Les propriétaires bailleurs individuels sont très souvent démunis face à leurs locataires en cas de loyers impayés.
La procédure pour aboutir à l’expulsion du locataire est non seulement longue et complexe, mais elle ne suffit souvent pas à obtenir le remboursement intégral des arriérés de loyers.
Voici donc quelques conseils sur les réflexes utiles pour mener à bien, en perdant le moins de temps possible, une procédure en recouvrement de loyers impayés et en expulsion du locataire.
Le commandement
En cas de non paiement du locataire, le premier réflexe est de lui faire délivrer le plus rapidement possible par huissier un commandement évoquant la clause résolutoire du bail prévue pour le défaut de paiement du loyer et des charges.
La clause de résiliation de plein droit ne produit effet que deux mois après un commandement demeuré infructueux délivré par acte d’huissier. Ce délai est ramené à un mois en cas de location meublée.
Sous peine de nullité, le commandement doit reproduire intégralement la clause résolutoire insérée au bail, ainsi qu’un certain nombre de dispositions légales pour informer le locataire de ses droits, notamment celui de saisir le juge des référés du tribunal d’instance pour obtenir, le cas échéant, des délais de paiement.
Si le locataire ne se libère pas de ses obligations dans le délai de deux mois, la clause résolutoire reprend son plein effet et le locataire est déchu de tout titre d’occupation.
L’assignation en référé
Le bailleur doit alors assigner en référé le locataire devant le juge d’instance pour faire constater la résiliation du bail et demander sa condamnation provisionnelle au paiement des arriérés de loyer.
Attention, l’assignation doit être notifiée également au préfet (par lettre recommandée avec A.R) deux mois au moins avant l’audience.
Cela fait déjà un délai incompressible de quatre mois minimum depuis le commandement de payer initial.
Toutefois, la question s’est posée de savoir si le bailleur pouvait assigner son locataire avant l’expiration du délai de deux mois imparti par le commandement ou l’assigner dès la délivrance du commandement ?
La jurisprudence a tranché cette question en rappelant qu’aucune disposition particulière ne fait obstacle à ceci, dès lors que la date d’audience devant le juge des référés est fixée postérieurement à l’expiration de ce délai. CA Paris 14ème ch. B 7 mars 2003 M. / B. RG 2002/15173
La procédure devant le Tribunal d’Instance
La date d’audience est fixée par le greffe et dépend donc de l’encombrement du Tribunal d’instance et de la période de l’année.
Même en référé, le délai est beaucoup plus long pendant les vacances judiciaires (l’été).
Il est par ailleurs fréquent que l’affaire ne soit pas plaidée à la première audience ni même à la seconde, en cas de demande de renvoi justifiée du locataire.
Il faut également garder à l’esprit que le juge saisi n’est pas tenu de constater la résiliation du bail, même si les délais du commandement sont expirés. Il peut accorder d’office au locataire des nouveaux délais de paiement s’il estime que ce dernier à la possibilité et les moyens de régler ses arriérés (article 24 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989).
Le juge ne rend pas son ordonnance sur le siège et fixe en général son délibéré un mois plus tard. Le délai s’allonge encore.
Une fois l’ordonnance d’expulsion rendue, il faut la notifier au locataire.
L’exécution de l’expulsion
Une fois cette décision de justice ordonnant l’expulsion du locataire et sa condamnation aux arriérés de loyer, il faut encore lui faire délivrer un commandement d’avoir à libérer les locaux par acte d’huissier.
Ici encore, il faut notifier (par lettre recommandée avec A.R) le commandement au Préfet et attendre deux mois supplémentaires.
L’article 62 de la loi du 9 juillet 1991 interdit en effet toute expulsion avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement d’avoir à libérer les lieux, dès lors que l’expulsion porte sur un local affecté à l’habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef. Il s’agit pour la personne expulsée d’organiser son relogement et son déménagement. Ce délai est de rigueur et son non respect peut entraîner la nullité de la procédure.
Mais le locataire a encore la possibilité de demander des délais soit au juge des référés après l’ordonnance d’expulsion, soit au juge de l’exécution après la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux (délai de grâce).
Pour des raisons climatiques, l’article 62 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991 autorise également le juge à différer, pour une durée maximale de trois mois, le délai d’évacuation des lieux, lorsque cela peut avoir des conséquences « d’une exceptionnelle dureté ».
Ces délais sont accordés aux personnes de bonne foi car le premier délai de deux mois peut être réduit ou supprimé en cas de voie de fait.
Ces délais sont cumulatifs et se combinent avec la trêve hivernale prévue à l’article L 613-3 du code de la construction et de l’habitation.
En effet il faut également tenir compte de la période hivernale du 1er novembre au 15 mars pendant laquelle toutes les expulsions sont suspendues.
Pendant ces délais incompressibles, il n’est pas rare que l’occupant, devenu sans droit ni titre, n’ayant plus rien à perdre, ne procède désormais à plus aucun règlement, tout en se maintenant dans les lieux.
Le bailleur doit donc se montrer très patient et il n’est pas arrivé au bout de ses peines.
Le recours de la Force publique
Même après avoir épuisé tous les moyens légaux, il n’est pas rare que le locataire se maintienne dans les lieux en l’absence d’exécution de la décision d’expulsion.
Dès lors que l’ordre public n’est pas en cause, l’Etat qui a été sollicité, a l’obligation de fournir son concours à l’expulsion et il ne peut s’y soustraire sauf à voir sa responsabilité engagée. Le bailleur peut réclamer à l’Etat l’indemnisation du préjudice qu’il subit du fait de la carence de ce dernier (article 16 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991).
Il arrive fréquemment qu’un commissaire de police requis par l’huissier du propriétaire, pour exécuter la décision d’expulsion, fasse état d’instructions reçues de la préfecture, ou de l’absence d’instructions, pour ne pas exécuter une décision d’expulsion.
Dans ce cas, le propriétaire doit charger son huissier de faire sommation au commissaire de police compétent d’exécuter la décision d’expulsion.
Si le commissaire oppose une fin de non-recevoir, le propriétaire est alors fondé à former un recours pour refus de concours de la force publique devant le préfet de police, puis , dans le cas d’un rejet exprès ou implicite de ce recours, à saisir le tribunal administratif afin de demander l’annulation de la décision de refus de concours et l’allocation de dommages et intérêts.
Dans cette hypothèse, le tribunal administratif donne pratiquement toujours satisfaction au bailleur.
Conseils pratiques pour les propriétaires bailleurs
On constate donc qu’obtenir l’expulsion d’un locataire pour non paiement de loyer est très long et toujours aléatoire, puisque cela dépend d’abord des délais légaux de procédure, puis de la clémence du juge et enfin du bon vouloir de l’autorité publique.
Cette situation pose souvent de très graves difficultés pour des propriétaires bailleurs qui se retrouvent plusieurs mois voire plusieurs années avec un locataire qui ne paye plus aucun loyer.
Voici donc quelques conseils pour se prémunir et essayer tant bien que mal de ne pas perdre trop de temps.
Il faut garder à l’esprit que le propriétaire poursuit deux objectifs :
Obtenir l’expulsion du locataire
Obtenir le paiement des arriérés de loyers et de l’indemnité d’occupation
Avant la signature du bail, il faut donc demander à son locataire ses coordonnées bancaires ainsi que celles de son éventuelle caution.
Pratiquer une saisie conservatoire de créance sur son compte bancaire dès la délivrance du commandement de payer le loyer visant la clause résolutoire.
Délivrer l’assignation pour une audience de référé la plus proche possible de l’expiration du délai de deux mois suivant le commandement de payer
Communiquer ses pièces à l’adversaire suffisamment tôt pour respecter le principe du contradictoire et l’empêcher d’obtenir ainsi un renvoi de l’audience à une date ultérieure.
Demander dans l’assignation la suppression du délai de deux mois visé par l’article 62 de la loi du 9 juillet 1991
Si on se trouve hors période d’hiver ou si les délais qui ont été accordés sont expirés, demander au juge de fixer une astreinte à l’encontre du locataire pour l’obliger à quitter les lieux. Il convient de noter que le prononcé d’une astreinte en vue d’inciter le débiteur à s’exécuter n’est pas incompatible avec la trêve hivernale. Celle-ci ne confère pas au locataire le droit de se maintenir dans les lieux puisque le prononcé de la mesure d’expulsion le rend occupant sans droit ni titre.
Une fois la décision obtenue, délivrer le commandement d’avoir à quitter les locaux en même temps que l’acte de signification de l’ordonnance.
Dès signification de l’ordonnance, pratiquer une saisie attribution sur le compte bancaire de votre locataire.
Ne pas attendre la fin de la période hivernale pour formuler sa demande de concours de la force publique, même si la mise à disposition effective ne peut intervenir qu’à compter du 15 mars. La demande émise lors de cette période fait courir le délai à l’issue duquel l’absence de réponse de l’administration fait naître une décision implicite de refus de nature à engager la responsabilité de l’Etat. CE 27 avril 2007 Ministère / D. n°291410
En conclusion, on s’aperçoit qu’il faut un très long délai pour que le bailleur puisse faire valoir ses droits en cas de non paiement du loyer de son locataire.
On comprend mieux le succès des assurances locatives et notamment du dispositif de la Garantie des Risques Locatifs (pour un loyer inférieur ou égal à 2.000 EUR) et pourquoi certains bailleurs demandent des garanties de solvabilité très importantes avant d’accepter de donner leur bien en location.
Romain ROSSI-LANDI
Avocat à la Cour