Diffuser la photographie d’un fauteuil : tout un art...

Par Edith Lagarde-Bellec, Avocat.

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Par un arrêt du 12 juin 2012, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé la rigueur du droit de représentation d’une oeuvre de l’esprit, après avoir examiné la question de la transmission des droits de l’auteur.

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L’affaire soumise à la Cour portait sur la fourniture et la diffusion de deux photographies représentant un fauteuil et une chaise créés par un célèbre architecte décédé et deux coauteurs.

La Fondation légataire universel des biens de l’architecte a considéré que ces photographies constituaient des reproductions contrefaisantes des meubles représentés et a donc assigné en contrefaçon le diffuseur des photographies.

La Cour d’appel de Paris a accueilli les demandes de la Fondation et condamné le diffuseur des images.

Ce dernier a formé un pourvoi en cassation en contestant la qualité à agir de la Fondation, avant de prétendre à une cession implicite du droit de représentation et d’évoquer le caractère accessoire des œuvres reproduites par rapport au sujet traité sur les photographies litigieuses.

Le diffuseur a également critiqué l’importance de la condamnation prononcée à son encontre, la considérant disproportionnée et punitive.
Sur ce point, la Cour a rappelé, sans surprise, que l’importance du préjudice relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

L’arrêt rendu mérite d’être examiné au regard de trois des questions posées à la Cour : celle de la transmission des droits de l’auteur par legs, celle de l’étendue de la cession des droits patrimoniaux et celle du critère de l’appréciation du caractère contrefaisant d’une œuvre.

I. La transmission des droits de l’auteur par legs universel

La Fondation agissait en défense des droits de l’architecte, auteur des meubles, sur le fondement du testament laissé par ce dernier, par lequel il l’a instituée légataire universel en toute propriété.

La question posée à la Cour était donc de savoir si, par l’effet de ce legs, la Fondation pouvait se voir reconnaître la qualité de titulaire des droits patrimoniaux et moraux sur l’ensemble de l’œuvre de l’architecte.

La réponse apportée par la Cour est des plus nettes : en l’absence d’héritier réservataire, l’universalité des droits transférés emporte nécessairement la transmission des droits d’auteur dès lors que ceux-ci n’en sont pas exclus.

Ainsi, la Cour place les droits d’auteur sur le même plan que les autres biens d’une personne, refusant de leur réserver un traitement différent.

Les droits d’auteur ne peuvent donc être exclus d’un legs universel que de façon expresse, sauf en présence d’héritiers réservataires.

II. La cession du droit de représentation ne peut être implicitement contenue dans la cession du droit de reproduction

La seconde question posée à la Cour portait sur le point de savoir si la cession du droit de représentation peut être induite de la cession du droit de reproduction.

En l’espèce, la société ayant diffusé les photographies litigieuses se prévalait d’un contrat aux termes duquel une société tierce s’était vue céder le droit de faire fabriquer les meubles créés par l’architecte. Elle prétendait que le droit cédé, qu’elle dénommait génériquement « droit d’exploitation », emportait nécessairement le droit de représenter les meubles concernés à des fins commerciales et publicitaires.

Or, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir fait une application rigoureuse des dispositions de l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle, en rappelant le principe selon lequel la transmission des droits patrimoniaux de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession.

La décision de la Cour ne comporte aucune réserve.

La Cour refuse donc d’admettre l’existence d’un droit de représentation accessoire au droit de reproduction, qui pourrait être cédé implicitement même à des fins limitées.

Il faut toutefois souligner que, dans l’arrêt, la Cour évoque un nouveau contrat, intervenu postérieurement aux faits litigieux entre la Fondation et la société tierce, aux termes duquel la cession du droit de reproduction des meubles a été reconduite avec une clause stipulant que le cessionnaire était autorisé à représenter les œuvres à des fins de communication ou publicitaires.

Or, la Cour de cassation indique que ce contrat ne modifiait pas la portée de la cession du droit de reproduction antérieurement consenti.

On peut donc s’interroger sur la portée de la solution adoptée de la Cour, qui s’intéresse à l’intention des parties et pourrait donc être différente dans les relations entre le titulaire des droits de l’auteur et la société cessionnaire du droit de fabriquer les œuvres.

Dans une telle relation, la cession du droit de représentation de l’œuvre à des fins de communication ou publicitaires pourrait donc effectivement être induite de la cession du droit de fabrication d’un meuble.

Néanmoins, au regard des dispositions de l’article L.131-13 du Code de la propriété intellctuelle qui sont d’interprétation stricte, la plus grande vigilance doit présider aux actes de cessions de droits d’auteur, lors de la rédaction desquels les différents modes d’exploitation doivent être envisagés et convenus dans les conditions posées par la loi.

III. Le caractère accessoire de l’œuvre reproduite par rapport au sujet traité n’est pas un critère d’appréciation du caractère contrefaisant ou non de l’œuvre composite

Il était encore soutenu que les photographies ne portaient pas atteinte aux droits de l’auteur sur les meubles dans la mesure où ces derniers n’étaient qu’accessoires par rapport au sujet traité.

La troisième question posée à la Cour était donc celle de savoir si le caractère accessoire de l’œuvre originelle par rapport au sujet de l’œuvre composite, constitue une exception aux droits de l’auteur de l’œuvre originelle.

Dans sa réponse, la Cour de cassation se borne à approuver la décision de la Cour d’appel qui a conclu à l’existence de la contrefaçon au motif que les meubles étaient nettement visibles et parfaitement identifiables, sans même évoquer le caractère accessoire ou non de l’œuvre originelle par rapport au sujet traité.

On ne peut qu’approuver cette décision qui, d’une part, permet d’évacuer l’arbitraire de l’appréciation - nécessairement subjective - des contours du sujet traité par une œuvre composite pour s’en tenir à une appréciation plus objective et qui, d’autre part, précise que l’œuvre originelle ne doit pas être simplement visible et identifiable mais « nettement » visible et « parfaitement » identifiable.

La Cour apporte ainsi une solution équilibrée qui protège les auteurs contre l’incorporation de leurs œuvres dans des œuvres composites sans leur consentement, tout en posant les garde-fous à des abus de droit des auteurs qui restreindraient excessivement la liberté de créer des tiers.

(Légifrance, Cass. Civ. 1ère, 12 juin 2012, pourvoi n°11-10.923)

Edith Lagarde-Bellec,
Avocat à la Cour
www.lagardebellec-avocats.fr

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