A l’heure où Canon annonce publiquement sa candidature à la création de son extension .CANON, et où le rejet par l’ICANN du programme EOI (Expression of Interest) permet d’espérer une 4e version du DAG [1] pour la réunion de Bruxelles en juin pour un lancement des premières candidatures courant 2011, il est temps de faire le point sur les rapports entre nouvelles extensions et propriété intellectuelle et de vous poser la question : êtes-vous prêts ?
Pour tous ceux qui seraient restés à l’écart des évolutions internet depuis cinq ans, rappelons que le programme d’introduction de nouvelles extensions (new gTLDs) a officiellement été lancé par le comité Directeur de l’ICANN en juin 2008, et qu’il a vocation à ouvrir largement la zone de nommage en proposant de libéraliser les domaines génériques de premier niveau. Pour résumer, au lieu de devoir jusqu’à présent déposer un nom de domaine sous l’une des extensions existantes (monloisir.com, mamarque.net, maboite.fr…), il sera désormais possible passer de l’autre côté du point pour créer sa propre extension : .MONLOISIR, .MAMARQUE, .MABOITE.
Bien évidemment, les contraintes techniques et financières imposées aux futurs candidats sont de nature à décourager les prétendants les moins sérieux. Néanmoins, plusieurs centaines de nouvelles extensions sont attendues dans les années à venir, multipliant ainsi les risques d’atteintes , notamment à l’encontre des marques, sur internet.
Il est donc indispensable d’anticiper dès aujourd’hui les risques et les enjeux de cette évolution majeure pour pouvoir agir et réagir dès le lancement des premières extensions, et défendre au mieux ses intérêts, que l’on soit un méga groupe mondial rêvant de lancer son propre CorpTLD en toute sécurité ou une entreprise franco-française désireuse de protéger son image centenaire des atteintes frauduleuses.
La première phase consistera, pour celles et ceux dont la gestion des droits de propriété intellectuelle n’est pas encore centralisée, à concentrer cette fonction au sein du département juridique concerné, afin de définir une charte d’identité visuelle, stratégique et juridique de la Marque (qu’elle soit Corporate ou Produit) garantissant sa cohérence.
Sous la supervision du juridique, mais en nécessaire concertation avec tous les services concernés (marketing, communication, corporate), l’élaboration d’une véritable politique de nommage et la construction d’une stratégie de Marque cohérente renforceront les moyens de sa protection, en permettant une meilleure anticipation, une identification plus rapide et donc une prévention (a priori) ou une résolution (a posteriori) plus complète du risque d’atteinte.
C’est en effet à l’aune de cette stratégie identitaire bien définie que l’on pourra déterminer la pertinence de préempter les nouveaux territoires virtuels en protégeant son signe par un enregistrement de second niveau sous une ou plusieurs nouvelles extensions, et selon quelle politique (protection minimale par la réservation des typologies les plus proches de l’originale ou au contraire maximale en accaparant toutes les graphies possibles…).
Ainsi au niveau juridique, il devient incontournable de s’entourer de collaborateurs ayant une vision globale et transversale de leur mission, en mesure de dialoguer avec les opérationnels de tous horizons, pour adapter l’outil juridique aux contraintes tant légales que techniques, commerciales ou marketing, et planifier les actions en coordination avec tous les intervenants.
Cette première étape représente également le préalable essentiel à une éventuelle candidature d’un CorpTLD notamment, en ce qu’elle pourra constituer le socle de la charte de nommage de la future extension. Rappelons que cette charte est le document définissant les conditions ou restrictions d’accès à l’enregistrement d’un nom de domaine sous une nouvelle extension, qu’elle est en tant que telle un pré requis à toute candidature potentielle à nouveau gTLD. Définir de façon précise l’identité de la Marque constitutive de la nouvelle extension permettra aux décideurs d’avoir toutes les cartes en mains pour choisir d’ouvrir largement ou au contraire de conditionner voire restreindre l’accès aux noms de domaine sous cette extension.
Les premières candidatures étant attendues pour 2011, il convient de s’atteler à la tâche dès à présent, afin d’être opérationnel dès l’ouverture des premières périodes Sunrise, qui entraîneront la mise en oeuvre de la deuxième phase dans la protection des droits de Marque au sein du nouvel espace internet.
L’étape consécutive à la détermination d’une véritable stratégie identitaire consistera en effet pour le titulaire de Marque à renforcer sa connaissance des moyens de protection mis à sa disposition et à développer sa veille en vue du lancement des nouvelles extensions.
Pour ce faire, il convient d’anticiper dès à présent les projets en cours pour identifier les futurs acteurs de ce nouvel espace de nommage, qu’ils rassemblent une communauté (.GAY, .SPORT, .ARTIST…), forment un groupement de professionnels (.HOTEL, .BANK, .RADIO…), ou représentent une zone géopolitique (.AFRICA, .PARIS et autres CityTLDs…). Il est également important de se familiariser au plus tôt avec les différents moyens de protection (a priori comme a posteriori) élaborés dans le cadre du programme des nouvelles extensions : Trademark ClearingHouse, URS, PDDRP ou RRDRP doivent dès aujourd’hui n’avoir aucun secret pour qui veut défendre ses droits de propriété intellectuelle sur ce que sera bientôt internet.
Afin de mettre toutes les chances de leur côté, les titulaires de Marques se tourneront le cas échéant vers des Conseils extérieurs, qu’ils soient avocats spécialisés ou Conseils en Propriété Industrielle. Il est donc important pour les Cabinets désireux d’accompagner leurs clients dans cette évolution majeure de se tenir eux aussi étroitement informés : la maîtrise des enjeux stratégiques, juridiques et techniques, voire une association avisée avec un expert des questions internet et nouvelles technologies (Registrar ou société spécialisée en consulting) pourra faire la différence lors du choix par le titulaire de Marque du partenaire le plus apte à comprendre et défendre ses intérêts.
En conclusion, il est important de garder à l’esprit que faire le choix de ne pas lancer son .MABOITE ou .MAMARQUE ne signifie pas pour autant que l’on est à l’abri d’une atteinte, légitime ou non, à l’un de ses droits de propriété intellectuelle, et qu’une stratégie de sécurisation et de défense des actifs immatériels bien préparée permettra, en amont, de désamorcer d’éventuels conflits en s’opposant à une candidature portant atteinte à ses droits tant dans le premier que le second niveau, et en aval de réagir rapidement à toute atteinte.
Par ailleurs, les plus prompts à réagir et à défendre vigoureusement leurs droits enverront un message fort à tous les cyber-squatteurs et autres profiteurs.
Enfin, une bonne préparation en amont permettra de rationaliser les coûts qu’engendreront les nouveaux moyens de protection de ses droits, en n’effectuant par exemple que les réservations réellement nécessaires, en utilisant les modes de résolution des litiges les moins coûteux, ou encore en verrouillant strictement les usages de sa Marque.
Ces sommes investies pour défendre et protéger son image de Marque permettront dans de nombreux cas d’éviter de bien plus coûteuses conséquences (actions judiciaires, pertes liées à la contrefaçon, au parasitisme ou au détournement de clientèle…), et pourront même le cas échéant générer un certain profit en autorisant une exploitation plus complète de la Marque sur la toile : au lieu de subir passivement l’évolution annoncée, le titulaire avisé de Marque deviendra pilote de la valorisation de son signe sur les nouveaux territoires virtuels.
Juriste Propriété Intellectuelle