérêt communautaire.

    Je ne sais pas pourquoi mais dans ces temps de pied de lettre, on se doit d’être prudent dans le zoomage.

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