Une réforme nécessaire
L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la prescription des délits de presse (diffamation, et injure notamment) prévoit un délai de 3 mois à compter du jour de leur diffusion.
Ce délai, à l’origine créé pour la presse écrite, est devenu inadapté à l’heure du numérique. La portée d’Internet est en effet considérable puisque, à la différence du support papier, toute information divulguée sur ce réseau est illimitée dans l’espace, et dans le temps.
Si une action n’est pas menée dans le délai de trois mois, la victime perd la possibilité d’agir en justice. Cela contraint la personne intéressée à chercher d’autres fondements, difficiles à invoquer, tant la loi sur la presse est omnipotente.
L’inadaptation de l’article 65 a donc conduit à des tentatives de réforme de la loi de 1881. Depuis 2004, pas moins de 5 propositions de textes ont été soumises au Parlement. Dont deux textes en 2016 : dans le projet de loi « égalité et citoyenneté », et dernièrement, dans la proposition de loi « portant réforme de la prescription en matière pénale ».
Mais aucune de ces réformes n’a pu aboutir.
La dernière modification prévoyait l’extension à un an de ce délai de prescription.
L’article 65 de la loi de 1881 aurait été rédigé en ces termes : « Lorsque les infractions auront été commises par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction d’un contenu d’une publication diffusée sur support papier, l’action publique et l’action civile se prescriront par une année révolue, selon les mêmes modalités. »
Mais le 12 janvier dernier, un amendement déposé par le député Patrick Bloche, visant à la suppression de cette extension, a été adopté à une courte majorité (32/27 voix).
La réforme n’a donc pu réussir.
Une réforme possible
Pour s’opposer à toute réforme, les adversaires, et le lobbying des médias en particulier, invoquent principalement un manquement au principe d’égalité entre presse papier, et numérique.
Pourtant, cette réforme ne semble pas porter atteinte à ce principe.
En effet, comme l’a déjà souligné le Conseil constitutionnel : « la prise en compte de différences dans les conditions d’accessibilité d’un message dans le temps, selon qu’il est publié sur un support papier, ou qu’il est disponible sur un support informatique, n’est pas contraire au principe d’égalité ». (cf Conseil constitutionnel, 10 juin 2004, n°2004-496 DC, Considérant n°14).
En 2004, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) laquelle prévoyait que le délai de prescription courait à compter de la cessation de la communication en ligne. A juste titre, la haute juridiction avait rejeté cette réforme car cela revenait à rendre imprescriptible les délits de presse.
Il avait pris soin néanmoins d’indiquer que cette réforme n’était pas impossible.
Reste donc à trouver la bonne mesure, le juste équilibre entre la liberté d’expression, et la protection de la réputation des personnes.
Tout d’abord sur le délai, le projet prévoit d’allonger la durée de la prescription de trois mois à un an. Les moteurs de recherche permettent souvent de retrouver tout type d’information. Ce délai apparaît par conséquent raisonnable.
Mais il est parfois difficile de détecter une diffamation noyée dans les pages profondes des moteurs. Dans certains cas, cette recherche s’avère même impossible : des contenus ne sont tout simplement pas indexés, référencés par les moteurs.
Ce délai apparaît au moins cohérent par rapport aux autres extensions du délai à un an reconnues pour d’autres infractions dans la loi de 1881 (article 65-3). Mais la dernière mouture du projet de réforme prévoit que cet allongement ne serait pas applicable en cas de reproduction sur Internet d’un contenu diffusé sur support papier.
Ce qui n’apparaît pas, pour le coup, cohérent.
En effet, il est nécessaire de distinguer la prescription de la diffamation selon le support numérique, ou papier. Peu importe que le contenu mis en ligne soit également diffusé sur papier. Ce qui compte, c’est de protéger les victimes de délits commis sur un support numérique. Cette limitation de la prescription n’apparaît donc pas justifiée.
Elle correspond sans doute à une revendication du lobbying des médias. Certains parlementaires dénoncent cet assujettissement du pouvoir législatif au « 4ème pouvoir ».
Mais il convient surtout, contrairement aux idées reçues, de comprendre que cette réforme n’irait pas à l’encontre des médias. En effet, on constate aujourd’hui que l’inadaptation de la loi de 1881 risque de la conduire à sa perte.
En pratique déjà, et notamment dans les prétoires, on constate que d’autres droits concurrencent cette loi, et, moyennant quelques acrobaties juridiques, il est parfois possible de l’écarter.
Il est donc temps de mettre fin à cet anachronisme de la loi de 1881, et de la moderniser, pour mieux la préserver.
Discussions en cours :
Bonjour,
Une députée lors de l’examen de l’amendement évoqué :
"Mme Isabelle Attard. Je souhaite revenir sur l’intervention de M. Lellouche concernant les diffamations et rumeurs qui circulent sur internet. C’est justement sur internet qu’il est facile de trouver des atteintes à la personne, des diffamations. Il est donc beaucoup plus facile de porter plainte, alors qu’auparavant, avec la seule presse papier, on pouvait passer des mois à éplucher toutes les feuilles de chou de France et de Navarre pour essayer d’y détecter des propos diffamants ou des rumeurs – et ce n’était pas possible, on en loupait !
Bref, internet n’est pas un facteur aggravant, comme on l’affirme beaucoup trop souvent ici depuis le début de la législature : c’est au contraire, dans ce cas précis, un facteur facilitant lorsqu’il s’agit de pouvoir porter plainte. C’est pour cette raison que j’ai déposé, avec quelques collègues écologistes, cet amendement qui est identique à celui de Patrick Bloche mais qui le complète pour ce qui est de son argumentaire. Il est nettement plus facile de surveiller des publications dont le support est numérique, puisqu’un moteur de recherche vous permettra, en un clic et en quelques secondes, de voir si des propos traînent sur la Toile. Ce n’est pas le cas de la presse papier.
Vraiment, je ne comprends pas cette tendance que nous avons à considérer que du moment qu’il s’agit d’internet, il y a systématiquement un facteur aggravant. Internet est un support de communication comme un autre. Pour autant, nous devons être fermes : il ne s’agit pas d’y laisser traîner quoi que ce soit. Notre groupe a d’ailleurs montré qu’il était favorable à cette fermeté lorsqu’il a défendu, avec le groupe socialiste, l’établissement d’une peine sanctionnant le revenge porn. Sergio Coronado, ici présent, peut en témoigner. En l’occurrence, il fallait faire quelque chose car la circulation numérique des images peut dans certains cas constituer une circonstance aggravante. Il en va tout autrement pour le sujet qui nous occupe." tiré de http://www.loi1881.fr/assemblee-vote-loi-prescription
si un contenu n’est pas indexé, il ne sera pas plus trouvé dans la première année et très peu de monde en aura connaissance.
Merci pour votre commentaire. J’ai lu cet argument, et l’ensemble de la discussion parlementaire. Les résultats des moteurs sont fluctuants : un contenu peut ne pas apparaître pendant un certain temps, et revenir quelque mois après dans les premières positions, pour re-disparaître etc... le référencement varie en outre selon les moteurs. Donc contrairement à cet argument, on ne peut pas dire que c’est plus facile de repérer un contenu sur la toile qu’en dehors. Cela dépend des cas. De chaque édition, et de chaque moteur. En revanche, ce que l’on sait, c’est que quand ça apparaît, cela a beaucoup plus d’impact que dans du papier...
Bonjour,
les sénateurs sont constants, ils ont revoté l’allongement à un an, voir http://www.loi1881.fr/senat-prescription-internet-1-an-7-02-2017 avec mes arguments qui ne figurent pas dans les échanges.