De la valeur en justice d’un rapport d’expertise non contradictoire.

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Un récent arrêt de la cour d’appel de Caen (2ème ch. civ. et com., 25 novembre 2021, n° RG 19/03390) donne l’occasion de faire de nouveau le point sur les conditions auxquelles le juge peut fonder sa décision sur des rapports d’expertise « amiables » établis de façon non contradictoire à la demande des parties.

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1. En vue d’une procédure de fixation du loyer de renouvellement d’un bail commercial, bailleur et preneur ont missionné chacun un expert afin d’estimer la valeur locative des locaux.

Par jugement en date du 25 novembre 2019, le juge des loyers du tribunal de grande instance de Caen a fixé le loyer à une certaine somme (inférieure à celle que le preneur avait offerte…).

Sur appel du bailleur, la cour d’appel de Caen devait d’abord statuer sur un moyen par lequel le preneur demandait que lui soit déclaré inopposable le rapport établi par l’expert missionné à la demande du bailleur, à défaut d’avoir été dressé contradictoirement, de sorte que « le juge ne (pouvait) le prendre en compte, sauf à fonder sa décision sur d’autres éléments ».

La lecture de l’arrêt ne permet pas de savoir si le rapport établi par l’expert missionné par le preneur avait été, lui, établi au contradictoire du bailleur… Ce dernier, qui ne formait pas une critique réciproque, faisait seulement valoir que « chacune des parties avait mandaté son propre expert, que le preneur ne maintenait plus sa demande d’expertise judiciaire, que les rapports des deux experts avaient été largement discutés y compris avant l’instance ». Il ajoutait que le rapport de « son propre expert » devait être considéré comme contradictoire, ce dernier ayant pu accéder aux locaux loués et ayant été accueilli par la gérante, et qu’il était complété par d’autres éléments de preuve.
Tout était résumé dans cet échange de moyens.

A quoi les juges d’appel répondent :
- en déniant d’abord tout caractère contradictoire au rapport de l’expert du bailleur dès lors que la gérante de la société preneuse n’avait été ni interrogée par l’expert au cours de sa visite, ni destinataire de ses conclusions avec possibilité de les discuter.
- en énonçant ensuite que « le juge ne peut se fonder sur une expertise établie de manière non contradictoire sauf à constater qu’elle a été régulièrement produite aux débats, soumise à la discussion contradictoire des parties et corroborée par d’autres éléments de preuve  ».

2. Cette motivation est en tous points conforme à la jurisprudence récente de la Cour de cassation, illustrée notamment par deux arrêts récents.

Le 15 novembre 2018, la troisième chambre civile rejetait le pourvoi d’un preneur qui reprochait à une cour d’appel d’avoir fixé le loyer dans le cadre d’une demande de révision en écartant sa demande de désignation judiciaire d’un expert et en fondant exclusivement sa décision sur deux rapports d’expertise produits par les deux parties et établis non contradictoirement. La Cour de cassation motivait ainsi son rejet : « dès lors que ces éléments avaient été soumis à la libre discussion des parties, la cour d’appel (…) a pu, sans violer le principe de contradiction, se fonder sur le rapport d’expertise judiciaire établi lors d’une instance opposant la bailleresse à son associé et sur le rapport d’expertise établi unilatéralement à la demande de celle-ci, dont elle a apprécié souverainement la valeur et la portée  » (Cass. 3ème civ., 15 novembre 2018, n° 16-26.172).

Le 5 mars 2020, la même chambre cassait un arrêt de la cour d’appel de Toulouse (18 février 2019) qui avait refusé d’examiner un certificat de mesurage effectué par un diagnostiqueur et corroboré par un rapport établi par un géomètre-expert au motif que, même versés aux débats et soumis à la discussion des parties, ils avaient été dressés à la demande d’une partie hors la présence de l’autre. Le motif de la cassation, prononcée au visa de l’article 16 du code de procédure civile, est particulièrement net :
« Il résulte de ce texte que le juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d’une partie, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire et corroboré par d’autres éléments de preuve.  » (Cass. 3ème civ., 5 mars 2020, n° 19-13.509).

La publication de cet arrêt au bulletin montre la portée que la Cour de cassation a entendu lui attacher.

3. Doit-on pour autant déduire de cette solution qu’un rapport d’expertise judiciaire établi dans le respect du contradictoire peut suffire à fonder la décision d’un juge ?

La haute juridiction ne l’entend pas ainsi.
Le 8 juin 2019, toujours au visa de l’article 16 du code de procédure civile, elle censurait partiellement la cour d’appel de Paris (4 octobre 2017) pour s’être fondée sur un rapport d’expertise judiciaire « qui n’était corroboré par aucun autre élément de preuve » (Cass. 3ème civ., 6 juin 2019, n° 17-28.721).

Le droit positif peut donc ainsi se résumer ainsi à ce jour :
-  Le juge ne peut fonder sa décision uniquement sur un rapport d’expertise, qu’il ait été établi dans le cadre d’une mission judiciaire ou d’une mission privée : l’expertise doit dans tous les cas être corroborée par d’autres éléments de preuve ;
-  Le juge peut se fonder sur un rapport d’expertise « privé » établi non contradictoirement, dès lors qu’il a pu être discuté contradictoirement dans le cadre du débat judiciaire.
Ainsi se dessine nettement une tendance à l’unification de la valeur en justice des rapports d’expertise.

4. Cette tendance s’est même trouvée renforcée de façon spectaculaire par le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021, entré en vigueur le 1er novembre 2021 et immédiatement applicable aux instances en cours.

Ce texte a en effet modifié l’article 1554 du code de procédure civile relatif à la convention de procédure participative, qui prévoyait jusqu’alors qu’un rapport d’expertise établi dans le cadre d’une telle procédure « peut être produit en justice » : désormais, il « a valeur de rapport d’expertise judiciaire  ».

La convention de procédure participative peut même prévoir que les parties s’engagent à s’en remettre aux conclusions d’un tel rapport , comme elles pourraient le faire hors tout procès dans un contrat par lequel elles conviendraient de donner à un expert le rôle d’un mandataire commun pour fixer un loyer ou trancher toute autre difficulté.

Le respect du contradictoire serait alors suffisant dans ce cadre, sans qu’il y ait lieu d’y ajouter l’exigence d’éléments complémentaires de nature à corroborer les conclusions de l’expert.

Alain Confino, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Confino

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