L’astreinte en droit des affaires : une mesure souvent efficace pour obtenir l’exécution.

Par Alexandra Six, Avocat.

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L’astreinte est une somme d’argent qu’une personne débitrice d’une obligation de faire ou de ne pas faire, doit payer au créancier de la prestation jusqu’à ce qu’elle se soit exécutée. Le montant de la contrainte est fixé généralement pour chaque jour de retard.

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L’obligation accomplie, si le juge a décidé que la contrainte aurait un caractère définitif, le créancier récupère le montant accumulé de la contrainte, si, en revanche, le juge a décidé qu’elle serait seulement comminatoire, la contrainte ne présente alors qu’un caractère provisoire, et, dans ce cas, le créancier doit faire liquider par le juge le montant définitif de sa créance.
Elle peut profiter à n’importe quelle personne privée, physique ou morale, française ou étrangère dès lors que cette personne est celle au bénéfice duquel l’astreinte a été rendue.
La loi différencie l’astreinte des dommages et intérêts notamment dans un arrêt de la chambre commerciale du 7 juillet 2009 no 08-15.835.

I) Champs d’application de l’astreinte

L’astreinte peut accompagner tout jugement, peu important l’objet de l’obligation à laquelle le juge a condamné le débiteur. Elle peut en principe être prononcée au profit ou à l’encontre de toute personne physique ou morale, privée ou publique.
L’astreinte peut être imposée à une obligation de donner, y compris à une obligation de verser une somme d’argent, obligation de faire ou de ne pas faire, que cette obligation est une origine contractuelle ou non.

C’est surtout pour les obligations de faire que les astreintes sont demandées. En effet, l’objectif est de contourner l’article 1142 du Code civil qui prévoit que l’inexécution des obligations de faire se résout uniquement en dommages et intérêts. Le fait d’utiliser une procédure d’astreinte permet de contourner cette obligation en contraignant indirectement le débiteur à exécuter son obligation en nature.
Cependant cet intérêt va diminuer à compter du 1er octobre 2016. L’ordonnance du 10 février 2016 va rentrer en vigueur et ainsi remplacer l’article 1142 par un nouvel article 1221 qui prévoit que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Il n’y a plus de distinction entre obligation de faire et de donner.

Les applications de l’astreinte pour une obligation de faire sont nombreuses et variées :
- l’exécution d’un contrat sous astreinte ;
- obligation sous astreinte a un employeur de délivrer un bulletin de paie (Civ. 2e, 10 nov. 2010, no 09-71.415) ;
- une cour d’appel saisie en référé a pu contraindre sous astreinte des salariés à rompre le contrat de travail qu’ils ont conclu avec leur nouvel employeur pour mettre un terme au démarchage illicite de clientèle auquel ils se livreraient au détriment de leur précédent employeur (Soc. 15 mai 2007, no 06-43.110) ;
- le propriétaire qui subit un empiètement sur son terrain est en droit de demander la destruction sous astreinte (Civ. 3e, 21 oct. 1975, no 74-13.752).

Les obligations de ne pas faire entrent aussi dans le champ d’application de l’astreinte. Mais il faut tout de même faire attention car cela ne concerne que les obligations de ne pas faire qui présentent un caractère successif, le non-respect d’une obligation de ne pas faire ponctuelles ne pouvant donner lieu qu’au payement de dommages et intérêts.

On retrouve la procédure d’astreinte particulièrement en cas de violation de clauses de non-concurrence et de non-rétablissement ainsi que la concurrence déloyale.

- L’astreinte servira à obliger le débiteur d’une clause de non-concurrence à ne plus commercialiser les produits visés par cette dernière (Com. 3 nov. 2004, no 01-17.036 ; - 5 oct. 2004, no 02-17.375) ;
- Une astreinte pourra contribuer à contraindre une société à cesser d’user d’une dénomination sociale, d’un nom commercial et d’une enseigne portant atteinte à une marque déposée ;
- Le cessionnaire des droits d’exploitation d’une œuvre, en l’occurrence un roman, pourra obtenir qu’il soit fait interdiction au cédant, qui a agi au mépris du contrat de cession, de le commercialiser dans une collection à bas prix, et ce, sous astreinte (Civ. 1re, 16 janv. 2007, no 06-13.983) ;
- Une société pourra se voir interdire de poursuivre des actes de concurrence déloyale consistant en la distribution et l’exploitation d’un magazine portant un certain intitulé (Civ. 2e, 7 juill. 2011, no 10-20.296 ;Com. 3 mars 2009, no 08-10.923).

II) Obligations ne pouvant donner lieu à astreinte

L’obligation doit exister. De même l’astreinte ne peut être prononcée ou liquidée lorsque la décision à laquelle elle s’accolait a été infirmée ou annulée, « l’astreinte est une mesure accessoire à la condamnation qu’elle assortit », de sorte que « la cassation de la décision assortie d’une astreinte entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions prises au titre de la liquidation de l’astreinte » Com. 6 mai 2003, no 01-01.118
L’obligation doit être possible. Par exemple l’astreinte pour la production de pièces qu’une personne ne détient pas n’est pas possible (CE 25 janv. 1993 no 106216).
L’obligation doit être licite. On ne peut contraindre un médecin à divulguer un dossier médical protéger par le secret professionnel.

Cette disposition vaut également pour le secret bancaire. On ne peut contraindre une banque à communiquer des pièces sous astreinte. Elle pourra faire valoir le secret bancaire (Com. 21 sept. 2010, no 09-68.994 ; 25 janv. 2005, no 03-14.693).

III) Les juges compétents

La loi 91-650 du 9 juillet 1991, et le Code des procédures civiles d’exécution article L 131-1, al. 1er qui en codifie les dispositions dispose que « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision ».

Tout juge peut prononcer une astreinte, c’est-à-dire aussi bien une juridiction de droit commun (tribunal de grande instance) qu’une juridiction d’exception (conseil de prud’hommes, tribunal d’instance ou encore tribunal de commerce).

Cette compétence vaut aussi bien pour les astreintes provisoires que pour les astreintes définitives.
L’article 491 du Code de procédure civile autorise le juge des référés à prononcer une astreinte : « le juge statuant en référé peut prononcer des condamnations à des astreintes. »
Ces astreintes peuvent présenter un caractère définitif, à la condition qu’une astreinte provisoire ait préalablement été ordonnée (Civ. 2e, 7 juin 2006, no 05-18.332). Il lui est cependant interdit de prononcer une astreinte afin de contraindre à l’exécution d’une décision émanant d’une autre juridiction que celle qu’il incarne.

De plus, l’article 763 du Code de procédure civile autorise le juge de la mise en état devant le TGI à prononcer des astreintes. L’article 865 du Code de procédure civile permet cette action au juge-rapporteur devant le tribunal de commerce ou encore l’article 942 du Code de procédure civile permet le prononcé de l’astreinte au conseiller de la mise en état devant la cour d’appel. Il est établi également que la cour d’appel peut prononcer une astreinte, comme n’importe quel juge (Soc. 20 janv. 1993, no 90-42.345). Par ailleurs, lorsque l’affaire a été mise en état, la demande d’astreinte ne pourra se faire que devant la juridiction chargée d’instruire l’affaire.

Selon la Cour de cassation, le juge qui prononce une astreinte n’a pas à motiver sa décision sur ce point. En effet, « la fixation de l’astreinte relève du pouvoir discrétionnaire du juge » (Civ. 2e, 8 déc. 2005, no 04-13.592). Il pourra choisir soit une astreinte provisoire, soit une astreinte définitive. L’astreinte provisoire « est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter » (C. pr. exéc., art. L. 131-4, al. 1er). À l’inverse, « le taux de l’astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation » (C. pr. exéc., art. L. 131-4, al. 2).

IV) point de départ et montant de l’astreinte

L’article R. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « l’astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire. Toutefois, elle peut prendre effet dès le jour de son prononcé si elle assortit une décision déjà exécutoire ».
Par ailleurs, la Cour de cassation estime dans ce cas que l’astreinte commence le jour de la signification de la décision portant obligation de s’exécuter (Civ. 2e, 23 juin 2005, no 03-16.851).
Le juge détermine librement le montant et les modalités suivant lesquelles l’astreinte est calculée. La raison en est double : d’une part, « l’astreinte est indépendante des dommages-intérêts » et d’autre part, le juge peut l’ordonner d’office.

Le montant de l’astreinte doit tout de même être évalué en fonction des facultés financières du débiteur, tout en tenant compte de l’objectif recherché, à savoir le contraindre à s’exécuter. Prononcer une astreinte dont le montant excède dans des proportions extrêmes les ressources du débiteur s’avère inutile : soit l’astreinte liquidée ne pourra être recouvrée, soit le débiteur aura l’intuition que, au regard de son patrimoine qu’il communiquera au juge, ce dernier n’aura pas d’autre choix que de réduire le montant de l’astreinte.

V) Liquidation de l’astreinte

Une fois que l’astreinte est prononcée elle va falloir la liquider, c’est-à-dire déterminer la somme que le débiteur devra éventuellement payer pour ne pas avoir exécuté correctement l’obligation principale mise à sa charge par le juge. La liquidation traduit la sanction de l’inexécution de cette obligation, encore faut-il prouver que le débiteur a méconnu cette dernière. En ce sens que « seule l’inexécution des injonctions assorties de l’astreinte peut donner lieu à sa liquidation » (Civ. 2e, 9 nov. 2000, no 99-10.299.)

Cette inexécution constitue un fait, qui peut donc être prouvé par tout moyen, même en cas de paiement d’une somme d’argent (Civ. 1re, 6 juill. 2004, no 01-14.618)

Le juge peut prononcer une astreinte, mais il ne peut pas d’office procéder à sa liquidation. Il doit être saisi à cette fin, soit par le débiteur qui entend être fixé sur la condamnation qu’il encourt, soit par le créancier qui désire voir concrétisée une créance d’astreinte. De mêle, la liquidation de l’astreinte peut avoir lieu après l’exécution par le débiteur de l’obligation assortie de l’astreinte, dans le cas où celui-ci ne s’est pas exécuté dans les délais impartis par le juge. (Civ. 2e, 8 déc. 2005, no 04-12.643).

La liquidation peut intervenir après le décès du débiteur, pour la période antérieure à sa mort. L’action aux fins de liquidation peut être engagée contre les héritiers du débiteur (Civ. 2e, 10 sept. 2009, no 08-19.081). Lorsque l’astreinte a été liquidée, et que l’exécution provisoire de cette décision n’a pas été arrêtée, le créancier dispose d’une créance (d’astreinte) dont il peut demander l’exécution. Le débiteur pourra être contraint à son paiement. Celui-ci pourra toutefois en obtenir le remboursement si son recours contre la décision ayant procédé à la liquidation a été favorablement accueilli.
Attention, les astreintes prononcées par une juridiction répressive, administrative, en matière d’urbanisme ou en cas d’expulsions sont régis par des règles dérogatoires.
L’obtention d’une mesure sous astreinte est souvent bien plus efficace, à bon entendeur…

Cabinet ELOQUENCE Avocats
Lille et Paris
www.eloquence-avocats.com

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  • Quel est le régime fiscal de l’astreinte perçue ?

    • Bonjour, dans le cadre d’un bail commercial signé entre une SCI familiale transparente, imposée à l’IR et une SARL, la société locataire a été condamnée à effectuer des travaux de mise en conformité de ses locaux par rapport la réglementation à laquelle elle est soumise du fait de son activité, sous peine d’astreinte à régler au bailleur. La SARL n’ayant pas exécuté lesdits travaux, elle a dû payer une astreinte à son bailleur. Cette astreinte doit-elle être déclarée aux services fiscaux ?
      Merci d’avance pour votre réponse.
      Cordialement.

    • par Jean francois andrieux , Le 14 juillet 2021 à 09:00

      Bonjour
      La Cour d’appel administrative à fixé à une commune, une astreinte de 50 euros par jour de retard en cas de non-exécution d’un jugement concernant des entraves à la livre circulation..
      La commune n’ayant pas agit à la fin du délai imparti pour l’application du jugement, à quelle juridiction compétente faut il s’adresser pour que le jugement soit appliqué, et que l’astreinte soit versée ?
      Est il alors possible de demander des dommages et intérêts ?
      Je vous remercie
      Bien cordialement
      Jfa

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