Actualité du 6 novembre 2009
Réflexions sur les conséquences de la refonte des dispositions consacrées à l’établissement du rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes proposée par le Rapport Grésy.
Au moment où va s’engager la concertation entre les partenaires sociaux sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans l’entreprise et les moyens à mettre en œuvre pour aboutir à une telle égalité, si possible à fin 2010 (selon le souhait du Ministre du Travail, Monsieur Xavier Darcos) et après la remise du Rapport de Madame Brigitte Grésy qui propose d’instaurer des quotas de femmes dans les centres de direction des entreprises mais aussi dans les organisations syndicales et les IRP, mesure de loin la plus critiquée de part et d’autre, il est bon de s’interroger sur les conséquences prévisibles des autres mesures proposées, notamment concernant l’établissement du rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes.
Pour un praticien du droit social, confronté à des dossiers contentieux mettant en œuvre le principe d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, l’apport des mesures préconisées par le Rapport Grésy sera considérable.
Il permettra sans aucun doute une meilleure administration de la preuve, raison principale pour laquelle il y a actuellement si peu de contentieux. Mais il aura d’autres effets qui modifieront en profondeur les pratiques des directions des ressources humaines.
Les grandes lignes des propositions du Rapport sont, à cet égard, les suivantes :
obliger les entreprises à respecter les exigences légales (établir le rapport de situation comparée des hommes et des femmes, ainsi que, le cas échéant, la négociation) en sanctionnant le manquement d’établissement du rapport par une amende
imposer dans le rapport de situation comparée des hommes et des femmes l’utilisation de repères économiques légaux : ainsi, on aboutira à uniformiser et rationaliser l’information, à la rendre plus visible, plus simple, plus utile et donc utilisable par les femmes dans les recours contentieux ou dans leurs revendications au sein de leur entreprise
obliger les entreprises à s’engager sur l’évolution positive des repères chiffrés choisis : ceci correspond, pour les entreprises, à un engagement à mettre réellement en pratique des mesures favorables aux femmes et à obtenir des résultats positifs
permettre un suivi sur la durée, donc une évaluation en quantité, en qualité et dans le temps des effets des mesures
promouvoir une visibilité positive ou négative simple et objective des entreprises sur le thème du traitement fait aux femmes : par delà un label « égalité » fondé sur des affirmations, il sera possible de constater dans les faits la position réelle des entreprises.
On obtient donc, sur la durée, un cercle vertueux imposé aux entreprises, par la conjonction de quatre effets.
Premier effet :
Les organisations syndicales, qui pour l’instant ne se passionnent pas pour une question où elles n’ont pas trouvé beaucoup de « grain à moudre », utiliseront plus et mieux le sujet du rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes dans sa nouvelle version, en ce qu’il leur donnera plus facilement la possibilité de mettre en avant avec lisibilité le résultat de leur action.
Il faut donc s’attendre à un changement de comportement des organisations syndicales sur ce sujet et sur la négociation qui pourra en découler, en termes de véhémence et d’exigence. Les directions des ressources humaines seront donc amenées à traiter en profondeur et avec rigueur la question de l’égalité de traitement qui deviendra un enjeu syndical majeur. et une composante essentielle de leur politique RH globale.
De plus, les salariées sont également des électrices lors des élections professionnelles. Par conséquent, les organisations syndicales auront à cœur de représenter avec fougue leurs revendications d’égalité de traitement et pourront même se livrer à des surenchères dans ce domaine.
Second effet :
L’administration de la preuve sera facilitée pour la salariée qui souhaitera saisir, soit son supérieur hiérarchique au sein de l’entreprise, soit la HALDE, soit un Conseil des Prud’hommes, sur un traitement inégalitaire qui lui est fait.
On peut donc anticiper une évolution du comportement des salariées sur ce type de situations et une augmentation de leurs revendications, salariales notamment et, par conséquent, une nécessaire évolution de la politique de management des ressources humaines pour gérer ces revendications en interne.
On peut aussi légitimement pronostiquer une augmentation des contentieux prud’homaux et des saisines de la HALDE avec un pourcentage élevé de succès de ces contentieux car, l’administration de la preuve étant facilitée et les éléments objectifs et chiffrés étant disponibles et non contestables (puisque issus des rapports établis par les entreprises elles-mêmes), les entreprises seront plus facilement condamnées.
On peut donc finalement prédire un impact financier important pour les entreprises si les mesures du Rapport Grésy sont mises en place, soit dans le cadre de la concertation entre les partenaires sociaux, soit par la Loi. Impact financier découlant des revendications salariales auxquelles les entreprises devront répondre favorablement. Impact financier de la gestion des contentieux portant sur des comportements patronaux attaqués comme non conformes au principe d’égalité de traitement, les salariées demanderesses ayant d’autant moins la tentation de négocier une transaction pour se désister de leur action prud’homale qu’elles seront en possession d’éléments chiffrés objectivement imparables leur permettant d’obtenir gain de cause en justice. Enfin, impact financier des condamnations judiciaires auxquelles s’exposeront les entreprises jugées irrespectueuses des mesures d’égalité de traitement.
Troisième effet :
la conséquence des mesures du Rapport Grésy sera une bien meilleure connaissance de l’attitude de chaque entreprise sur la situation qu’elle réserve à ses salariées. Cet effet « miroir » d’entreprise favorable ou défavorable aux femmes pourra produire un impact négatif dévastateur en terme d’image et fortement handicaper la politique RH de l’entreprise ainsi stigmatisée.
Il sera possible de dresser des palmarès pour distinguer les meilleures entreprises et les pires et les femmes, notamment les jeunes diplômées, pourront choisir leur futur employeur sur ce critère objectif. Ceci constituera sans nul doute un problème pour les entreprises qui recherchent de « hauts potentiels » féminins…
Allons plus loin, les femmes sont également des consommatrices, que ce soit pour leurs besoins personnels ou pour les besoins de leur famille ou de leur couple ; il a d’ailleurs été démontré qu’elles ont une influence prépondérante sur nombre des achats relatifs à l’ensemble des autres membres de la famille. Ne pourrait-on pas assister à des situations de boycott de certains produits par les femmes, simplement parce que ces entreprises auraient une image particulièrement négative en ce qui concerne le traitement qu’elles réservent à leurs employées ?
Quatrième effet :
On peut envisager que les obligations tenant au respect du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes deviendront une composante essentielle et symbolique de la politique RH globale des entreprises en raison de la force de ce principe, de son acceptation unanime et de sa visibilité.
Celles-ci prépareront le rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes avec le soin qu’elles apportent aux documents juridiques qu’elles établissent ou négocient en sachant combien ils sont susceptibles d’avoir pour elles de graves conséquences tant sur leur trésorerie que sur leur réputation. Elles pourront par conséquent chercher à s’entourer d’avis d’experts et organiser une communication particulière autour de ce document.
Nadine REGNIER ROUET
Avocat à la Cour, spécialisé en droit social,