La loi et le système judiciaire ont mis en place au fur et à mesure des années des moyens de lutter contre le phénomène sectaire. Mais le péril sectaire a beaucoup évolué ces dernières années.
En effet, entre les années 1970 et 1990, les mouvements sectaires étaient banalisés. Les groupements représentaient auprès du grand public des communautés repliées et marginalisées. A cette époque, le recrutement se faisait principalement par des tracts, il fallait beaucoup de temps pour recruter de nouveaux adeptes. Avec la médiatisation de certains personnages considérés comme des illuminés - on se souvient des multiples apparitions de Claude Vorilhon alias Raël sur le petit écran - le message des gourous a proliféré auprès du grand public.
Grâce - ou à cause - des nouvelles technologies de l’information (internet, réseaux, sociaux…) les mouvement sectaires ont acquis de nouvelles techniques d’envahissement. Les groupes avancent de manière plus masquée si bien qu’on ne les reconnait pas. Ces nouvelles techniques d’envahissement auxquelles la justice n’avait jusqu’alors pas été confrontées, sont pour le moins préoccupantes puisqu’elles permettent ainsi d’attendre un public plus large, quel que soit l’endroit où les adeptes se situent, le gourou peut directement interagir avec eux. Aussi, les nouveaux mouvements sectaires ont infiltré tout ce qui est lien avec le bien être, la spiritualité et la santé (coaching, développement personnel, naturopathie, yoga, méditation…). Sur les réseaux sociaux, le domaine de la santé se taille une large part d’audience grâce à ses milliers voire millions d’abonnés.
La santé est devenue une préoccupation majeure depuis la crise sanitaire. Celle-ci a contribué à redynamiser les phénomènes sectaires en exploitant les peurs liées à la santé. Ces peurs sont d’ailleurs parfois exploitées par des professionnels de santé, ce qui peut conduire le Conseil National de l’Ordre des médecins à se saisir de ces questions. Le Conseil de l’Ordre des médecins a aussi la possibilité de se constituer partie civile dans certaines procédures.
Le gourou 2.0 va apporter des solutions à ces problèmes sans que l’on ait besoin de sortir de chez soi. Depuis la crise sanitaire, les gens sont en quête de donner du sens à leur existence et expriment une défiance vis-à-vis de la science et de la médecine moderne. Ceci est dû à la crise rencontrée au sein de l’hôpital, la médecine classique est un secteur en crise.
Du fait de cette crise, nous assistons à un retour aux « médecines » anciennes qui s’apparentent à des techniques New Age (énergie, vibration, communication avec des astres supérieurs…). Ces techniques sont en nettes augmentation et de plus en plus accessibles via internet. Le gourou va exploiter ce canal pour diffuser son message et accentuer la méfiance envers la médecine classique. Le gourou 2.0 apporte de l’espoir (fausse promesse), ces victimes potentielles sont des malades, des personnes en deuil ou qui rencontrent une difficulté au cours de leur vie. L’offre sectaire s’adapte à chacun et dans tous les lieux géographiques (ville et campagne).
On pense être protégé des dérives sectaires lorsque l’on n’adhère pas à la spiritualité. Dans le coaching ou le développement personnel la croyance se déplace sur quelque chose de beaucoup plus concret. Le coach prendra figure de gourou car il promet le bonheur lorsqu’on va lire ses livres ou bien s’abonner à son site internet pour accéder à ses contenus, ses podcasts et ses conseils. Si l’on suit « sa bonne parole », que l’on participe à ses meetings, que l’on poursuit ses séminaires, le bonheur est assuré. Autrement dit, l’absence de spiritualité n’est pas l’absence de la religiosité. Le gourou utilise les techniques du coaching et de développement personnel non pas dans le respect de la personne mais dans le but de créer de l’emprise.
Internet a bouleversé le mode de recrutement grâce à ses algorithmes. Ces derniers proposent des contenus en rapport avec vos goûts (algorithme de recommandation). L’effet pervers d’internet et de ses algorithmes, c’est que plus on va s’intéresser à des contenus, le bien être par exemple, plus les algorithmes vont nous en recommander. C’est ce que Pariser appelle la « bulle de filtre » autrement dit c’est le filtrage de l’information qui parvient à l’internaute et qui le place dans un état « d’isolement intellectuel » car il se retrouve avec des informations personnalisées mise en place à son insu.
Pour qu’une personne devienne adepte il faut qu’elle soit initiée à certains propos. C’est un processus long qui se fait petit à petit en douceur. Le gourou va noyer les idées les plus surprenantes dans des idées beaucoup plus acceptables. Ces idées seront répétées régulièrement auprès du nouvel initié pour qu’il y adhère progressivement et ce jusqu’à adhérer aux idées les plus farfelues voire extrêmes. Ce processus trie au passage les personnes susceptibles d’adhérer au groupe. La bulle de filtre va accélérer ce processus grâce aux contenus. La personne n’aura pas à lire les livres ou faire des réunions, elle va tomber directement sur des articles, des témoignages…
Les mouvements sectaires du Web exploitent des mécanismes pour recruter de nouveaux adeptes. Leur vitrine sur le Web passe par des pratiques en lien avec le New Age mais aussi par le coaching, le développement personnel…
Ces pratiques ne sont pas dangereuses en soi mais c’est la manière dont elles vont être exploitées par le gourou qui va l’être. Autrement dit, ce genre de pratique n’est pas dangereux il est important de le rappeler, mais c’est la personne qui va la proposer qui peut l’être. Souvent le gourou s’autoproclame coach ou autre sans avoir la formation requise et sans connaissance du sujet.
Le recrutement est possible parce que nous pouvons y diffuser tous types de message sans garde-fou. Le gourou exerce une certaine fascination auprès de son public et il sait créer une cohésion de groupe. L’individu aimerait ressembler à ce gourou qu’il considère comme une idole. Il prend la place d’idéal. La personne va vouloir ressembler à ce gourou qui a l’air si heureux et à qui tout semble réussir. La personne va alors s’identifier à ce gourou. L’identification est la forme la plus élémentaire du lien affectif à l’autre. C’est l’identification au gourou et l’identification des individus entre eux (le groupe) qui va créer une cohésion ceci étant renforcé par la place d’idéal du groupe. Le lien entre le gourou et ses adeptes se fonde sur l’idéalisation si bien que l’individu attiré par cet idéal voit sa personnalité s’effacer au point que celle-ci soit dissoute dans la masse. Il y a une perte d’identité et c’est là où commence l’emprise.
Le gourou adresse des gratifications narcissiques aux personnes qui le regardent. Il va se comparer à son public arguant que certaines personnes sont comme lui et présentent tel ou tel trait de caractère. Ceci renforce le processus identificatoire. L’identification est normale et dure tout au long de la vie, on s’identifie dès l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Le gourou va exploiter ce processus et les failles narcissiques de ses adeptes pour pouvoir les manipuler.
Confronté à cette montée en puissance du gourou 2.0, le législateur a donc cherché à lutter contre ce phénomène en prenant une nouvelle loi N°2024-420 en date du 10 mai 2024 qui vise à renforcer la lutter contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes. En effet, les plaignants sont plus nombreux à saisir la Justice et/ou à effectuer des signalements auprès de la MIVILUDES [1] ou autres associations luttant contre les dérives sectaires. Les affaires où une personne décède à la suite d’un stage où le jeûne était pratiqué ont eu d’importants retentissements dans la presse et conduisent le législateur et la justice à se pencher davantage sur ces phénomènes.
Mais cette loi va très vite être limitée car ces gourous sont bien plus réactifs que ne peut l’être le législateur ou encore notre système judiciaire.
En conséquence, il convient d’examiner dans un premier temps les recours possibles pour lutter contre ce type de gourou (I) avant d’envisager les difficultés dans la lutte contre le gourou 2.0 (II).
I. Les recours pour lutter contre le gourou 2.0.
Pour lutter contre les gourous 2.0, encore faut-il les identifier. Cela participe à la phase de prévention.
Il existe des signaux d’alerte pour repérer ces dérives qui sont des techniques de manipulation. La première est la promesse, le gourou promet que la personne sera progressivement meilleure. La question ici est celle du sens, donner une explication sur la vie, sur pourquoi on se sent mal. Ce processus est mis en place pour progressivement abolir la pensée critique. L’étape suivante est celle de la séduction, le gourou fait en sorte que la personne se confie progressivement et de plus en plus. Ces confidences seront ensuite exploitées par le gourou. Le « love bombing » est aussi une stratégie de manipulation qui consiste à inonder la personne d’attention et d’affection pendant une période donnée c’est-à-dire jusqu’à ce que la personne soit enfermée dans le groupe. Dès que la personne voudra s’éloigner de l’enseignement, la riposte sera alors très violente : on passe de l’affection au rejet. Cette technique consiste à créer de la dépendance affective. La personne va se retrouver de plus en plus isolée.
Un signal d’alerte fort sur les dérives sectaires concerne les exigences financières. La personne devra régulièrement débourser des sommes pour participer aux cours, payer les abonnements sur internet pour les contenus et s’offrir des stages à plusieurs milliers d’euros pour avoir accès au gourou. Les motivations des gourous ont à voir avec leur égo, ils sont convaincus du bien-fondé de leur technique, et aussi avec leur cupidité. L’argent est très présent dans les dérives sectaires en particulier chez les gourous 2.0 conduisant certains jusqu’à la ruine.
Une identification juste est primordiale pour ne pas tomber dans une forme de moralisation de la société ou empêcher toute forme de liberté de l’expression.
L’identification permettra dans un second temps d’agir contre les gourous 2.0.
Lorsqu’un individu est victime de ce type d’agissements ou que le proche d’une victime directe identifie une telle situation, on peut commencer par signaler sur la plateforme ou sur le réseau social la difficulté. En pratique, ce signalement a malheureusement peu d’impacts. Mais cela ne doit pas décourager l’individu concerné d’y procéder car la multiplication des signalements par les différentes victimes peut parfois aboutir à un retrait de la publication par exemple.
Il faut également signaler ce gourou 2.0 à la MIVILUDES qui va collecter les divers signalements et peut regrouper ainsi les victimes d’un même gourou. Ces informations peuvent êtres précieuses dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Il est également possible de déposer plainte notamment si le préjudice est important à cet égard et en fonction du contexte, il pourra être visé l’infraction d’abus de l’état de sujétion psychologique [2] et la peine sera d’ailleurs aggravée à 5 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende : « Lorsque l’infraction est commise par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique » [3]. Cette aggravation est une création de la loi du 10 mai 2024 qui a vocation à lutter contre le gourou 2.0.
Il sera possible également de viser une infraction relative à la mise en danger de la personne avec l’article 223-1-2 du Code pénal qui sanctionne « la provocation, au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées, de toute personne atteinte d’une pathologie à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte, des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique » ainsi que « la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ».
L’exercice illégal de la médecine est aussi une infraction qui pourra parfois être visée, celle-ci est prévue à article L4161-1 du Code de la santé publique. La peine maximale est de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende [4]. La peine peut être aggravée à cinq d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende « Lorsque l’infraction a été commise par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique » conformément à l’alinéa 2 de l’article L4161-5 du Code de la santé publique. Il s’agit également d’un apport de la loi du 10 mai 2024.
Néanmoins, ces recours ne sont pas miraculeux et il faut bien constater que la lutte contre les gourous 2.0 connaît d’importantes limites.
II. Les limites à la lutte contre le gourou 2.0.
Les difficultés pour confondre les gourous du web auprès de la justice sont multiples.
D’une part, certains d’entre eux vivent en dehors de l’hexagone. Ainsi quand bien même, ces gourous peuvent par principe être poursuivis, en pratique la justice s’intéresse peu à eux, car de telles poursuites conduiraient le système judiciaire à mettre en place de moyens lourds en termes de procédures (mandat d’arrêt, procédure d’extradition et encore faut-il qu’il y ait des accords avec l’Etat concerné). Les choix de politique pénale démontrent que ce n’est pas la priorité, et ce en dépit du souhait affiché lors de l’élaboration de la loi du 10 mai 2024.
Aussi, et pour exemple, Monsieur Thierry Casasnovas, « star » du crudivorisme, qui en dépit de sa mise en examen et de son contrôle judiciaire, continue de diffuser ses messages sur sa chaine Youtube auprès de ses 1,7 millions d’abonnés. Il en est de même d’Irène Grosjean, naturopathe controversée, qui sortait en mars 2024 un livre autobiographique et qui continuait de proposer des formations en ligne de naturopathie sur le site Biovie.
Le juriste doit toujours et encore démontrer que les préjudices subis par la victime sont imputables au gourou et dans le cas du gourou 2.0, cette imputabilité apparait bien plus complexe à prouver.
D’autre part, en dépit des signalements faits auprès de la MIVILUDES ou les dénonciations faites par l’UNADFI [5] notamment, il est difficile de fermer les sites internet, chaine Youtube ou tout ce qui a à voir avec ce mode de recrutement.
En effet, comme nous l’évoquions supra, les individus peuvent directement faire de signalements sur les réseaux concernés par la diffusion de la parole du gourou mais dans les faits, la pratique démontre que ces signalements ne conduisent pas ou trop peu au retrait des post concernés.
Par ailleurs, si le statut de la MIVILUDES a été renforcé par la loi du 10 mai 2024, concrètement sa vocation à rassembler le signalement est une première étape mais insuffisante pour la poursuite des gourous. La MIVILUDES a aussi pour fonction de rendre un rapport annuel d’activité, le dernier remonte à 2021 ! L’organisation qui en France devrait donner l’exemple en matière de lutte contre les groupements sectaires a donc des années de retard. A l’ère du gourou 2.0, ce n’est pas sérieux et cela révèle que malgré l’apparence affichée de lutter contre ce phénomène, la réponse judiciaire ne pourra en l’état jamais être adaptée compte tenu de l’ampleur.
Il y a bien la cellule d’assistance et d’intervention en matières de dérives sectaires (CAIMADES) qui est placée au sein de l’office central pour la répression des violences aux personnes, dont les enquêteurs sont spécialisés sur le domaine des dérives sectaires. Mais leur équipe extrêmement réduite (moins de huit personnes en France) est déjà confrontée à la gestion des gourous fonctionnant de manière classique qui eux ne diminuent pas ; comment cette équipe peut-elle dans ce cadre-là avoir le temps effectif de traiter les signalements des gourous 2.0 ?
Cela impose inévitablement un choix dans le traitement des affaires et ce en dépit, toujours et encore, des victimes et de leurs proches.
Ainsi, si l’esprit de la loi du 10 mai 2024 est noble, la réalité pratique nous révèle très rapidement les difficultés et que les moyens avancés pour lutter contre le souhait affiché par cette loi sont bien maigres par rapport à l’ampleur du phénomène.
Ni notre législateur, ni notre système judiciaire n’a conscience ou ne veut voir que les gourous 2.0 ont malheureusement de longs et bons jours devant eux !
Du fait de ces manquements, nous devons rester vigilants face à ce phénomène dont l’ampleur ne cesse de croître. Lorsque nous regardons ce type de contenu sur internet, il est nécessaire de procéder à certaines vérifications d’usage, sans tomber dans la paranoïa ou la théorie du complot, et de chercher à savoir qui sont ces personnes et surtout par qui et où elles ont été formées.