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Démystifier la CSDDD : approche pratique pour les entreprises. Par Stéphane Brabant, Avocat et Eugénie Denat, Docteur en Droit.
Parution : mercredi 17 avril 2024
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Après de nombreux rebondissements, le vote par le Parlement européen de la « Corporate Sustainability Due Diligence Directive » (CSDDD ou Directive sur le devoir de vigilance) interviendra le 24 avril 2024 prochain.
Les attendus paraissent nombreux et les entreprises concernées y découvrent de nouvelles obligations qui, si elles ne sont pas expliquées, peuvent sembler complexes à mettre en œuvre. Il apparaît ainsi nécessaire, dans des termes simples, d’en démystifier certaines des dispositions les plus essentielles afin de rassurer les entreprises sur l’application de la directive et sur son contenu.

NDLR : An english version of the article can be found at the end.

1- La CSDDD s’appliquera progressivement dès 2027 pour finalement concerner toutes les entreprises en Union-européenne (UE) de plus de 1 000 employés avec un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros à compter de 2029. Elle s’appliquera aussi aux entreprises étrangères qui ont dans l’UE un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros.
La CSDDD (i) répond ainsi à la « fragmentation » des réglementations toujours complexe pour les entreprises qui ont des activités dans plusieurs pays, (ii) assure par une assez grande précision et son application plus globale une meilleure sécurité juridique aux entreprises et (iii) permet autant que possible une concurrence sur un même pied d’égalité sur le plan non seulement européen mais aussi mondial (level playing field).

2- La CSDDD repose, y compris pour son éventuelle interprétation, sur les Principes Directeurs des Nations Unies de 2011 (PDNU) et de ceux de l’OCDE sur les multinationales, principes dits de droit souple au demeurant souvent déjà largement volontairement endossés par les entreprises notamment françaises qui en ont ainsi fait par une autorégulation « leur droit dur ». La CSDDD est aussi influencée par le droit français sur le devoir de vigilance de 2017 - d’ailleurs aussi largement influencé par les PDNU.

3- Les entreprises devront, et surtout en liaison avec les parties prenantes (populations, travailleurs etc), faire preuve de vigilance - l’obligation de base de la CSDDD - sur tous les risques possibles d’impacts négatifs que leurs activités et celles de leurs relations d’affaires (filiales, sous-traitants, fournisseurs) peuvent avoir sur les droits humains et l’environnement (listes jointes à la Directive), en dresser une « cartographie » et les évaluer notamment en termes de gravité.

4- Dans cette logique avant tout de prévention, elles devront et de façon continue, prendre toutes les « mesures appropriées » (ou « raisonnables ») pour, en priorité, faire de leur mieux pour empêcher ou au moins limiter les impacts dont la réalisation leur apparaît comme la plus probable et dont les conséquences seraient les plus sévères sur les droits fondamentaux des êtres humains et de l’environnement, et « mesurer » leur efficacité. Il s’agit bien d’une obligation de moyens qui devra aussi prendre en compte et au cas par cas, le contexte (géographique, secteur etc).

5- Parmi ces mesures, les entreprises mettront notamment en place des politiques générales, mais aussi des codes de conduite et dispositions contractuelles dans leurs relations avec leurs sous-traitants ou fournisseurs directs (de rang 1), le plus souvent des PME. Elles veilleront avec ces PME à assurer un vrai partage de responsabilité et leur apporteront dans la mesure du possible un soutien financier, des formations et autres pour faciliter leur prise en compte de ces règles nouvelles imposées non par la CSDDD (seuils trop élevés pour les inclure) mais par les entreprises qui les font travailler (la théorie du ruissellement).

6- Les entreprises devront aussi, et toujours dans un but de prévention, mettre en place des mécanismes de « plaintes » par lesquels les parties prenantes et/ou leurs représentants, pourront leur signaler (i) non seulement des violations avérées de droits humains ou à l’environnement afin d’immédiatement les réparer, (ii) mais aussi pour les cas où elles auraient simplement de bonnes raisons de penser qu’elles pourraient être affectées.

7- Concernant les réparations (non-judiciaires), les entreprises n’y sont tenues que dans les cas où il apparaît clairement qu’elles sont seules ou conjointement, la cause directe des dommages. Elles n’y sont théoriquement pas tenues dans les autres cas c’est à dire d’impacts négatifs qui seraient le résultat des agissements indirects des sous-traitants ou fournisseurs de leurs propres sous-traitants ou fournisseurs (rang 2 et subséquents).

8- En cas de non-respect de ces droits humains et de l’environnement dans leurs chaînes d’activités, les entreprises veilleront à tout mettre en œuvre pour que cessent ces violations et ne pourront mettre fin à la relation commerciale avec les sous-traitants ou fournisseurs de rang 1 que si, malgré leurs efforts pour convaincre au changement (qui seront pris en compte par les tribunaux), ces violations notamment les plus graves persistent. Aussi, les entreprises ne devraient pas nécessairement mettre fin à leurs relations commerciales dans la mesure où la rupture envisagée pourrait avoir des conséquences négatives encore plus sévères sur des droits humains que si elles les maintenaient (on pense par exemple et dans les conditions prévues par les Conventions OIT, à la question du travail des enfants).

9- Pour les aider, les entreprises pourront désigner des auditeurs extérieurs pour les assister le mieux possible à respecter leurs obligations de vigilance. Ce ne sera pas un facteur d’exonération de responsabilité, mais probablement et sous certaines conditions, un moyen pour l’atténuer. Pour être crédibles, ces derniers devront être des experts reconnus en droits humains et de l’environnement. Des précisions sur leurs profils devraient être apportées par la Commission (y compris d’ailleurs sur les critères d’implications possibles d’organisations professionnelles).

10- La CSDDD prévoit l’instauration par chaque État membre d’une autorité nationale de supervision avec (i) un pouvoir d’investigations sur leur propre initiative ou à la demande de parties prenantes, (ii) la possibilité de mettre en place un mécanisme de gestion de plaintes en concurrence avec celui volontaire des entreprises et (iii) le droit d’imposer des pénalités qui ne pourront toutefois pas dépasser 5% du chiffre d’affaires mondial (nous avons peine à penser que de telles pénalités très « punitives » - alors que la CSDDD exclut les condamnations judiciaires punitives - seront décidées).

11- La responsabilité civile des entreprises vis-à-vis tant des victimes personnes physiques que morales, relève en revanche de chaque État membre (y compris la question de causalité) mais, précise la CSDDD, elle ne pourra être décidée que si l’entreprise a « intentionnellement ou négligemment » failli à ses obligations de prévenir, atténuer ou mettre fin aux impacts négatifs, et qu’il en est résulté un dommage. C’est incontestablement le cas si l’entreprise est la cause directe du dommage, mais il demeure une incertitude, sinon de texte au moins doctrinale, dans les cas de co-responsabilité des sous-traitants ou fournisseurs. À défaut de responsabilité civile, il reste pour l’entreprise celle de devoir user de son influence - dont les formes sont multiples selon le contexte - pour faire cesser les impacts négatifs. En outre et pour apprécier si l’entreprise a bien pris les mesures appropriées pour empêcher ou atténuer les dommages, le tribunal devra évaluer la façon dont l’entreprise a « priorisé » les risques, étape déterminante du devoir de vigilance. Aussi, et concernant la mise en œuvre de la responsabilité civile, les représentants des victimes ne pourront agir qu’au nom de ces dernières et non pour elles-mêmes, et selon les procédures décidées par chaque État membre.

12- Concernant le changement climatique, les entreprises devront faire leur possible (obligations de moyens) pour mettre en place des plans de transition en accord avec les accords de Paris, et sans pénalité, comme c’est aussi le cas pour les dirigeants dont la responsabilité n’est plus envisagée.

La CSDDD est donc pour les entreprises, un outil juridique pour une profitabilité durable.

Find the english version of this article in the document below :

Demystifying the CSDDD : practical approach for businesses.
Stéphane Brabant, Avocat Barreau de Paris Senior Partner Trinity International AARPI et Eugénie Denat, Docteur en Droit.