1. Les faits.
Un salarié était accusé de vol par l’un de ses collègues de travail.
Afin de prouver sa bonne foi, ce salarié a permis à ce collègue de travail de fouiller son casier.
Puis, ce collègue de travail a tenté de le fouiller à corps avec l’aide d’un ami.
Pour cela, les deux individus lui ont enlevé ses chaussures, son pantalon et ses sous-vêtements.
Le salarié a dans un premier temps préféré les laisser faire afin de ne pas envenimer la situation.
Or, dès le lendemain, ce collègue de travail l’a agressé physiquement avec l’aide d’une tierce personne.
Le salarié s’est donc défendu pour mettre un terme à cette agression.
Le collègue de travail n’a pas été blessé gravement si ce n’est un hématome au visage.
Résultat : le salarié agressé a été licencié pour faits de violence “de nature à désorganiser la bonne marche de l’entreprise”…
Aucune sanction n’a été prise à l’encontre de l’agresseur.
Le salarié a saisi le conseil des prud’hommes afin de contester son licenciement.
Par jugement du 20 mai 2015, le conseil des prud’hommes de Strasbourg a débouté le salarié de sa demande au motif que le salarié était expert en arts martiaux et qu’il aurait dû être capable de se maîtriser.
Le conseil de prud’hommes applique donc faussement les règles relatives à la légitime défense et oublie totalement les règles relatives au droit du travail.
Il faut le faire…
L’occasion est donc donnée de se pencher sur cette affaire pour remettre les choses à leur place.
Il conviendra de rappeler les règles essentielles à la légitime défense et de s’autoriser quelques commentaires sur l’état actuel du droit en la matière…
Puis nous nous replacerons dans le strict cadre des règles du droit du travail pour constater que le jugement rendu par le conseil des prud’hommes est on ne peut plus critiquable.
Enfin, nous analyserons la décision finalement rendue en faveur du salarié par la Cour d’appel de Colmar.
2. Légitime défense et licenciement ou le droit de se défendre rapporté au cas d’espèce.
2a ) Quelques explications rapides sur la légitime défense.
La légitime défense concerne celui ou celle qui se défend face à une agression.
Les conditions suivantes doivent être réunies :
- la personne qui se défend doit faire face à une attaque injustifiée à son encontre ;
- l’acte de défense doit être nécessaire : l’agressé ne pouvait pas faire autrement que de se défendre ;
- les moyens employés par l’agressé doivent être proportionnés à l’attaque.
(On ne peut ainsi sortir une arme à feu pour répliquer à une gifle).
- enfin, l’acte de défense doit être contemporain, c’est-à-dire être opposé au moment de l’agression et pas plus tard.
Dans le cas contraire, on parlera non plus dans un acte de défense, mais dans un acte de vengeance.
Bon nombre de personnes amenées à se défendre n’arrivent pas à rapporter l’exigence de proportionnalité requise par la loi.
Il y a là un véritable parti pris de la loi en faveur des agresseurs et en défaveur des victimes.
Comment peut-on s’attacher à cette exigence de proportionnalité lorsque l’on sait la réaction psychologique instinctive qu’une agression entraîne chez sa victime ?
Peut-on sérieusement penser que la victime d’une agression va raisonner en termes de proportionnalité pour se défendre ?
Lorsqu’une personne est agressée, elle ne pense qu’à une chose : mettre un terme à l’agression.
Une agression entraîne un choc psychologique :
la victime est d’abord surprise ;
une fraction de seconde plus tard elle est paniquée.
On ne peut donc pas exiger qu’une victime d’agression sorte sa règle et son compas pour calculer si oui ou non son geste de défense est proportionné à l’attaque.
Une victime d’agressions ne raisonne pas comme cela.
Une victime d’agression tente simplement de s’en sortir.
Une victime d’agression n’a rien demandé : elle est victime !!!
La victime d’une agression devrait bénéficier d’une présomption, en toutes circonstances, de proportionnalité.
Cela devrait être à l’agresseur de prendre tous les risques :
les risques juridiques devant un tribunal ;
les risques factuels pour le cas où il tomberait sur une victime capable de se défendre.
Il faut le reconnaître : nous vivons dans une société de plus en plus violente où les agressions sont de plus en plus nombreuses.
L’exigence de proportionnalité est particulièrement mal placée.
Elle assure en tout cas de beaux jours aux agresseurs !
2b) La légitime défense sur le lieu de travail : notre cas d’espèce.
Dans notre cas d’espèce, en frappant son agresseur au visage mais sans le blesser sérieusement, les conditions de la légitime défense étaient réunies puisque ce salarié avait fait face à une agression.
D’ailleurs, l’agresseur en question n’a pas porté plainte.
De la même façon, il n’a pas fait constater ses blessures par un médecin afin de se voir prescrire une interruption de travail.
Ce salarié a donc eu raison de se défendre !
Cela n’a pas empêché pas le conseil des prud’hommes de débouté ce salarié de toutes ses demandes au motif qu’il était expert en arts martiaux.
On constate ici que les conseillers prud’homaux n’avaient que très peu de connaissances sur les arts martiaux.
Le salarié en question était ceinture noire deuxième dan en karaté et en aïkido.
À ce niveau de compétence, un pratiquant d’arts martiaux peut faire ce qu’il veut avec son agresseur : il peut le repousser, le blesser sans gravité, le blesser très sérieusement et même le tuer.
Le pratiquant d’arts martiaux sait exactement comment calibrer sa riposte pour obtenir le résultat voulu et pour mettre un terme à l’agression dont il fait l’objet.
En l’espèce, l’agresseur a simplement eu un hématome au visage.
Ce salarié a donc très justement “calibré” sa riposte pour mettre un terme à l’agression dont il était victime en évitant de blesser son agresseur plus qu’il ne fallait.
Il fallait en effet une réelle maîtrise de sa part, après avoir été injustement accusé de vol et d’avoir fait l’objet d’une fouille au corps de la part de cet individu.
Qui accepterait d’être accusé de vol, fouillé et agressé physiquement à la sortie de l’entreprise sans réagir ?
Maîtrisant parfaitement son art, ce salarié a proportionné sa riposte de manière à mettre simplement un terme à cette agression.
Mais l’employeur avait visiblement un parti pris et/ou une méconnaissance totale du sujet.
L’employeur a sauté sur l’occasion pour licencier ce salarié.
Le conseil des prud’hommes est parti du principe que ce pratiquant d’arts martiaux aurait dû se maîtriser.
Or cela fut le cas : il suffisait de lire le dossier et de se renseigner un tout petit peu sur ce que les arts martiaux vous permettent de faire pour s’en rendre compte.
Il aurait été intéressant de savoir ce qu’en aurait dit une juridiction pénale…
Nous ne le saurons pas puisque l’agresseur n’a pas déposé plainte…
Il était sans doute plus facile d’aller rapporter ces faits à son employeur (avec lequel on s’entend peut-être très bien…) plutôt que d’aller les exposer devant un tribunal correctionnel !
Sous le couvert d’une application plutôt légère des règles relatives à la légitime défense, le conseil des prud’hommes a ignoré les règles relatives au droit du travail.
3. La solution retenue par le Conseil de prud’hommes de Strasbourg.
Le droit du travail offre toute une palette de sanctions à l’égard d’un salarié qui commet une faute professionnelle.
Il appartient à l’employeur d’apprécier les circonstances exactes.
Ces circonstances regroupent bien évidemment les faits en eux-mêmes, mais pas seulement !
L’employeur devra tenir compte de l’ancienneté de son salarié, de son cursus au sein de l’entreprise, de son dossier disciplinaire et surtout de ses explications.
En l’espèce, le salarié avait sept ans d’ancienneté au sein de l’entreprise et ne s’était jamais fait remarquer.
Son dossier disciplinaire ne mentionnait aucune sanction.
Ce salarié a relaté à son employeur les faits et ce dernier ne s’est pas ému du comportement de son collègue de travail.
Peut-être aurait-il pu convoquer ce collègue de travail pour lui demander :
pourquoi il s’était permis de porter des accusations mensongères à l’encontre de ce salarié ;
pourquoi il s’était permis de le fouiller au corps ;
pourquoi il s’était permis de l’attendre à la sortie de l’entreprise pour avoir une explication plus virile !
Cet employeur a préféré licencier son salarié sans autre forme de réflexion.
Il aurait pourtant pu se dire qu’il s’agissait là d’un incident regrettable, mais dont son salarié n’était à l’origine.
Il aurait alors pu infliger aux deux intéressés un simple avertissement afin de marquer le coup et de s’arrêter là.
En ce qui me concerne, je n’aurais adressé d’avertissement qu’au seul collègue de travail qui était à l’origine de cet incident.
L’agresseur est resté au sein de l’entreprise.
L’agressé a dû affronter une deuxième injustice : son licenciement.
Le conseil des prud’hommes s’est contenté de souligner les compétences du salarié en arts martiaux pour en conclure que celui-ci n’avait pas le droit de se défendre…
Le conseil des prud’hommes a donc rajouté une condition non prévue par le code pénal qui ne prévoit pas un traitement plus sévère à l’égard des sportifs qu’à l’égard de ceux qui ne le sont pas.
Il a également méconnu le code du travail qui lui impose de faire une appréciation globale de la situation et qui dispose surtout qu’en cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié.
A supposer qu’il y ait pu y avoir quelques hésitations sur le comportement que ce salarié aurait dû avoir, les circonstances auraient dû peser en sa faveur car :
En aucun cas ce salarié n’aurait dû être accusé de vol.
Jamais ce salarié n’aurait dû être fouillé au corps par un individu qui n’avait absolument pas compétence ni pouvoir pour cela.
La pratique des arts martiaux peut donc parfois se retourner contre le pratiquant lui-même.
Le fait de savoir se défendre vous interdit de vous défendre.
Il s’agit là d’un curieux paradoxe.
Les arts martiaux ont donc été percutés d’une manière peu orthodoxe qui ignorait à la fois le droit pénal et le droit du travail.
Mais il ne s’agissait là que d’un premier round.
L’affaire a été portée devant la cour d’appel.
4. La solution retenue par la Cour d’appel de Colmar le 26 janvier 2017.
La cour d’appel de Colmar a fait une analyse minutieuse, juridique et factuelle du dossier.
Celle-ci a infirmé le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes.
La légitime défense a été retenu au profit de notre client sans ambiguïté.
La Cour d’appel mentionne expressément dans son arrêt :
“ Il est avéré que Monsieur XXX a été agressé à son arrivée au travail le 24.09.2013 avant sa prise de poste à 5h00 par Monsieur YYY qui est délibérément venu l’interpeller alors qu’il était lui même en repos, et ce après l’avoir accusé la veille d’avoir volé son argent, et ce sans fondement. Certes Monsieur YYY a souffert de blessures infligées par Monsieur XXX qui a été amené à riposter et a ainsi participé à une bagarre qu’il n’a pas provoqué…
En conséquence, l’employeur ne peut valablement reprocher à Monsieur XXX d’avoir manifesté un comportement violent…
Il en ressort donc des données du débat que le licenciement pour faute grave de Monsieur XXX est infondé…”
On ne saurait mieux dire !!!
La cour d’appel a dégagé l’essentiel de cette affaire, à savoir :
le salarié a fait l’objet d’une agression injuste ;
celui-ci a été amené à riposter alors qu’il n’était pas à l’origine des faits ;
cette riposte et ses conséquences ne sont pas disproportionnées.
Légitime défense et licenciement : cette rencontre improbable que notre cabinet a eu à traiter s’est achevée en faveur de notre client.
Faire reconnaître la légitime défense n’est pas toujours aisée.
Mais lorsque celui qui se défend est adepte de sports de combat, la tâche est plus difficile encore car il pèse injustement un soupçon sur lui.
Il ne faut rien lâcher et ne rien concéder.
Lorsque quelqu’un se défend face à une agression, peu importe qu’il soit sportif ou non dans tel ou tel domaine : le droit de se défendre doit être reconnu à chacun de la même façon. Tel est l’enseignement de cette affaire.
Légitime défense et licenciement : le premier doit exclure le second !
Le droit de se défendre et le fait de se défendre ne doivent jamais se retourner contre celui qui a le courage de se défendre.
Il serait temps que les esprits évoluent sur la question.
Discussions en cours :
Quelle est la référence de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar en date du 26 janvier 2017 s’il vous plaît ?
Il semblerait que l’altercation se déroule sur le lieu de travail.
La responsabilité de l’employeur est donc engagée.
Selon le code du travail ou ce qu’il en reste, l’employeur ne devait il pas faire une mise à pied immédiate pour les salariés concernés y compris le troisième qui était intervenu dans l’agression N° qui consistait à fouiller et mettre à nu le salarié ?????????
En ce qui concerne la décision du conseil des prud’hommes, malheureusement leur jugement est inqualifiable !!!!! mais cela n’a rien de bien étonnant d’une part ils connaissent peu ou pas le droit et d’autre part il y a souvent une prise de parti qui n’a rien à voir avec l’application du droit.
Ce fait est réellement grave mais pas autant isolé que cela, le bizutage existe dans certaines entreprises. La période de crise que nous connaissons fait souvent que chacun se tait par peur de représailles ( ce qui peut être le cas du comportement lors de la 1ere intervention).
A l’heure où l’on parle de souffrance au travail, pénibilité ou autre il serait peut être pertinent d’avoir des ORGANES JURIDIQUES COMPETENTS et non des tribunaux de complaisance .
Je salue le courage de Maître Reins de défendre le droit des victimes.
Notre société est trop souvent vent debout pour soutenir les agresseurs, les présentant comme de fausses victimes. Jusqu’où un individu doit-il accepter d’aller ? Se laisser insulter, rudoyer, agresser, finir par être licencier par un patron partial, et pour comble, soutenu en cela par les prud’hommes !
Si Thémis, sous les traits d’une femme au yeux bandés, symbolise l’impartialité, dans ce cas d’espèce, les juges prud’hommaux en ont fait le symbole de l’aveuglement. Peut-on demander à quelqu’un d’être une victime passive ? Les juges peuvent examiner les circonstances et préméditations du délit. Si le droit de se défendre n’est plus considérer comme légitime, le droit du travail devrait quant à lui, faire l’objet d’intégrité. Il n’y a plus qu’à espérer que la cour d’appel aura davantage de clairvoyance et ne donnera pas l’occasion aux agresseurs de parader à l’issue du jugement.