S’accaparer un nom de domaine pour détourner une marque sur internet, c’est du cybersquatting, par Sabine Haddad, Avocat

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L’avènement du commerce électronique a révélé que le nom de domaine constitue une véritable ressource économique pour l’entreprise. La pratique simple en vigueur, dans l’enregistrement des noms de domaine, n’est soumise à aucune contrainte, si ce n’est le fait que le premier servi, pourra revendiquer le nom, constitutif de son adresse ;. Ainsi, cela permet à son titulaire d’être connu des internautes. C’est au regard du défaut de formalités y afférents et de contrôle dans l’attribution desdits noms qu’a pu se développer le cybersquatting ou accaparement de façon abusive ou spéculative d’un nom de domaine, procédé qui ne cesse de progresser chaque année. Cette forme de piratage et fraude touche principalement le domaine de la mode, de l’habillement et de l’automobile, le e-commerce sur la toile. En parallèle de cette menace, les dépositaires de ces noms de domaine en profitent pour organiser des attaques au phishing, technique consistant principalement à l’envoi massif d’emails afin de récupérer les informations confidentielles des internautes telles que les numéros de cartes bancaires…. De quoi s’agit-il ?

I- Les Manifestations du Cybersquatting

A) Modalités de la fraude : la contrefaçon d’une marque usurpée ou d’une œuvre de l’esprit sur internet

Une marque déposée est l’objet d’un droit exclusif de propriété au profit de son titulaire (propriété acquise au moyen de la formalité de dépôt / article L 713-1 du Code de la propriété intellectuelle) qui peut donc s’opposer à toute atteinte portée à son droit, sous quelque forme que ce soit, de bonne ou de mauvaise foi.

1°- Le moment de l’usurpation d’un nom de domaine et d’une extension

Le cybersquatter va prendre un nom de domaine qui reprend ou imite une marque , la raison sociale, la dénomination d’une société , connue sur lesquels son titulaire légitime a des droits., pour ensuite revendre le revendre à un prix très onéreux.

Il peut être pratiqué :

-a priori ; avant que la société ait pensé à déposer elle-même son nom de domaine . Le plus souvent, le nom de domaine litigieux reprend ou imite la marque, la dénomination, la raison sociale sur lesquels le titulaire naturel dispose de droits. Il consiste à faire enregistrer un nom de domaine dans l’unique optique de bloquer une attribution ultérieure de ce nom au profit de son réel titulaire, dans un dessein malveillant.

- a posteriori dans le cas où la société oublie de le renouveler. Dans ce cas, la fraude va empêcher le titulaire légitime d’enregistrer un nom de domaine sur lequel il est présumé avoir des droits légitimes ; puisque l’escroc aura s’approprier souvent un nom de domaine identique ou similaire à celui bénéficié de la marque afin de bénéficier de sa notoriété…

Une des cessions les plus onéreuse et célèbres a porté sur le nom de domaine wallstreet.com, enregistré en 1994 pour 70 dollars et vendu un million de dollars cinq ans plus tard.

Une atteinte à l’image, à une concurrence déloyale avec captation de la clientèle.

2° Les buts du cybersquatter

Il y a une volonté d’obtenir du titulaire naturel du nom de domaine un avantage financier en échange de la rétrocession du nom détourné, ou bien, et dans la volonté de détourner sa clientèle.

3°- L’emprunt de divers noms de domaines au caractère similaire ou identique visant la désignation de nom, ou marques sur lesquels un tiers possède des droits légitimes

Exemple diverses extensions : .fr, . com, . net,. org .info ;.co etc…

B) Les Moyens de protection contre le cybersquatting

1°- L’intérêt de déposer différentes extensions du terme sur lequel une personne physique ou morale est titulaire de droits.

Exemple, la société DUPONT aura intérêt à déposer www.martin.fr, www.e-martin.fr ou www.martin-en-ligne.fr.

2°- La vigilance indispensable du titulaire de la marque par la surveillance régulière des dépôts effectuées auprès de l’INPI, et de l’utilisation de certains noms sur internet

3°- La mise en demeure du cybersquatter avant toutes poursuites

4°- La tentative de négociation avant poursuites

5°- L’assignation au fond à l’encontre du cybersquatteur, et le cas échéant la société chargée de la mise en vente du nom de domaine illicite.

(un référé contrefaçon, sera souvent le préalable à la procédure au fond )

Selon la jurisprudence, le cybersquatting tombe sur le coup du droit de la propriété intellectuelle et du droit des sociétés (concurrence déloyale, parasitisme).

II Les actions judiciaires envisageables à l’encontre du Cybersquatter

Plusieurs actions sont envisageables en fonction des droits usurpés.

A) La protection sous le coup du droit de la propriété intellectuelle : L’action en contrefaçon : article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle

1°-L’ action civile

Elle est diligentée par le propriétaire de la marque présumée contrefaite ou, dans certaines conditions, par le bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation à l’encontre le gérant du site litigieux pour détournement d’une marque, cumulée éventuellement à une action en concurrence déloyale.

La majorité des situations, visent des litiges de cybersquating issus du conflit entre une marque et un nom de domaine.

La reproduction illicite d’une marque protégée utilisée à titre de nom de domaine constitue une contrefaçon de marque TGI Paris. 25 avril 1997

— Référé contrefaçon préalable : article L 716-6 du Code de la propriété intellectuelle

Elle est souvent précédée d’une mesure d’urgence, le référé-contrefaçon ) et dans ce cas le juge peut interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes contrefaisants.

— L’action au fond

L’action civile visera uniquement l’obtention de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi. Les tribunaux font preuve d’une certaine sévérité pour sanctionner la réservation abusive d’un nom correspondant à une marque. (Ex : 150 000 euros pour sfr.com)

L’action civile en contrefaçon de marque peut être engagée par le propriétaire d’une marque qu’il estime contrefaite (art. L 716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle).

2°- L’action pénale peu usistée : article 716-9 du CPI

Est punie de quatre ans d’emprisonnement et de 400 000 euros d’amende le fait pour toute personne, en vue de vendre, fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises présentées sous une marque contrefaite .

B) La protection sous le coup du droit des sociétés : L’action en contrefaçon éventuellement cumulée à une action en concurrence déloyale : article 1382 du code civil

Autorisée si les faits de concurrence déloyale sont distincts de ceux exposés en terme de contrefaçon.

Cour d’Appel de Paris 30 juin 2006 a condamné le moteur de recherche google à 300.000 euros d’amende sur un double fondement, celui de la concurrence déloyale et celui de la contrefaçon de marque en matière de référencement. Pour ne pas avoir filtré les sites et exclure ceux qui pratiquent la contrefaçon, alors que selon la décision, cette opération étant techniquement réalisable.

Cela suppose la preuve d’une faute, ( exemple l’enregistrement d’un nom, en l’absence de droits, un risque de confusion, la volonté de nuire…)

d’un préjudice ( atteinte à l’image commerciale d’une société, détournement de clientèle…) et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

1°- détournement de clientèle

L’action en contrefaçon peut également se cumuler à l’action en concurrence déloyale lorsque certaines manœuvres visent à détourner la clientèle, si les faits de concurrence déloyale sont distincts des actes contrefaisants.

Une atteinte à l’image, une concurrence déloyale avec captation de la clientèle seront relevés…

Le tribunal considère que le moteur de recherche. Le montant de la condamnation s’est élevé à 300 000 euros d’amende.

2°- parasitisme

Forme de concurrence déloyale commise par un commerçant qui cherchera à s’approprier indûment la réputation ou le savoir-faire d’un concurrent en créant une confusion dans l’esprit de sa clientèle avec la marque ou les produits parasités.

III- Conditions de l’action

Plusieurs actions sont envisageables en fonction des droits usurpés

La victime devra établir son préjudice à l’appui d’un constat d’huissier
TGI Paris 31 octobre 2007, pourvoi N° 06/09593

A) L’action en contrefaçon : article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle

Les marques, brevets ,autres droits de propriété intellectuelle, sont protégés par cette action.

Un référé contrefaçon précèdera souvent l’action au fond comme exposé .

Cependant, ils peuvent donner lieu à une action en concurrence déloyale dès lors que les conditions de l’action en contrefaçon ne sont pas réunies ou bien lorsque la sanction recherchée vise les agissements fautifs indépendamment des faits constitutifs de contrefaçon.

Procédure diligentée par le propriétaire de la marque présumée contrefaite ou, dans certaines conditions, par le bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation à l’encontre le gérant du site litigieux pour détournement d’une marque, cumulée éventuellement à une action en concurrence déloyale.

La majorité des situations, visent des litiges de cybersquating issus du conflit entre une marque et un nom de domaine.

La reproduction illicite d’une marque protégée utilisée à titre de nom de domaine constitue une contrefaçon de marque TGI Paris. 25 avril 1997

1°-Il conviendra de vérifier que les produits ou services visés sont identiques à ceux désignés lors de l’enregistrement de la marque

La contrefaçon sera établie par l’utilisation du même terme au titre de nom de domaine , dans l’hypothèse où ce sont les mêmes produits et services, définis par les classes de l’INPI, qui sont visées.

A défaut, la protection par la marque n’est pas absolue.

Cass Com 13/12/2005
dit « Locatour »

a statué s’agissant d’un litige né de l’utilisation par deux sociétés différentes de la dénomination Locatour .

La première pour des produits et services d’ agence de voyage, organisation de vacances, réservation de chambre d’hôtel etc, et la seconde pour un service de communication télématique ; l’autre utilisant seulement le nom de domaine Locatour.com dans l’acquisition, la gestion, le contrôle et la cession de portefeuille de participation.

La Cour d’Appel saisie par la société de tourisme en contrefaçon de marque et concurrence déloyale. avait retenu à la fois la contrefaçon et l’atteinte portée au nom de domaine.

La Cour de Cassation a jugé que la Cour ne pouvait pas sanctionner, s’agissant de la contrefaçon, sans rechercher si les produits et services que pouvaient offrir sur le site Internet la société Soficar étaient identiques ou similaires à ceux visés dans le dépôt de la marque Locatour.

De la même manière, sur la question de l’atteinte au nom de domaine, la Cour de Cassation juge que la Cour d’Appel aurait dû rechercher si les sociétés en litige exerçaient des activités identiques ou concurrentes et s’il en résultait un risque de confusion.

Cass Com. 7 juin 2006, Endemol developpement / Technof, pourvoi n°03-19.508,

a réaffirmé le principe de spécialité dans l’appréciation de la contrefaçon d’une marque par un nom de domaine.

La cour a comparé les domaines d’interventions des entreprises et fait application du principe de spécialité.

Les juges n’ont pas recherché :

" si les produits et services que pouvaient offrir sur le site Internet les sociétés Endemol développement et TF1 étaient identiques ou similaires à ceux visés dans le dépôt de la marque enregistrée par la société Technofi, la cour d’appel n’a pas constaté le caractère sérieux de l’action en contrefaçon engagée par celle-ci tel que prévu par l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle".

2°- La notoriété de la marque

TGI Paris 7 juin 2006 St Hôtel Méridien contre Société Méridiana Hôtel a relevé la notoriété de la marque

B) Concurrence déloyale : article 1382 code civil

Cette notion a été définie à travers les décisions des Tribunaux.Elle est fondée sur les principes de la responsabilité civile.

1°-une ou des fautes

Cette faute peut relevée de véritables manoeuvres

- Le dénigrement : jeter le discrédit sur la personne, le produit, le service d’un concurrent.

- La désorganisation : désorganisation interne de l‘entreprise concurrente (révélation de secret, espionnage, détournement de fichier…), ou ’de l’activité ou des méthodes commerciales du concurrent.

- La confusion : créer dans l’esprit du public une confusion avec l’entreprise concurrente de telle sorte que la clientèle se trompe et soit attirée.L’’intention de nuire n’est pas obligatoire , une simple négligence suffit

TGI Paris, 28 juin 2006, SA Banque du Développement des PME-BDPME rappelle qu’un nom de domaine reproduisant un signe, possédant un droit antérieur, est constitutif d’agissements parasitaires.au regard du risque de confusion engendré par le nom de domaine. (Dans ce dernier cas , plusieurs éléments pouvaient être pris en compte : l’étendue de l’exploitation du signe, le degré de ressemblance nt entre les signes, l’identité ou la similarité des services et produits en présence….)

Le parasitisme constituera forme de concurrence déloyale et une faute commise par un commerçant qui cherchera à s’approprier indûment la réputation ou le savoir-faire d’un concurrent en créant une confusion dans l’esprit de sa clientèle avec la marque ou les produits parasités.

2°- un préjudice : perte de clientèle, détournée

Caractérisé par la perte de clientèle qui elle même se traduit par la baisse du chiffre d’affaire de la " victime " et ceci dans un courant d’affaire identique. Peu importe que la perte de clientèle ait profité ou non à l’auteur de l’acte délictueux.

3°- Un lien de causalité entre la faute et le préjudice supposé existé dès que la faute est constituée

Les juridictions civiles ou commerciales seront compétentes.

IV- Les sanctions du cybersquating

A) La réparation de la totalité du préjudice au-delà de la restitution du nom de domaine

1°- Présentation des sanctions

- Radiation du nom de domaine ou Transfert du nom de domaine

- Dommages et intérêts pour réparer l’intégralité du préjudice

- Restitution des courriers électroniques

- Publication de la sanction

- Frais de procédure et irrépétibles de l’avocat

Le juge ordonnera la Radiation du nom de domaine concerné, ou le transfert du nom de domaine (restitution) à son titulaire légitime, mais pas seulement.

Il ordonnera des dommages et intérêts pour le préjudice causé.

2°- Une large réparation

Le Tribunal de Grande Instance de Grasse a ordonné le 2 Novembre 2005 :

- la restitution d’un nom de domaine très proche de celui exploité par la société demanderesse

- la restitution des recettes à l’exploitation du site

- la restitution du courrier électronique reçu sur le site du cybersquatteur (malgré le principe régissant le secret des correspondances,au motif que l’utilisation, par cybersquating de ce nom de domaine, avait permis de capter, , une partie du trafic d’e-mail destiné à la société propriétaire du nom de domaine copié.

Pour le tribunal, la restitution du nom de domaine s’étendait aussi à l’intégralité du courrier électronique reçu sur le site ainsi que les recettes afférentes à son exploitation.

Il considère que la correspondance ayant caractère professionnel, à ce titre elle n’est pas protégée par le secret professionnel.

B) La possibilité de mettre en oeuvre la responsabilité de la société de mise en vente de noms de domaines .

Tribunal de Grande instance de Paris le 23 septembre 2005, a condamné le cybersquatteur usurpateur du nom de domaine « hotel-meridien.fr » qui l’avait mis en vente au prix de 10.000 euros, sur le site d’une société SEDO..com, consacré à la vente de noms de domaines mettant en relation les vendeurs et les acheteurs.

Poursuivi par la chaîne des hôtels méridiens, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné, le sybersquatteur à 15 000 euros de dommages et intérêts dont 10 000 euros devant être pris en charge par la société SEDO.

A été pris en compte, le faite que la société de mise en vente du nom de domaine :

- connaissait le risque d’atteinte aux droits de la chaîne hotelière puisqu’elle avait informé le cybersquatteur et les potentiels acheteurs de l’existence d’un risque de cybersquatting avec le nom de la chaîne d’hôtels Méridiens,

- elle avait participé, en tant qu’intermédiaire à la promotion du nom de domaine et apporté sa compétence sur la valeur du nom de domaine litigieux au cybersquatteur.

Les juges ont donc refusé l’argumentation de la société qui tentait de limiter son rôle à celui d’un simple prestataire technique afin de se dégager de toute responsabilité en application de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Sabine HADDAD

Avocate au barreau de Paris.

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