Clarisse Andry : Avant votre premier poste, comment envisagiez-vous votre carrière de juriste, et son évolution ? Aviez-vous des attentes particulières, des projets précis ?
Oréade Knobloch : Jusqu’en licence, je n’avais pas de projet professionnel sérieux. Tout était très abstrait : j’étudiais en double cursus droit-géographie en imaginant devenir urbaniste freelance, mais j’hésitais beaucoup avec commissaire.
Je ne pensais pas du tout devenir juriste, et surtout pas en droit du travail. Parallèlement à mes études, j’ai exercé plusieurs emplois où j’ai été conduite à gérer les heures supplémentaires de salariés, les réalisations de plannings en respectant les temps de repos quotidiens, ... Je pensais que c’était ça, le métier de juriste de droit social, et je ne m’y projetais pas du tout.
Ce n’est qu’en troisième année de licence que j’ai fait la découverte du droit des relations collectives de travail. Dès le premier chapitre sur la grève, j’ai choisi de me spécialiser en droit social pour la quatrième année.
Et lorsque j’ai appris, après quelques recherches, que le poste de « juriste de droit des relations collectives de travail » s’appelait « chargé de relations sociales », j’ai choisi de réaliser ma dernière année de master en alternance à ce poste.
C.A. : Et comment aviez-vous construit ces projets de carrière ?
O.K. : Pour trouver des informations sur le métier de juriste de droit social / chargée de relations sociales, j’ai épluché les profils de professionnels sur les réseaux sociaux comme Viadéo et Linkedin. Ils avaient très souvent suivi une double formation : droit social /droit des affaires, ou droit social /gestion RH. Après mon Master 1 de droit social, j’ai donc choisi de postuler dans des Masters 2 cumulant à la fois juridique et gestion RH, car mon objectif était d’acquérir une formation plus généraliste, et pas exclusivement juridique. Et je ne le regrette pas : une juriste de droit social ne fait pas que du droit, elle est aussi conduite à gérer des conflits inter-personnels ou à présenter des bilans sociaux. C’est donc ma dernière année de Master, en alternance, qui m’a réellement préparée professionnellement.
C.A. : Avec votre arrivée dans le monde du travail, vos perspectives d’évolution ont-elles changé ?
O.K. : C’est inévitable ! J’ai découvert les relations sociales lors de mon année d’apprentissage chez Thalès, où j’ai eu la chance de travailler sur plusieurs gros chantiers simultanés. Auparavant, j’imaginais naïvement que le juriste travaillait seul, le nez dans ses codes, un peu comme un étudiant.
J’ai ensuite enchaîné sur des CDD longue durée et je ne le regrette pas. Déjà, j’ai constaté qu’un CDD sera souvent mieux rémunéré qu’un CDI pour un jeune diplômé. Mais surtout, au balbutiement de ma carrière professionnelle, j’étais paradoxalement rassurée par l’idée de ne pas être en CDI. Cela m’a permis de préciser mes attentes et mes projets : définir quel type de secteur me plaît (la distribution), dans quel type d’équipe (taille réduite), avec quel type de manager direct... Cependant, j’habite à Paris, où l’offre d’emploi est riche, et j’aurais certainement une autre vision si je résidais ailleurs.
Je suis aujourd’hui en CDI. Les perspectives d’évolution sont variées pour une juriste de droit social : juriste senior, responsable relations sociales, voire même responsable RH, si l’on envisage de se réorienter vers un poste plus généraliste.
C.A. : Trouvez-vous avoir été bien informée lors de votre formation ? Avez-vous constaté un décalage entre ce qui a pu vous être dit et la réalité d’un développement de carrière de juriste ?
O.K. : Je trouve qu’il est difficile de construire un projet de carrière lorsqu’on est étudiant en droit, a fortiori lorsqu’on ne connaît personne évoluant dans le domaine juridique. A la faculté, on nous a beaucoup présenté le métier d’avocat, un peu celui de magistrat. Toutes les informations relatives au métier qui est aujourd’hui le mien, je les ai trouvées, dans un premier temps, seule sur internet. Ce sont ces recherches personnelles qui m’ont conduite à adresser ma candidature au Master 2 adéquat, puis d’y approfondir mes compétences.
Mes quatre premières années d’étude ne m’ont pas appris à être opérationnelle. J’ai réalisé trois stages en cabinets d’avocats de ma propre initiative. Ils ne comptent pas dans les dossiers académiques, pas plus que les emplois étudiants qui participent pourtant à notre formation, notamment sur la savoir-être. Je trouve dommage que la professionnalisation ne soit pas davantage valorisée à l’université. En entrant sur le marché du travail, j’ai pourtant découvert que les recruteurs étaient friands de candidats qui ont travaillé pendant leurs études !
C.A. : Aujourd’hui, que comptez-vous privilégier dans le développement de votre carrière ?
O.K. : Dans mon poste actuel, je fais autant de droit individuel du travail que de droit collectif ou de santé et sécurité au travail. Je voudrais privilégier le développement de mes compétences en droit des relations collectives, car cette matière fait l’objet de très nombreuses transformations ces dernières années. Je ne voudrais pas rater le coche.
Ensuite, j’envisage de privilégier un secteur qui m’intéresse. On passe tellement de temps au bureau qu’il me paraît essentiel de contribuer à un projet dans lequel on se reconnaît. Dans la distribution, l’environnement est multi-site et tout va très vite, tout est « pour hier ». C’est très stimulant et aujourd’hui, cela me convient très bien.
A terme, je suppose que pour progresser, je voudrais acquérir des compétences managériales, en plus de travailler dans un environnement anglophone. Mon niveau d’anglais me le permettrait, mais je crois qu’il est d’abord nécessaire que je maîtrise correctement les nouveautés législatives en matière de droit social, avant d’essayer de les déployer auprès de salariés anglophones.
J’aimerais aussi dispenser des cours de droit. J’ai eu l’occasion d’animer des ateliers de formation en droit social auprès d’équipes RH. Cet exercice de transfert de compétences m’a beaucoup plu.