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Vices-cachés et expertise immobilière : suspension du délai jusqu’au rapport. Par Sophie Risaletto, Avocat.
Parution : mercredi 17 avril 2024
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Lorsqu’un acquéreur d’immeuble découvre un vice caché, il est nécessaire de demander au juge des référés la désignation d’un expert avant d’assigner le vendeur aux fins d’indemnisation des désordres constatés ou d’obtention de la nullité de la vente.
Aux termes de l’article 1648 du Code Civil, l’action résultant des vices cachés de la chose vendue doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Faute de précision dans ce texte de la nature juridique de ce délai pour agir, un contentieux est apparu sur le point de départ des deux ans et les cas de suspension de son écoulement.

Un arrêt récent de la Cour de Cassation rappelle que le délai de deux ans des vices cachés a été considéré comme un délai de prescription, depuis une jurisprudence du 21 juillet 2023, et qu’il est ainsi suspendu jusqu’à l’obtention du rapport d’expertise ordonné par le juge des référés [1].

La demande d’expertise judiciaire en référé par un acquéreur permet d’établir notamment la preuve du vice allégué, l’antériorité de son existence au moment de la vente, les causes et responsabilités ou encore le montant des travaux de remise en état de l’immeuble.

L’action en garantie des vices-cachés doit être mise en œuvre dans un délai de deux ans selon l’article 1648 du Code Civil.

Pour autant, ce texte ne précise pas si la mesure d’expertise judiciaire a pour effet de suspendre ou non le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés et le cas échéant, jusqu’à quel moment.

Un débat sur la nature juridique de ce délai biennal apparu : est-ce un délai de forclusion ou un délai de prescription ?

En matière de vente immobilière, la Cour de cassation avait estimé que le délai pour agir en garantie des vices cachés était un délai de forclusion.

Le délai pour agir au fond/en indemnisation du désordre par l’acquéreur, ou en nullité de la vente, était donc non susceptible de suspension en application des dispositions de l’article 2239 du Code Civil, même s’il y avait eu une expertise judiciaire préalable constatant l’existence du vice-caché.

Le délai biennal des vices-cachés commençait donc à courir le lendemain de la découverte du défaut par l’acquéreur et il était interrompu par l’assignation aux fins de désignation d’un expert judiciaire jusqu’à la date de l’ordonnance de référé, puis recommençait pour le temps restant à courir jusqu’au deux ans dès le lendemain de cette décision.

Dans ces conditions, l’acquéreur devait assigner le vendeur de l’immeuble en garantie des vices cachés, sans attendre l’avis de l’expert désigné par le juge, pour ne pas se retrouver forclos lors de l’instance devant statuer sur son indemnisation ou/et l’obtention de la nullité de la vente [2].

L’arrêt du 15 février 2024 illustre l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur le cas suspensif de la mesure d’expertise judiciaire pour l’écoulement du délai biennal de la garantie des vices cachés [3].

Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Montpellier avait rejeté la demande de résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés d’une maison présentée par l’acquéreur. Elle avait estimé que l’acquéreur était forclos en son action devant statuer sur son indemnisation ou/et l’obtention de la nullité de la vente car l’action initiée était intervenue plus de deux ans après la date de l’ordonnance en référé désignant l’expert judiciaire [4].

La Cour de cassation dans son arrêt du 15 février 2024 a cassé l’arrêt d’appel en rappelant que depuis la jurisprudence du 21 juillet 2023 rendue par la Chambre Mixte, il est désormais jugé que le délai biennal des vices-cachés est un délai de prescription. Ainsi, la mesure d’expertise judiciaire suspend l’écoulement de ce délai jusqu’à la date du dépôt d’expert, par application de l’article 2239 du Code Civil [5].

Sophie Risaletto, Avocat au Barreau de Lyon E.I., Diplômée Notaire http://risaletto-avocats.com/

[1Civ, 3ᵉ,15 février 2024, n° 22-20.065 et Ch. mixte., 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15.809.

[2Civ. 3ᵉ, 5 janv. 2022, n° 20-22.670.

[3Civ, 3ᵉ,15 février 2024, n° 22-20.065.

[4Cour d’appel de Montpellier, 3ᵉ chambre civile, 9 juin 2022, n° 20/05677.

[5Civ, 3ᵉ,15 février 2024, n° 22-20.065 et Ch. mixte., 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15.809.