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L’interventionnisme du juge en droit de la copropriété. Par Charles Dulac, Avocat.
Parution : mardi 16 avril 2024
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Dans un monde libéral, le caractère légal-contractuel de la copropriété interdirait toute immixtion d’un juge. Tel n’est pas. Tant la loi que l’évolution prétorienne ont conduit à accepter, à tort ou à raison, l’intervention du juge dans cette matière.

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ».

Comment ne pas se remémorer cette célèbre citation du Père Henri-Dominique Lacordaire qui, outre l’abondance de son utilisation dans les divers manuels de droit, trouve parfaitement à s’appliquer au monde proustien de la copropriété où le règlement de copropriété joue lieu de règle d’usage aristocratique et l’assemblée générale de réunion mondaine ou s’exprime (trop souvent) les différends implicites entre copropriétaires. De ce fait, si la nature originelle du droit de la copropriété est purement contractuelle, au travers du règlement de copropriété et l’Etat descriptif de division de l’immeuble, depuis 1938, le législateur s’échine à en définir les contours au point d’en instaurer le texte fondateur : la loi du 10 juillet 1965. Saint graal du droit de la copropriété, la Loi de 1965, agrémentée de son Décret du 17 mars 1967 et moulte fois révisée et augmentée, a pour but de régir l’ensemble des aspects de la vie en copropriété, de sa création à son administration, jusqu’à (parfois) sa dissolution. Et, par une palinodie magnifique, de la loi de 1965 qui vise à éviter l’asservissement des copropriétaires à des pratiques contractuelles abusives dans les règlements d’immeuble, c’est finalement la matière contractuelle qui en est asservie, le règlement de copropriété actuel étant dorénavant stéréotypé aux impositions légalistes et devant même s’adapter aux différentes réformes (Cf. Loi Elan qui impose de multiples mise en confirmé des règlements de copropriété). En définitive, il fallait alors trouver un moyen de contrebalancer ce déséquilibre de pouvoirs et, comme souvent, le juge a été appelé, non pas seulement à interpréter les textes légaux, mais bien à intervenir directement dans les décisions de la copropriété. Un interventionnisme légalisé visant, peut-être, à affranchir le copropriétaire...ou pas.

Après cette longue introduction, entrons plutôt dans le concret. Car deux arrêts de la Cour de de cassation, rendus le même jour, à savoir le 25 janvier 2024, ont justement mis en exergue l’immixtion du juge dans le droit de la copropriété. Dans le premier cas, la Troisième Chambre Civile de la Cour était amenée à se questionner sur le pouvoir des juges à procéder à une nouvelle répartition des charges de copropriété en cas de clause de répartition illicite dans le règlement de copropriété de l’immeuble. Les Hauts Magistrats ont alors réaffirmé les principes de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 qui permettent au juge de réputer non-écrite une telle clause et de procéder, de lui-même, à une nouvelle répartition avec effet au premier jour de l’exercice comptable suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive [1].

Le deuxième cas est quant à lui particulièrement d’actualité car il s’intéresse aux locations touristiques meublées et les désormais célèbres Airbnb. Il était question ici de savoir si ce type de location dans un immeuble résidentiel était autorisé ou non. Et la cour de considérer, qu’indépendamment des critères fiscaux quant à la nature commerciale ou non de l’activité, il appartenait aux Juges d’apprécier au cas par cas les modalités de la location, le nombre de prestations proposées (nettoyage, fourniture de linge de maison…), et la nature résidentielle même de l’immeuble, pour estimer si cette location devait être prohibée ou non [2]. Or, jusqu’alors, la jurisprudence avait fluctué et était passée d’une autorisation quasiment systématique jusqu’en 2013, assimilant les locations touristiques à des locations saisonnières, pour finalement basculer dans une vision très stricte, considérant ces activités de nature commerciale et devant donc être interdites dans les résidences d’habitation « bourgeoise ». Désormais, la tendance semble à nouveau basculer vers une libéralisation plus importante de la pratique locative.

Une inconstance qui dénote avec le pouvoir grandissant des juges, lesquels sont amenés dans plusieurs situations à se substituer aux préétablis du règlement de copropriété et, même, aux décisions de l’assemblée générale.

I. L’interventionnisme en droit de la copropriété : le juge gracieux.

Lorsque l’on évoque le terme gracieux, il n’est évidemment pas question de juger du caractère affable ou non de la personne du magistrat. Evidemment, il s’agit d’évoquer la question de l’intervention du juge en dehors d’un conflit et de manière non contradictoire (par voie de requête). Dans le cadre de la copropriété, il peut être observé que l’ingérence du juge gracieux va surtout tenir sur la constitution même des organes de la copropriété. Il s’agit ici de palier une carence ou une difficulté qui empêcherait la bonne tenue de l’immeuble.

Le choix des membres du conseil syndical.

Ainsi, le choix des membres du conseil syndical peut être astreint par le tribunal. C’est ce que prévoit expressément l’article 48 du Décret du 17 mars 1967 qui dispose en son alinéa 1 :

« A défaut de désignation dans les conditions prévues par l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965 et au troisième alinéa de l’article 24 du présent décret, le président du tribunal judiciaire, sur requête du syndic ou d’un ou plusieurs copropriétaires, désigne par ordonnance les membres du conseil syndical ».

A noter que cette désignation porte sur les membres mais également sur la durée des fonctions. Si la requête en désignation ne comporte aucune proposition de noms, avec des manifestations de volonté, on peine à voir comment le juge, sans connaître la vie de la copropriété, va pouvoir désigner l’un ou l’autre des copropriétaires. Au pifomètre ?

Le choix d’un mandataire pour les indivisions.

De même, le juge est compétent pour la désignation d’un mandataire judiciaire, à défaut d’accord entre les copropriétaires indivis d’un même lot quant à la nomination d’un mandataire commun. C’est ce que prévoit l’article 23 de la loi du 10 juillet 1965. Cette désignation peut être faite, on le comprend parfaitement, par les indivisaires en conflit, mais également, par le syndic. Dans ce dernier cas, le but est évidemment d’éviter une paralysie de la copropriété par l’absence de décision des copropriétaires indivisaires, notamment dans le paiement des charges. A savoir que si cette procédure en désignation reste globalement gracieuse, les tribunaux exigent de plus en plus une assignation des indivisaires lorsque l’action est à l’initiative du syndic. Certainement car ces derniers devront assumer le coût du mandataire commun.

Le choix d’un syndic judiciaire (administrateur provisoire).

Enfin, et c’est certainement l’immixtion la plus importante, le juge peut être chargé de désigner lui-même le syndic… ou plutôt un administrateur provisoire. Deux situations sont concernées : la copropriété est dépourvue de syndic [3] ; l’équilibre financier de la copropriété est gravement compromis ou le syndicat est dans l’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble [4]. L’administrateur est à nouveau désigné par voie de requête, à l’initiative d’un ou plusieurs copropriétaires, ou du syndic (pour le deuxième cas), voire de la commune, pour une durée et des fonctions précises. L’idée est évidemment d’éviter que le syndicat des copropriétaires se retrouve sans syndic. Ce type de situation est en augmentation étant donné la propension des copropriétés à se désolidariser de leur syndic et à ne plus les renouveler, sans pour autant s’adjoindre un nouveau mandat. En outre, le juge peut également être amené à désigner un administrateur, en cas de défaillance ou de carence du syndic pour l’exécution d’une de ses missions, notamment pour la réalisation de travaux nécessaires à la sauvegarde de la copropriété. Cet administrateur provisoire aura une mission ad hoc (limitée spécifiquement) et devra être désigné par voie d’assignation [5].

En définitive, l’intervention du juge gracieux en matière de copropriété à l’avantage de palier à une déficience de gestion du Syndicat. Il vise à permettre la poursuite de la vie de l’immeuble et à dépasser des situations de blocage. Toutefois, de manière concrète, l’action de l’administrateur, du mandataire… est parfois peu efficace tant sa légitimé souffre en comparaison à celle d’un syndic professionnel, élu et adoubé par les copropriétaires. C’est en sens que le concours du juge reste limité.

II. L’interventionnisme en droit de la copropriété : le juge contentieux.

Dans le présent chapitre, il est question ici de litige. Le juge contentieux est celui qui classiquement est saisi par voie d’assignation, de manière contradictoire. Son immixtion dans le droit de la copropriété intervient souvent de manière fortuite et opportune, pour l’aider à trancher une demande principale. Toutefois, tel n’est pas tout le temps le cas et, notamment dans une grande hypothèse, cette intervention n’est plus un instrument accessoire au service de la résolution d’une affaire mais bien l’outil principal du litige. Dans ce dernier cas, l’ingérence est à son paroxysme.

L’intervention du juge comme accessoire au litige principal.

Comprenons ici qu’il ne s’agit pas pour le juge de procéder à une interprétation du droit, au regard de la loi ou de la jurisprudence, mais bien d’utiliser son pouvoir d’ingérence pour statuer sur une demande principale excipée dans le cadre d’un contentieux en copropriété. Mais comme un geste vaut mille mots, un exemple illustre mieux que mille théories. Il suffit pour cela de se référer au cas jurisprudentiel cité en introduction, soulevé par la Cour de cassation dans l’arrêt du 25 janvier 2024 [6].

Dans cette première espèce, les juges étaient initialement saisis d’une procédure en recouvrement de charges et, pour se prononcer sur la recevabilité de la demande, avaient fait procéder à l’examen d’une clause de répartition dans l’Etat descriptif de division avant de considérer qu’elle était illicite. De ce fait, le tribunal avait écarté la clause pour exercer, de son propre chef, à une nouvelle répartition. Deux éléments doivent être compris dans cette décision.

Premièrement, l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 permet effectivement au juge de réputer non-écrite une clause du règlement de copropriété si elle contrevient à des dispositions légales. Ceci n’est en rien étonnant et correspond à une pratique courante en matière contractuelle qui, parfois, conduit même le juge à rééquilibrer le contrat dans le cadre des clauses abusives. Ainsi, en copropriété, l’illicéité d’une clause peut aisément être soulevée lorsqu’elle porte atteinte aux droits des copropriétaires sur les lots sans être « justifiée par la destination de l’immeuble » [7]. Ou encore, lorsque la clause contrevient à des règles relatives à l’assemblée générale des copropriétaires [8].

Deuxièmement, et ceci est spécifique aux charges de copropriété, le juge qui écarte une clause de répartition de charges « procède à leur nouvelle répartition » [9]. L’intrusion est alors caractérisée en ce que le juge dépasse le pouvoir contractuel du règlement de copropriété pour organiser lui-même le financement du syndicat des copropriétaires, du « premier jour de l’exercice comptable suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive » [10].

Ainsi, il faut voir dans cette pratique légale de révision des clauses du règlement, un instrument pour le juge au service de sa décision. Dans l’affaire citée, cela lui permet de résoudre le conflit entre le syndicat des copropriétaires et le copropriétaire-débiteur quant au paiement de sa créance de charges.

L’intervention du juge à titre principal au litige.

Cette fois-ci l’interventionnisme n’est plus un accessoire mais directement le sujet de résolution du conflit. A ce stade, et nous allons le voir, l’ingérence est à son point culminant car le juge ne va pas simplement constater une illicéité, et palier à la carence d’un clause, mais bien outrepasser, même contredire, l’avis de l’assemblée générale.

Effectivement, l’alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965, prévoit que :

« Lorsque l’assemblée générale refuse l’autorisation prévue à l’article 25 b, tout copropriétaire ou groupe de copropriétaires peut être autorisé par le tribunal judiciaire à exécuter, aux conditions fixées par le tribunal, tous travaux d’amélioration visés à l’alinéa 1er ci-dessus ; le tribunal fixe en outre les conditions dans lesquelles les autres copropriétaires pourront utiliser les installations ainsi réalisées. Lorsqu’il est possible d’en réserver l’usage à ceux des copropriétaires qui les ont exécutées, les autres copropriétaires ne pourront être autorisés à les utiliser qu’en versant leur quote-part du coût de ces installations, évalué à la date où cette faculté est exercée ».

En résumé, cette disposition légale permet à un copropriétaire, dont la demande de travaux a été éconduite en assemblée générale, de solliciter une autorisation judiciaire qui contredirait le refus des copropriétaires. Pour justifier de cela, la loi pose quatre conditions :
1) la demande de travaux relève de l’autorisation de l’article 25b), c’est-à-dire des travaux qui affectent les parties communes ou à l’aspect extérieur de l’immeuble mais qui n’impliquent aucune aliénation [11] ;
2) les travaux sont d’amélioration et non simplement d’entretien. Par exemple, le décloisonnement d’un appartement pour agrandir une pièce peut être considéré comme d’amélioration ;
3) les travaux sont conformes à la destination de l’immeuble. Tel ne serait pas le cas, par exemple, de travaux qui changeraient la destination du logement (en commerce, cabinet libéral…) et contrediraient les règles établies par le règlement de copropriété ;
4) les travaux ne portent pas atteinte aux droits des autres copropriétaires. Tel pourrait être le cas d’un raccordement qui provoquerait des fuites chez un voisin.

Ainsi, si de telles conditions sont remplies et que le dossier technique est suffisamment précis, le juge est en mesure de contredire l’avis négatif des copropriétaires et d’accorder la réalisation des travaux.

Ce pouvoir exorbitant peut parfois paraître incohérent tant on peut se questionner quant à la légitimité d’un tribunal qui ne connait finalement les tenants et aboutissants de la copropriété qu’au travers de dossiers succincts déposés par les avocats des parties, par nature orientés et ne tentant de toute évidence qu’à acquérir la cause du magistrat. Néanmoins, et encore une fois, cette dérogation à la valeur contractuelle vise essentiellement à libérer les situations de blocage auxquelles peuvent faire face des copropriétaires, lesquelles sont généralement plus liées à des considérations d’ordre personnel qu’à l’intérêt supérieur de la copropriété.

III. L’interventionnisme en droit de la copropriété : le juge jurisprudentiel.

Cette dernière partie vaut évidemment d’ouverture et de conclusion. Car, comme dans tous les domaines du droit, le rôle principal du juge (surtout des cours d’appel et de Cassation) est d’interpréter la loi, d’expliciter ses concepts et d’en dégager des principes prétoriens qui parfois valent plus que la loi elle-même.

Ainsi, le juge jurisprudentiel s’échine t’il a reprendre, remodeler et reconfigurer sans cesse les principes du droit de la copropriété, au gré des tendances (parfois politiques) et au risque de se contredire. Que dire du second arrêt du 25 janvier 2024 [12] qui considère désormais que l’appréciation du caractère commercial de la location touristique doit se faire au regard du contexte urbain, et non fiscal, et ne pas se conformer à la seule clause d’habitation bourgeoise du règlement de copropriété.

Une interprétation jurisprudentielle qui permet aussi de dénouer des situation ambigües. Tel est par exemple le cas des prescriptions pour des travaux illicites, entre ceux qui n’affectent que l’aspect extérieur de l’immeuble et rejoignent la prescription de droit personnel, de 5 ans, et ceux qui constituent une emprise et qui appartiennent à la prescription de droit réel, de 30 ans.

Il y’a enfin la jurisprudence qui explicite, comme pour les droits de construire dont le caractère abstrait fait encore l’objet de discussions jurisprudentielles et même de commissions d’experts pour établir une méthode de chiffrage objective et harmonisée. On peut également citer la notion de copropriétaire « opposant » ou « défaillant », dans le cadre de la contestation d’une assemblée générale, qui a encore fait l’objet de récentes décisions de la Cour de cassation quant à sa définition.

Enfin, il y’a la jurisprudence qui crée du droit. Le cas le plus emblématique est celui des parties communes à jouissance privative. Création purement prétorienne, elle a fini par intégrer le champ légal et être consacrée en 2018 par la loi Elan, à l’article 6-3.

En tout état de cause, l’interventionnisme du juge est indubitablement un moteur d’avancée du processus de création législatif et d’évolution du droit de la copropriété. Parfois grevé d’un rôle de déblocage des situations paralysante pour la copropriété, parfois rôle de décideur face à l’avis non-éclairé de la majorité, parfois rôle d’éclaireur de concepts législatifs obscures ou incomplets, son intervention reste un atout tant qu’elle n’est que parcimonie et mesure.

Charles Dulac Avocat au Barreau de Paris [->contact@dulac-avocat.com]

[1Cass. Civ.3ème, 25 janvier 2024, n° 22-22.036.

[2Cass. Civ.3ème, 25 janvier 2024, n° 22-21-455.

[3Articles 46 et 47 - Décret du 17 mars 1967.

[4Article 29-1 - Loi du 10 juillet 1965.

[5Article 49 - Décret 17 mars 1967.

[6Cass. Civ.3ème, 25 janvier 2024, n° 22-22.036.

[7Article 8 - Loi du 10 juillet 1965.

[8Article 26 - Loi du 10 juillet 1965.

[9Article 43 - Loi du 10 juillet 1965.

[10Article 43 - Loi du 10 juillet 1965.

[11Article 26 Loi du 10 juillet 1965.

[12Cass. Civ.3ème, 25 janvier 2024, n° 22-21-455.