Denis Musson : « La formation est au cœur de l'action du Cercle Montesquieu ».

Denis Musson : « La formation est au cœur de l’action du Cercle Montesquieu ».

Rédaction du village

Directeur juridique et membre du comité exécutif d’Imerys, Denis Musson est également président du Cercle Montesquieu. Il livre sa vision d’une fonction de directeur juridique promise à un bel avenir, notamment après la mise sur pied d’une formation diplômante Executive Master General Counsel, prise en charge par Sciences Po Executive Education à compter de janvier prochain.
Les Affiches Parisiennes ont interviewé Denis Musson (article original à lire ici).

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Affiches Parisiennes : Quelle est votre vision de la fonction du directeur juridique au sein d’une grande entreprise, mais aussi dans une PME ?

Denis Musson : Je pense que la fonction de directeur juridique (DJ) a de belles années devant elle, parce qu’elle est à présent au carrefour des différentes fonctions de l’entreprise. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins. Les directions générales voient en nous des conseillers indépendants. C’est d’ailleurs ce qu’elles recherchent : une opinion objective, adaptée à l’entreprise et à sa stratégie. Ce qui est très nouveau, me semble-t-il, c’est que nous devons à présent connaître l’entreprise de manière intime pour pouvoir à la fois donner des avis juridiques adaptés aux objectifs opérationnels ou économiques poursuivis, mais aussi être à même d’utiliser nos compétences en droit pour identifier et présenter de nouvelles opportunités pour le développement des activités de nos clients internes.

Dans les analyses que nous faisons, quels que soient les sujets ou les situations concernés, nous devons avoir une parfaite connaissance des risques juridiques auxquels nous sommes confrontés et de la tolérance, ou de l’appétence, à de tels risques de la part de l’entreprise dans laquelle nous exerçons. Toutes ces caractéristiques s’appliquent d’ailleurs aussi bien aux petites qu’aux grandes entreprises. La dimension «  management  » est également devenue l’une des exigences essentielles de la fonction. Le directeur juridique d’aujourd’hui doit être un manager à part entière, aussi bien en termes d’adhésion et de contribution au projet d’entreprise, qu’en termes de gestion optimisée du budget qui lui est alloué. Ce budget encadre et guide la gestion des ressources humaines internes mises à disposition de la fonction juridique interne, le recours aux ressources externes qui viennent les compléter (avocats, conseils…), ainsi que les moyens matériels (incluant des outils et systèmes d’information, de gestion…) nécessaires à l’exercice des missions qui lui sont confiées. Le DJ doit avoir toutes ces compétences, assorties d’une responsabilité sur les résultats, notamment pour les effets de son action au sein de l’entreprise. Cette responsabilisation va de pair avec la reconnaissance de la fonction et de ses succès… en contrepartie de la charge d’assumer ses éventuels échecs ou erreurs !

A.-P. : Vous parlez d’indépendance et d’objectivité, alors qu’on vous reproche justement un lien de subordination…

Denis Musson
Président du Cercle Montesquieu

D. M. : C’est le vieux débat sur le lien de subordination qui serait soi-disant inhérent au contrat de travail… alors que celui-ci ne fixe que les modalités d’organisation du travail du juriste interne en entreprise. Le professionnel du droit, qui a choisi un mode d’exercice libéral ou salarié, ne peut exercer ses fonctions qu’en toute indépendance intellectuelle. Je suis convaincu que ce qui fait la qualité technique de nos avis – et j’en reçois tous les jours le témoignage de la part des clients internes de mes équipes juridiques –, c’est justement l’indépendance avec laquelle ils sont rendus. Quand on interroge aujourd’hui les dirigeants d’entreprise, ils déclarent rechercher auprès de leur directeur juridique comme une de ses premières qualités… l’objectivité de son jugement professionnel. Cette dernière est, à mon avis, assurée par le fait que le directeur juridique et son équipe n’entrent pas dans la course au pouvoir au sein des entreprises et doivent bien s’en garder. C’est aussi ce qui leur permet d’être les confidents de leurs clients internes pour encore mieux les conseiller ! À ce titre, je trouve un parallèle très clair entre notre fonction, telle que je la vis, et celle de l’avocat glorifiée par le Conseil national des barreaux.

Je crois personnellement que l’image d’un chef d’entreprise intimant à son directeur juridique, «  voilà la conclusion à laquelle aboutir, remets moi maintenant l’avis juridique qui la justifie  » est aussi surannée que celle d’Épinal ! À supposer que ce type de pression puisse encore se manifester, elle serait identique (sinon encore plus forte) pour l’avocat externe dont une part significative du chiffre d’affaires dépendrait d’un tel client ! À mon sens, cette vision totalement dépassée de l’exercice professionnel du droit en entreprise est véhiculée par ceux qui ne pratiquent pas le conseil aux entreprises ou ne comptent pas parmi leurs partenaires et clients des juristes internes… dont un nombre pourtant croissant sont d’anciens avocats !

A.-P. : Pourquoi la fonction de juriste d’entreprise nécessite la confidentialité des avis ?

D. M. : Tout le monde reconnaît à présent que le juriste d’entreprise est soumis au secret professionnel. C’est d’ailleurs ce qu’a repris le CNB dans son rapport sur le legal privilege. La difficulté résulte de ce que ces obligations ne s’accompagnent pas de son indispensable corollaire qui est le droit à la confidentialité ! Or, ce droit est essentiel pour pouvoir conseiller son «  client interne  » qu’est l’entreprise sans risquer que les informations, échanges et avis relatifs à ces conseils se retrouvent comme éléments à charge dans le cadre d’enquêtes ou de procédures contentieuses, notamment à l’étranger. L’enjeu de la reconnaissance et de la protection de la confidentialité, c’est la préservation de ce lien de confiance recherchée par les dirigeants et les opérationnels de l’entreprise avec leurs juristes internes. Grâce à la mobilisation des associations de juristes (Cercle Montesquieu et AFJE notamment), de plus de 150 dirigeants et des organisations représentatives d’entreprises, presque toutes les parties prenantes ont reconnu, à l’occasion des débats sur le projet de loi Macron, l’urgente nécessité de remédier à cette absence de protection de la confidentialité qui expose la profession de juriste d’entreprise en France et les entreprises elles-mêmes, à une distorsion de concurrence avec leurs homologues étrangers avec lesquels elles ne luttent pas à armes égales. En dépit de ce large accord sur le diagnostic et l’objectif à atteindre, il n’a pourtant pas été possible de faire adopter les solutions avancées dans l’intérêt général en raison de l’opposition conservatrice et destructrice de certains.

La situation actuelle incite nos juristes français souhaitant poursuivre une activité internationale à s’inscrire à des barreaux étrangers, notamment américains, pour bénéficier au moins de la protection du legal privilege à l’extérieur de nos frontières. C’est probablement aussi l’une des raisons qui explique que plus de la moitié des DJs des groupes du CAC 40 sont aujourd’hui étrangers et toujours inscrits à leur barreau d’origine ! Les cabinets d’avocats étrangers, notamment anglo-saxons, ne manquent pas non plus d’exploiter le débat qui s’éternise en France sur cette question pour attirer la localisation des sièges centraux des entreprises internationales et de leurs directions juridiques vers leur place de droit au bénéfice de leur industrie juridique nationale.

A.-P. : Quelqu’un est-il parvenu à quantifier cette perte potentielle ?

D. M. : Cette perte est très diffuse, progressive et difficile à quantifier, à l’instar de celle liée à la fuite des sièges sociaux. Les groupes internationaux favorisent néanmoins très clairement aujourd’hui, avec le développement des réglementations et procédures judiciaires aux effets extraterritoriaux (notamment d’origine anglo-saxonne) et la régression du choix du droit français dans les contrats internationaux, l’installation de leurs fonctions juridiques européennes dans des pays estimés plus sûrs et accueillants pour les juristes internes comme les Pays-Bas, l’Angleterre ou la Belgique… Mais certainement pas la France ! Ce qui se propage dans les fonctions juridiques internationales des groupes étrangers c’est que leurs deux maillons faibles en Europe sont : en premier lieu la France, en second l’Italie.

A.-P. : Vous avez évoqué les qualités managériales du directeur juridique. Vous devez apporter une grande importance à la formation continue, à l’éthique dans les affaires, à la déontologie du juriste d’entreprise, notamment à travers le code de l’AFJE, de l’ECLA… Est-ce l’une des raisons qui ont conduit le Cercle Montesquieu à lancer un appel d’offres de formation spécifique ?

D. M. : Depuis longtemps, la formation est au cœur des grands axes d’action du Cercle Montesquieu. Elle prend en compte la formation de nos équipes internes et celle des jeunes qui nous rejoignent, à travers la formation continue la mieux adaptée aux besoins de l’entreprise. Le troisième axe est celui l’autoformation des responsables juridiques. Sur ce point, nous nous sommes aperçu qu’il n’existait rien chez nous ; pas de formation dispensée de manière adaptée à la population que nous représentons et à la fonction que nous exerçons. On trouve de telles formations en Angleterre, aux États-Unis, mais pas en France. Nous avons des formations de management général, type Insead, formation continue HEC, etc. mais pas d’offre adaptée spécifiquement à nos fonctions.
Nous avons pensé qu’il y avait un besoin parce que la fonction de management juridique exige aujourd’hui un certain nombre de compétences qui n’ont été acquises ni à l’université ni au fil des formations continues internes ou externes suivies, ni même dans la pratique quotidienne en entreprise. Il peut manquer des fondamentaux en finance, stratégie d’entreprise, management des ressources humaines, etc. Il fallait donc appréhender ces modules de base à l’aune des besoins, de la tournure d’esprit et des nouvelles exigences spécifiques aux fonctions juridiques internes. Nous devions répondre à ces besoins pour élargir la panoplie d’outils à la disposition des futurs directeurs juridiques ou même de ceux déjà en poste. Nous voulions parallèlement aiguiser notre curiosité aux enjeux de demain, à la fois pour l’entreprise et pour la fonction juridique, pour en anticiper les conséquences dans l’exercice des responsabilités confiées aux animateurs de cette fonction et les préparer à leurs évolutions futures possibles.

Troisième point, de plus en plus important aujourd’hui : la communication à tous les niveaux, en interne, vis-à-vis de ses équipes, vis-à-vis de son management ou à destination des actionnaires, avec une propension à exprimer clairement les messages sur les risques juridiques, par exemple, ou l’information externe, type communication de crise. Nous nous sommes dit qu’il y avait là un champ à investiguer pour mieux répondre à ces enjeux majeurs de la fonction.
Le tout avec la dimension internationale et networking entre les futurs diplômés de cette formation diplômante. Au niveau international, nous pensons que la France a un rôle à jouer, au moins au niveau de l’Europe continentale, compte tenu de la qualité de son enseignement, de l’attractivité de Paris. Nous devions trouver des spécialistes qui nous aident à penser cette formation, en manifestant un véritable engagement. Lors de notre appel d’offres, Sciences Po Executive Education, associée à l’Ecole de droit de Sciences Po s’est montrée la plus impliquée, la plus motivée et la plus innovante. Le Cercle Montesquieu et Sciences Po Executive Education se sont donc rapprochés pour la création de ce programme diplômant à destination des responsables juridiques d’organisations françaises et internationales.

A.-P. : Le Cercle Montesquieu est-il intervenu dans l’élaboration du programme de cette formation diplômante ?

D. M. : De nombreux directeurs juridiques – ou ex-directeurs juridiques –, membres du Cercle Montesquieu, se sont largement impliqués dans l’élaboration du cahier des charges définissant les grands axes de cette formation Executive Master General Counsel. C’est un travail de longue haleine auquel a notamment pris part Armelle Bresson-Trichard, directrice juridique de Schlumberger France, Anne-Sophie Le Lay – directrice juridique Groupe de Renault, –, Gérard Gardella – ancien directeur juridique Groupe de la Société générale, –, Peter Herbel – avocat associé au barreau de Düsseldorf, ancien directeur juridique Groupe de Total, ndlr –, Serge Petetin, ancien directeur juridique de Keolis, autour de Philippe Melot, partner chez Legalteam, (conseil en management pour les professions juridiques) et anciennement directeur juridique et Président du Cercle Monstesquieu. Ils ont été au cœur du projet, déterminant avec les représentants de Sciences Po et Christophe Jamin, les grandes lignes du programme et le choix des intervenants.

A.-P. : A qui est destinée cette formation d’Executive Master General Counsel ?

D. M. : Cette formation s’adresse en priorité aux juristes confirmés et à haut potentiel des directions juridiques, ayant au moins 10 d’expérience, exerçant déjà des responsabilités au sein de l’entreprise et désireux de franchir une étape supplémentaire dans leur carrière. Elle est également ouverte aux avocats confirmés, aux magistrats et même aux membres de la fonction publique qui souhaiteraient intégrer l’entreprise pour y occuper des postes de responsables juridiques.

A.-P. : Quelles sont les vertus premières de cette formation Cercle Montesquieu – Sciences Po Executive Education ?

D. M. : Cet Executive Master General Counsel a pour ambition de renforcer le rôle de leader d’équipe du responsable juridique, de lui permettre d’agir en tant que partenaire stratégique de la direction générale de son entreprise et de développer ses capacités à être membre clef des instances dirigeantes des organisations. Cette formation va également donner une vision d’excellence nationale de notre profession. Elle doit contribuer au rayonnement de la pratique du droit en entreprise et des «  General Counsels  » en France et dans le monde.

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