La marque est un actif immatériel. Vous pouvez en revendiquer la propriété à certaines conditions, et ce, pour vous distinguer de vos concurrents et enrichir le capital de votre société. Plus encore, la marque a une réelle vocation identitaire. Elle représente le biais par lequel les consommateurs vont identifier vos produits ou vos services sur le marché. L’attrait marketing et branding paraît alors évident, il en est de même pour la sécurité juridique de vos produits.
Ce signe distinctif n’est pas protégé du simple fait de sa création, mais bien par des formalités à effectuer auprès de diverses instances (nationale, européenne ou encore mondiale). Formalités qui comprennent notamment, en vertu de l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle et de l’article 2 de la directive 2008/95/CE, une exigence de représentation graphique. Il s’agit « simplement » de révéler quel va être l’objet du monopole en question et sur quel produit ou service d’une gamme. Il faut délimiter les contours de la protection juridique.
La représentation graphique en question
Les marques figuratives, nominales, sonores ou encore tridimensionnelles sont généralement acceptées et enregistrées (d’autres conditions entrent alors en jeu pour que le dépôt soit valide). Ces marques ont toutes le point commun de pouvoir être dessinées ou écrites, et sont, dès lors, conformes à l’exigence de représentation graphique de la marque.
En revanche, les marques dites « olfactives » et « gustatives » ont toujours posé problème au regard de l’exigence de représentation. Comment représenter par écrit une odeur ou un goût ? Alors, si le Code de propriété intellectuelle ne prohibe a priori en aucune façon ce genre de marque, leur enregistrement se révèle très difficile voire quasi-impossible.
Pour autant, ce n’est pas faute d’avoir essayé : l’arôme artificiel de fraise d’un laboratoire pharmaceutique n’a pas pu constituer sa marque dans une procédure européenne (R 120/2001-2), et ce, à défaut d’avoir pu représenter une saveur comme une marque au regard des consommateurs en n’étant ni précise, objective ou encore durable.
En matière olfactive, plusieurs dépôts ont été réussis : notamment pour l’odeur de l’herbe fraichement coupée d’une marque de balles de tennis ou encore de l’odeur de bière de certaines fléchettes.
La restriction jurisprudentielle du critère
Un arrêt datant de 2002 (C-273.00, affaire Sieckman) de la Cour de justice des communautés européennes a su couper court aux velléités suscitées par l’enregistrement de ces marques olfactives. Selon elle, « peut constituer une marque un signe qui n’est pas en lui-même susceptible d’être perçu visuellement, à condition qu’il puisse faire l’objet d’une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. S’agissant d’un signe olfactif, les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d’un échantillon d’une odeur ou par la combinaison de ces éléments. »
La Cour a alors établi de nombreux critères, sans pour autant détailler leur interprétation. En revanche, elle a explicité ce que la représentation graphique excluait. Les formules chimiques d’odeurs (voire, a fortiori, de goûts), sont des descriptifs de substances, pas d’odeurs. L’odeur ne peut, non plus, représenter la nature du produit en lui-même : de la même façon qu’un produit « chaussettes » ne peut avoir pour marque « chaussettes ». La représentation graphique et la « distinctivité » sont des critères nécessaires à la fois à la validité formelle et matérielle du dépôt de la marque.
L’objectivité de la représentation graphique, parmi ces critères, peut faire débat. Comment juger du ressenti, que celui-ci soit identique et homogène pour toute une clientèle sur un marché ? La Cour a alors explicité en 2002 que l’état des connaissances techniques actuelles ne suffisaient pas pour faire la preuve objective de la représentation et permettre des dépôts de ce genre de marque.
Une difficile protection sur le marché
Si l’arrêt semble véhiculer une certaine logique, les impacts en droit ont été importants : les marques olfactives et gustatives n’ont pas eu la protection escomptée. Le droit des brevets, le droit des dessins et modèles, ou encore le droit d’auteur n’ont pas su offrir la protection adéquate pour lutter contre l’utilisation frauduleuse du produit ou de service d’autrui. Le recours en contrefaçon écarté, seule l’action en concurrence déloyale pouvait suffire à protéger le service ou le produit d’autrui, dès lors que le demandeur réussissait à prouver les conditions classiques de responsabilité et notamment la faute, entre 4 catégories possibles : la confusion, le dénigrement, la désorganisation et le parasitisme. Ce recours est plus contraignant pour le demandeur que celui de l’action en contrefaçon.
En effet, au regard des autres droits de propriété, les œuvres olfactives et gustatives ne pouvaient pas non plus trouver de la protection du droit des brevets : les odeurs et les goûts ne sont pas conformes à la définition de l’invention disposée à l’article L611-10 du Code de la propriété intellectuelle.
Le recours à la protection du régime des dessins et modèles était également exclu selon les conditions de l’article L511-1 du même code. En revanche, la protection pouvait, et peut toujours, être sollicitée pour le contenant d’un parfum par exemple.
Enfin, la première chambre civile de la Cour de cassation a explicité en janvier 2009, que le droit d’auteur était insusceptible de protéger ce genre de créations, dès lors qu’elles représentent des « savoir-faire ».
La sécurisation du droit des marques
Par l’accord provisoire du 21 avril 2015, l’Europe envoie un signal fort, qui va pousser à l’innovation et la recherche des entreprises, tout en modifiant le marché et les rapports concurrentiels à l’intérieur de ce dernier.
Concrètement, cet accord modifie plusieurs aspects fondamentaux du droit des marques. Il comprend notamment des modifications terminologiques : l’OHMI devient l’Office de la propriété intellectuelle de l’Union européenne. La structure actuelle des taxes va être modifiée pour éviter un encombrement des enregistrements. Disposition majeure : le processus administratif va être adapté pour faire en sorte que la nullité et la déchéance pour non-usage d’une marque pourront s’effectuer sans avoir à passer par un processus judiciaire. En droit français, la déchéance peut déjà être obtenue par voie administrative.
Enfin, la marque va être révolutionnée par la suppression du critère de représentation graphique. Les marques olfactives et gustatives pourront alors être protégées par le droit. Elles auront, comme les marques existantes, une vocation distinctive sur le marché et cela permettra également aux clients de pouvoir identifier et relier un goût ou une odeur à une entreprise en particulier.
La nature du critère de la représentation future est encore inconnue mais il s’agira tout de même de pouvoir identifier la marque de manière claire et précise, probablement en fournissant plusieurs éléments de preuves, destinés à délimiter les contours du droit sur l’odeur ou le goût. Cela réduira considérablement le contentieux sur la possibilité de protection de ce genre de marque.
Le portefeuille de marques des entreprises pourra alors s’agrandir, et, dès lors, augmenter la valeur de vos actifs (matériels ou non). Il s’agit de fidéliser sa clientèle et d’assurer la croissance de son entreprise. Par ailleurs, si cette réforme a été particulièrement attendue, c’est notamment pour pouvoir protéger une odeur. Le souvenir d’une odeur est, selon l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, persistant. Il est capable de durer bien plus longtemps qu’un souvenir visuel. On comprend alors l’intérêt d’associer une odeur à un produit. En matière de goût, il faut tout de même envisager qu’un consommateur ne pourra associer le produit à l’entreprise qu’une fois celui-ci dégusté.
L’élargissement des recours
Les entreprises pourront alors agir en contrefaçon, pour préserver leur monopole sur le produit ou le service en question. Le titulaire de la marque pourra agir si un tiers, notamment un concurrent, fait un usage économique ou commercial de sa marque. Cela vaut notamment en cas d’imitation ou de reproduction du produit, et la poursuite de la contrefaçon peut se réaliser en matière civile ou pénale. La réforme du droit des marques sécurise également le recours en contrefaçon de sorte que les titulaires de marques pourront plus facilement s’opposer à l’entrée sur le territoire européen de marchandises contrefaites. Il sera donc bien moins compliqué, notamment pour les fabricants de parfums, de lutter contre les contrefacteurs et leurs imitations de produits parfois dangereuses pour la santé publique. Ce volet de la réforme a pour but de se conformer aux exigences de l’Organisation Mondiale du Commerce en matière de marchandises contrefaites.
L’accord définitif devrait être exprimé dans quelques mois, la réforme prendra la forme d’une directive européenne, que les Etats devront transposer dans leur législation nationale.