Révolution numérique et évolution de l'activité de l'avocat. Interview de Clarisse Berrebi, Avocate.

Révolution numérique et évolution de l’activité de l’avocat. Interview de Clarisse Berrebi, Avocate.

Propos recueillis par Laurine Tavitian
Rédaction du Village de la Justice

3095 lectures 1re Parution: Modifié: 4.88  /5

Explorer : # révolution numérique # modernisation des avocats # déontologie # relation client

La rédaction du Village de la justice est allée à la rencontre de Clarisse Berrebi, avocate, passionnée par le numérique. Elle est Présidente de la commission Nouvelles technologies du Conseil national des Barreaux et entend bien faire évoluer la profession.
Voici la première partie de l’interview consacrée aux évolutions de la profession à l’ère du digital, sujet brûlant d’actualité auquel nous avons consacré un dossier dans le dernier numéro du Journal du Village de la Justice.

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Laurine Tavitian : Les avocats ont souvent été considérés comme étant en retard par rapport aux évolutions technologiques, pensez vous qu’ils soient prêts à se moderniser ?

Clarisse Berrebi : Cette question, à mon avis, doit être évaluée à plusieurs niveaux. Soit, au niveau du cabinet d’avocats et dans ce cas, il y a toujours eu quand même des initiatives assez fortes, soit au niveau de la profession en elle-même et je ne suis pas sûre qu’on puisse dire que nous sommes en retard par rapport aux évolutions technologiques.
Nous avons pris une avance considérable en matière de dématérialisation des procédures. On est aujourd’hui la seule profession réglementée qui a équipée plus de deux tiers de ces membres en certificat d’identification forte et en certificat de signature, même s’ils n’en ont pas forcément conscience, ils sont équipés. On est en Europe les seuls avocats à avoir dématérialiser à ce point.
Je ne suis pas certaine qu’on puisse dire que nous sommes en retard. Ce qui est certain c’est que la profession d’avocat est une profession polymorphe où il y a différents types de pratiques qui se percutent parfois sur leur approche de la modernité. Certains laissent penser qu’il faut aller doucement, d’autres plus vite…
Quant à savoir si les avocats sont prêts à se moderniser, l’économie ne nous demande pas notre avis. Comme l’a dit Richard Susskind, « Soit les avocats écoutent le marché, soit le marché se passera des avocats ». C’est un peu dur, je pense que ce n’est pas tout à fait exact, mais effectivement les avocats doivent entendre le marché, un marché qui a profondément besoin de droit et les avocats doivent répondre présents.

Laurine Tavitian : Pensez vous que la déontologie soit un frein et comment la faire évoluer ?

Clarisse Berrebi : Mon discours sur ce sujet est simple. La déontologie n’est non seulement pas un frein mais au contraire c’est dans l’économie numérique un avantage concurrentiel. Les avocats portent dans leur ADN ce qui est le concept même de l’économie numérique, la confiance, et la déontologie représente cette confiance. Nous avons dans nos règles déontologiques les garanties qui sont données au justiciable en général, au contribuable, au consommateur de droits, des garanties de confiance, de confidentialité et d’assurance. C’est un avantage énorme.
Par ailleurs, l’utilisation des techniques juridiques et mêmes judiciaires a profondément évolué. Par exemple, aujourd’hui, si vous voulez assigner une entreprise, la viralité des réseaux créé une communication autour de votre action qui peut parfois avoir un effet inverse à celui que vous recherchez (ex. les affaires médiatisées Streisand, Prince, Fred et Farid …). Les personnes n’hésitent plus à publier leur assignation ou mise demeure en ligne. L’action est alors polluée par la mauvaise publicité et l’avocat ne peut plus travailler sans se poser la question de la viralité des réseaux. En revanche, une entreprise qui aurait besoin de communiquer avec une autre entreprise de façon confidentielle aura intérêt à aller voir son avocat qui lui même échangera avec l’avocat de la partie adverse. Ces échanges là seront dans un univers fermé.
Notre déontologie n’est pas un frein, c’est une chance incroyable !

Laurine Tavitian : Le digital a profondément bouleversé la société en général et la relation-client en particulier. Pensez vous qu’il va modifier l’exercice même de l’activité d’avocat et pourquoi ?

Clarisse Berrebi : Il a déjà profondément modifié l’activité d’avocat. L’avocat jusqu’à peu de temps était pourvoyeur d’informations juridiques. Aujourd’hui, il ne l’est plus. Aujourd’hui, on va voir son avocat, on n’attend plus de sa part un certain nombre de réponses parce qu’on est capable sur Internet de procéder à un niveau de recherche tellement poussé qu’on collationne suffisamment de sources pour avoir un niveau de réponse suffisamment fin.
Même si je suis d’accord, cela ne nous rend pas avocat, on a néanmoins en comparant des réponses des recherches sur Google, un niveau de réponse qui peut être satisfaisant. J’ai même vu des gens me prérédiger des actes. Effectivement, nous sommes démunis face à l’importance de l’information juridique qui est portée à la connaissance du public. Nous devons donc faire la différence entre l’information juridique, la formation et le service à valeur ajoutée, ce qui nous oblige à décaler notre niveau de pratique.

Laurine Tavitian : La révolution numérique va-t-elle entrainer une vulgarisation du droit (et le rendre plus accessible) et pourquoi ?

Clarisse Berrebi : Sans aucun doute oui. Il va y avoir soit du service à haute valeur ajoutée, soit de l’information juridique qualifiée, c’est à dire que l’avocat va qualifier l’information juridique qui est accessible en libre service.
A notre niveau, nous allons aider à vulgariser, aider à mieux comprendre et monter tout le monde en compétence, y compris nos clients. Nous aurons donc des résultats de meilleure qualité.

Laurine Tavitian : Et donc plus de clients ?

Clarisse Berrebi : Oui, plus de clients puisque c’est l’offre qui crée la demande et pas l’inverse, c’est le concept d’Apple, non ? (rires)

Laurine Tavitian : Fleur Pellerin était présente aux 1ers états généraux du numérique, avez vous des projets communs ? Comment entendez travailler avec son ministère pour faire évoluer l’activité des avocats ?

Clarisse Berrebi : Sa présence était un événement important parce qu’elle démontre l’intérêt de son ministère pour notre profession. Elle a commandé un rapport (Mission confiée à Philippe Lemoine en janvier 2014) sur la bascule de l’ensemble des professions dans l’économie numérique, le passage d’une économie matérielle à une économie immatérielle. Les professions réglementées n’étaient pas prévues dans ce rapport et nous lui avons indiqué qu’il serait utile de travailler avec elle sur ces questions.
Oui, pour un service plus accessible. Non, pour un service dérégulé. Parce que derrière une question juridique, il y a une certaine forme de détresse même si c’est une question juridique très technique et liée à une problématique commerciale. Il y a toujours un sentiment d’incompétence et une certaine forme de faiblesse derrière une question juridique.
Le rôle de l’avocat consiste à équilibrer les rapports de force dans les relations sociales et lorsque la relation se déséquilibre ou serait susceptible de se déséquilibrer, il y a une forme de crainte chez la partie qui nous consulte. Ceci ne doit en aucun cas, entrer dans le domaine marchand totalement dérégulé. Nos règles déontologiques et nos autorités de poursuite veillent sur nos pratiques.
Je ne sais pas si nous allons participer à ces travaux mais nous avons pris les contacts, et espérons qu’elle entendra la voix des avocats. Son message lors des EGN était que la profession aurait peut être certaines difficultés à adapter son offre. Son ministère fait le constat de la problématique du numérique à tous les niveaux de la société, cela ne nous est pas réservé.

A lire aussi : Journal du Village de la justice N°68, Spécial ’Avocat Digital’ et logiciels.

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