Clarisse Andry : Dans quels pays avez-vous travaillé et dans quelles circonstances ?
Julie Jondeau : J’ai toujours voulu travailler à l’international. J’ai d’ailleurs effectué un master en Angleterre au cours de mes études, et quand j’ai commencé à travailler à Paris, il était très important pour moi d’être dans une entreprise tournée vers l’international. J’ai eu l’opportunité, avec ma société, d’aller travailler au Canada pour un contrat d’un an. C’est un pays que je ne connaissais pas mais qui m’attirait beaucoup. Après un an à Montréal, j’ai finalement eu l’opportunité de rester. Je travaille maintenant depuis un an et demi au sein de la société Stingray. Mon poste correspond plutôt à celui d’un conseiller commercial, où je m’occupe beaucoup de négociation de contrat.
Loïc André : Très simplement : après mon stage de fin d’étude durant mon master 2 en droit international, j’ai enchainé avec un CDD d’un an à Berlin au sein de la direction juridique EMEA de Motorola. Et non ! je ne parle pas allemand. Je parlais parfaitement anglais et français, et c’est exactement ce qu’il recherchait : il souhaitait quelqu’un qui soit apte à travailler en français, notamment avec l’Afrique du nord.
C.A. : Quelles principales différences avec le fonctionnement d’une direction juridique française avez-vous constaté ?
J.J. : Au Canada, la principale différence tient au métier : tous les juristes sont avocats. Le titre de juriste d’entreprise n’existe pas. On parle de « conseiller juridique », un terme qui désigne les avocats. Ils ont donc une exclusivité à fournir du conseil juridique, ils rédigent des notes ou des avis juridiques.
Comme aux Etats-Unis, tous les étudiants en droit passent le barreau, que ce soit les avocats en cabinet ou en entreprise, les juges, … Il n’y a donc pas la même différence entre le métier d’avocat et le métier de juriste qu’en France.
- Julie Carpentier Jondeau, juriste installée à Montréal.
L.A. : Ce qui était le plus frappant, dès le début de mon expérience, c’est que l’organisation était extrêmement carrée sur les horaires. Les Allemands préfèrent arriver plus tôt et partir plus tôt. En France nous avons plutôt tendance à faire des horaires que nous n’aurions pas forcément besoin de faire.
Mon manager se faisait régulièrement taper sur les doigts et recevait des emails, à chaque fois que je dépassais les horaires convenus, soit 40 heures, exceptionnellement 50 heures. C’est extrêmement mal vu là-bas d’avoir un subalterne qui fait trop d’heures : cela veut dire que vous êtes un mauvais manager.
C.A. : Quel système d’organisation avez-vous préféré et pourquoi ?
J.J. : Je ne vois pas de meilleure ou de moins bonne façon de procéder. Les avocats sont ici plus formalistes. Je trouve qu’ils ont plus de distance que les juristes d’entreprise en France. Ils sont plus dans le rôle de conseiller juridique, donc plus protecteurs. Ils sont peut-être moins enclins à prendre des risques. A côté de ça, les membres de la direction sont plus abordables, les négociations se déroulent dans des cadres plus simples, les personnes sont ouvertes à la discussion.
L.A. : Je pense qu’il y a du bon et du mauvais un peu partout, je ne saurais pas dire si je préfère le système allemand ou français. Le système allemand est beaucoup plus carré, ce qui fait qu’en tant que juriste je m’y retrouve. Mais j’ai quand même besoin d’une certaine liberté, ce qu’on a beaucoup plus tendance à retrouver en France, où le juriste est plus autonome au niveau du traitement des dossiers.
C.A. : Quels inconvénients avez-vous relevé dans la direction juridique étrangère dans laquelle vous exercez ou avez exercé ?
J.J. : Ne pas être membre du barreau ici est gênant. Un accord entre la France et le Québec existe, pour que les avocats français soient reconnus au Québec. En revanche le juriste d’entreprise en France ne peut pas être reconnu comme avocat. Il a alors deux choix : soit trouver un métier en lien avec le droit, d’administrateur de contrats ou paralégal, soit passer les équivalences pour devenir membre du barreau. Mais ça implique alors un retour aux études. Une association, Cheminement équivalence, accompagne d’ailleurs les juristes d’entreprises français qui s’installent au Québec et travaille pour obtenir la reconnaissance des diplômes.
Nous avons vraiment besoin de nous aligner sur les autres pays et de créer un statut unique. Il est regrettable que la loi Macron ne l’ait pas fait. Si on veut pouvoir s’expatrier, je pense qu’il va falloir que nous soyons une profession unique, comme dans les pays anglo-saxons.
L.A. : En Allemagne, le rapport hiérarchique est très fort. Ce n’est pas forcément gênant au début de sa carrière, c’est même très bien d’avoir un supérieur qui est un partenaire et qui vous fait monter. Mais je ne suis pas sûr qu’avoir, tout au long de la carrière, quelqu’un qui vous supervise à ce point soit bénéfique. Mais cela dépend également des personnes, je ne pourrais pas généraliser cette expérience à toutes les directions juridiques en Allemagne.
C.A. : De quelles pratiques devraient s’inspirer les directions juridiques françaises ?
- LoÏc André, juriste, a effectué un CDD d’un an à Berlin
J.J. : L’avantage de la profession unique est que les avocats d’entreprise sont soumis à la formation continue, tout comme les avocats du barreau. Il y a aussi un contrôle du barreau sur le classement des dossiers, l’organisation… Les avocats d’entreprises sont donc obligés de suivre des formations continues, ce qui n’est pas du tout le cas pour les juristes en France. Ça force les entreprises à assurer la formation des salariés.
L.A. : Cela dépend encore des managers, mais je pense qu’en France, nous manquons d’un certain cadre : on a du mal à dire « stop ». L’exemple des horaires est très révélateur : ce n’est pas parce que vous faites trop d’heures pour rien, ou que vous envoyez des emails à trois heures du matin, que vous aurez une prime à la fin du mois.
En Allemagne, ça ne passe pas. J’ai vu des gens se faire reprocher d’avoir envoyé des emails très tard, parce que ça ne sert absolument à rien. Ça signifie être plus efficace dans son travail et les employés sont aussi beaucoup plus reposés. En France, la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle est plus poreuse, alors qu’en Allemagne, pour l’instant, ils ont réussi à la conserver.
C.A. : Quels sont vos projets : travailler en France ou à l’étranger ?
J.J. : Je n’ai pas prévu de rentrer en France pour l’instant. Il ne faut jamais dire jamais, mais ce n’est pas prévu dans un avenir proche. J’ai réussi à trouver un métier en parallèle du droit qui me convient.
Aller travailler à l’étranger est toujours une très belle expérience, j’encouragerais les jeunes juristes à le faire aussi. Mais ce n’est pas si facile de s’installer à Montréal. Le marché de l’emploi est dynamique, mais le plus difficile est d’acquérir un peu d’expérience au Québec. Pour y arriver, les jeunes juristes peuvent par exemple penser au volontariat international en entreprise (VIE) dans le domaine juridique. Ensuite, il est plus facile de trouver un emploi. Il y a des postes d’administrateurs de contrats ou de paralégal très intéressants, et assez proches du métier de juriste en France.
L.A. : C’est certain, je souhaiterais retourner travailler à l’étranger, même si c’est toujours très compliqué pour les juristes, notamment pour être expert dans le droit du pays dans lequel on veut s’exporter. Dans l’absolu, les pays anglo-saxons me plairaient bien, et notamment le Royaume-Uni. En travaillant chez Motorola, j’ai également travaillé à Londres, et j’ai pu voir que la direction juridique anglaise me convenait bien : il y a un état d’esprit particulier, les Anglais sont très cordiaux et très efficaces dans le travail.
Discussions en cours :
La question est là : comment trouver un job à l’étranger ? J’aimerais vivre à Dublin mais c’est une vraie difficulté : obtenir un boulot... Si quelqu’un à la réponse, je suis preneuse :)
Bonjour Julie,
Je viens de tomber sur cette discussion que je trouve très intéressante. Je suis moi-même juriste et je travaille à Dublin. J’y ai déménagé il y a 8 ans maintenant.
Avant de tomber sur un poste de juriste en entreprise dans lequel je suis depuis deux ans, j’ai travaillé dans l’AML auprès d’un prestataire de service et ensuite d’une banque américaine. Auparavant, j’avais effectuer des stages en cabinets d’avocats à Dublin mais sans pouvoir avancer car il aurait fallu que je passe les examens pour devenir Solicitor. Ce que je ne souhaitait pas faire. Je considère que si la France considère que les juristes et les avocats sont sur un pied d’égalité, je ne devrais pas avoir a tout recommencer.
Je pense qu’il y a de la place pour nous et un moyen de "contourner" le manque de reconnaissance de notre profession à l’étranger. Il est possible de travailler au sein d’entreprises qui ont un département juridique si elles sont assez ouvertes d’esprit pour comprendre que nous avons des compétences équivalentes. Il y a aussi beaucoup de postes à pourvoir dans l’AML qui est un secteur en explosion en Irlande mais également dans la gouvernance de société (Company Secretary). Je pense qu’il s’agit avant tout d’éduquer les agences de recrutement afin qu’elles puissent à leur tour vendre nos compétences.
Mon poste est réellement celui d’un juriste mais j’ai eu une chance folle de tomber sur une société italienne dont les administrateurs avaient très bien compris ce que la qualification de juriste représente car il y a la même en Italie. Je ne compte pas changer de poste pour l’instant mais je suis toujours très intéressée par la voie choisie par mes compatriotes juristes en Irlande. Pour le moment, je n’en ai pas croisé du tout.
Bonne continuation,
Brigitte
S’il vous plaît je voudrais savoir si on peut travailler en Afrique après avoir fait sa formation de juriste d’entreprise en France ?
Merci.