Un brevet dont la protection s’applique en France, a été examiné soit par l’Office Européen des Brevets (OEB) sur une demande déposée à cet office, le brevet européen visant la France, soit par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), pour un brevet français. Mais ces titres qui visent tous les deux la France peuvent-ils être limités devant l’INPI ? La Cour de Paris a été confrontée à une question analogue, mais l’arrêt du 1er juillet 2011, [1] n’a peut-être pas permis à la Cour d’examiner tous les éléments à prendre en considération.
1°) La problématique de la limitation de la partie française du brevet européen à laquelle n’a pas pu répondre l’arrêt du 1er juillet
Deux ensembles de textes prévoient la limitation de brevet. Pour la limitation européenne, la CBE 2000. La limitation française, quant à elle, est issue de la loi du 4 août 2008, et elle est codifiée au Code de la propriété intellectuelle aux articles L 613-24, L613-25 et L614-12 qui sont complétés à la partie réglementaire par l’article R 613-45.
Antérieurement à la loi du 4 août 2008, seule existait en France, la limitation judiciaire prévue à l’article L 613-27. La possibilité d’une limitation judiciaire d’une partie nationale, et donc française, d’un brevet européen était également envisagée par la Convention de Munich dans sa version de 1973 au point 2 de son article 138.
La CBE 2000 a introduit la procédure de limitation du brevet européen devant l’OEB et a également modifié la rédaction de l’article 138. La loi du 4 août 2008 a prévu aussi la possibilité d’une limitation du brevet devant l’INPI.
Il se perçoit aisément que la question de la limitation d’un brevet se pose à deux moments bien distincts de la vie de ce titre hors de tout débat judiciaire ou lors d’une instance judiciaire.
En dehors de toute instance judiciaire, il n’est pas discuté actuellement que le titulaire d’un brevet français ou de la partie française d’un brevet européen puisse demander la limitation de son brevet devant deux offices a priori selon l’alternative suivante :
pour un brevet français, la demande en limitation est à adresser à l’INPI ;
pour un brevet européen, la requête en limitation est présentée devant l’OEB.
Notons tout de suite que le titulaire n’a pas vraiment le choix face à cette alternative, l’article L614-13 prévoyant que si un brevet français couvre la même invention pour laquelle un brevet européen a été délivré, le brevet français cesse de produire ses effets.
Néanmoins, la limitation devant l’OEB peut poser quelques difficultés au breveté.
En effet, la procédure devant l’OEB va modifier tous les titres nationaux de ce brevet européen ce que ne veut pas nécessairement son titulaire, et en cas de titres nationaux répartis entre différents titulaires, l’accord de tous est requis, condition parfois difficile à réaliser.
Le titulaire de la partie française du brevet européen pourrait-il alors présenter sa requête en limitation à l’INPI ? Etant entendu puisque seule la limitation selon la CBE 2000 prévoit son application à tous les titres nationaux, que cette requête devant l’INPI ne porterait que sur la partie française.
La Cour de Paris par son arrêt du 1er juillet 2011 a rejeté le recours contre une décision du Directeur de l’INPI intervenue en limitation de la partie française d’un brevet européen.
Mais il n’est pas sûr que les faits et les circonstances dans lesquelles ceux-ci lui ont été soumis, aient permis à la Cour d’apprécier les différentes dispositions à prendre en considération.
En se reportant à la lecture de cet arrêt, le titulaire du brevet avait demandé lors d’une instance judiciaire où la validité de la partie française de son brevet était contestée, la limitation de celle-ci devant l’INPI. La limitation accordée, la partie adverse qui initialement demandait la nullité du brevet, a contesté la légalité de la décision de l’INPI qui a accordé cette limitation et la légalité de l’inscription de cette décision au registre national des brevets.
Toujours à lire cet arrêt, il y a comme un mélange des arguments relatifs à la validité du titre avec ceux qui contestent la légalité de la décision du Directeur de l’INPI . Comme nous le diraient les publicistes, sous couvert d’un recours en excès de pouvoir n’était-ce pas là un plein contentieux que cette partie menait ce qu’elle faisait par ailleurs devant le Tribunal de grande instance de Paris. A elles seules, ces questions procédurales n’auraient-elles pas amené la Cour à sa décision de rejet du recours ?
2°) La limitation devant l’INPI de la partie française d’un brevet européen ne peut intervenir qu’après une décision de justice prononçant la nullité partielle du brevet
A se limiter aux seuls articles relatifs à la limitation du brevet et qui ont été introduits par les dispositions nouvelles, c’est bien entendu l’article L613-24, également cité par la Cour de Paris, qui retient, tout d’abord, toute l’attention.
En effet, cet article s’applique à la limitation du brevet qui peut être demandée à « tout moment » et qui prévoit que cette demande en limitation est présentée devant l’INPI.
Cet article s’applique aussi à deux autres articles :
l’article L613-25 est relatif à la limitation demandée par le breveté dans le cadre d’une action en nullité du brevet. Cet article et l’article L613-24 se succèdent dans le chapitre relatif aux brevets français,
l’article L614-12, article placé dans la section « Brevets européens », et qui porte sur la limitation judiciaire du brevet européen :
• intervenue par une décision de justice (2ème alinéa),
• ou qui a été demandée lors d’une action en nullité du brevet (3ème alinéa).
Pour comprendre le sens de l’expression « à tout moment » de l’article L 613-24 et l’appliquer selon les deux articles relatifs à la limitation qui ont été introduits par la loi du 4 août 2008, la limitation devant l’INPI de la partie française du brevet européen ne serait donc possible que dans le cadre d’une instance judiciaire.
Se dégagent déjà deux conditions cumulatives de la lecture combinée des articles L614-12 et L613-24 pour que la limitation du brevet européen puisse intervenir devant l’INPI :
il doit s’agir de la partie française (le contraire eut été étonnant) ;
et dans le cadre d’une action judiciaire (sous-entendu devant une juridiction française).
Mais une troisième condition est à respecter. En effet, dans le cas de la limitation judiciaire, deux situations sont à distinguer au sein de l’article L 614-12 :
avant qu’une décision judiciaire ne constate des motifs de nullité n’affectant le brevet « qu’en partie », L614-12, le 3ème alinéa ;
ou après qu’une décision ait constaté des motifs de nullité n’affectant le brevet « qu’en partie », L614-12, alinéas 1er et 2ème .
Ces deux situations bien que rencontrées toutes deux en cours d’instances judiciaires, sont soumises par l’article L 614-12 à des règles différentes pour la limitation qui serait demandée ou qui suivrait la nullité partielle de la partie française du brevet européen.
Pour la limitation avant décision judiciaire, cet article prévoit que la modification des revendications doit être menée conformément à l’article 105b de la Convention de Munich, c’est-à-dire devant l’Office européen des brevets, office expressément cité à cet article de la convention.
Après la décision de justice qui constate la nullité partielle du brevet, cet article ne précise pas auprès de quel office la limitation doit être menée.
Cette première lecture de l’article L 614-12 conduit ainsi :
à une contradiction apparente pour la limitation intervenue en cours d’une action en nullité : L614-12 prévoit l’intervention de l’OEB quand l’article L613-24 désigne l’INPI ;
à une interrogation pour la limitation après décision de justice. Comment concilier cette contradiction apparente entre deux textes et tenter une réponse à l’interrogation ?
Une solution de facilité consisterait à imposer les dispositions de la Convention car supérieures dans l’ordre juridique à la loi française. Mais une cohérence entre ces textes peut être facilement établie en faisant un parallèle avec les dispositions de l’article L613-27. Celui renvoie devant l’INPI la limitation du brevet français après son annulation partielle.
Autrement dit, seule la limitation à la suite d’une décision de justice ayant constaté la nullité partielle de la partie française du brevet européen serait à mener devant l’INPI. Dans les autres cas, la limitation de la partie française du brevet européen appartiendrait à l’OEB. Cette répartition concilierait les exigences de la Convention et les dispositions issues de la loi du 4 août 2008.