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La subrogation de l’AGS sur les droits des salariés dans le cadre d’une procédure collective. Par Houssam Hassani, Juriste.
Parution : lundi 15 avril 2024
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La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances », lequel n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS (Association pour la Gestion du régime d’assurance des créances des Salaires) qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds.

Dans les faits :

(Cass., com., 6 mars 2024, n°22-19.471)

Le 1ᵉʳ avril 2019 : Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte contre la société Sintertech.
Le 24 avril 2019 : La société Mécad Savoie a notifié au mandataire judiciaire désigné dans la procédure, son droit de rétention sur des marchandises que la débitrice lui avait confiées en contrepartie d’une prestation qu’elle avait réalisée.
Le 30 avril 2019 : Une ordonnance autorisant le paiement de la créance de la société Mécad a été rendue par le juge-commissaire, afin qu’elle puisse libérer les marchandises qu’elle retenait. Une décision qui fut contestée par le mandataire judiciaire, qui a formé un recours.
Le 05 juin 2019 : Le juge-commissaire a, par une seconde ordonnance, ordonné à l’administrateur judiciaire de transiger en payant la créance en deux temps, afin de récupérer les marchandises. Cette nouvelle décision n’a pas laissé l’UNIDEC indifférente, qui a effectué un recours.
Le 19 octobre 2019 : La procédure de redressement a été convertie en liquidation judiciaire.

La Cour d’appel de Grenoble a fait suite aux demandes de l’UNIDEC, par un arrêt du 05 mai 2022, tout en déclarant irrecevable la requête de l’administrateur tendant à ce qu’il soit autorisé de transiger.

Dans leurs moyens en cassation, le liquidateur et l’administrateur judiciaires désignés, plaidaient, dans un premier temps, l’irrecevabilité du recours dirigé contre la seconde ordonnance du juge commissaire, au motif que, l’autorisation du juge-commissaire portant sur le paiement de la créance de la société Mécad, n’affecte pas directement les droits et obligations des autres créanciers, conformément aux dispositions de l’article R621-21 du Code de commerce.

Dans un second temps, ils arguaient que le remboursement des créances superprivilégiées de l’AGS est subordonné à une autorisation du juge-commissaire, et le remboursement des sommes avancées par l’AGS en tant qu’institution de garantie ne peut être exigé durant la période d’observation, que dans la mesure où l’entreprise détient des fonds lui permettant d’y faire droit sans compromettre son fonctionnement normal et donc ses possibilités de redressement.

Réponse de la cour :

En s’appuyant aux dispositions de l’article R621-1 du Code de commerce, la cour a tenu à préciser que :

« La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds ».

Ainsi, la cour nous apporte une autre précision concernant le contour des missions de l’administrateur judiciaire. Selon la cour, lorsque l’administrateur judiciaire a une mission d’assistance, il exerce les prérogatives confiées au débiteur par l’article L622-7 II du Code de commerce, concurremment avec le débiteur, et non à sa demande. Dit-autrement, il ne suffit pas que le débiteur ait demandé à l’administrateur d’agir à sa place, ils doivent agir ensemble conjointement.

Il conviendrait de s’intéresser tout d’abord à la subrogation de l’AGS sur les droits des salariés (I), avant de nous intéresser au supplément de la décision qui précise la limite des pouvoirs de l’administrateur judiciaire lorsque celui-ci est investi d’une mission d’assistance (II).

I- La subrogation de l’AGS sur les droits des salariés.

Rappel sur le principe de la garantie des créances salariales.

Comme toute décision de justice, le jugement d’ouverture d’une procédure collective produit différents effets à l’égard du débiteur, mais aussi des créanciers.

Parmi ces effets, on peut par exemple citer les plus connus comme l’interdiction pour le débiteur de régler les créances antérieures au jugement d’ouverture de la procédure collective, l’arrêt des poursuites individuelles dirigées contre le débiteur, ou encore, la déclaration des créances au passif du débiteur dans les deux mois qui ont suivi la publication dudit jugement au BODACC, sous peine d’être forclos.

Toutefois, notre analyse porte essentiellement sur une des exceptions de l’interdiction de payer les créances antérieures au jugement d’ouverture.

En raison de leur caractère privilégié (article 2101 du Code civil) et superprivilégié [1], les créances salariales bénéficient d’un traitement de faveur en cas d’ouverture d’une procédure collective.

En effet, il résulte des dispositions de l’article 3253-2 précité que :

« Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte, les rémunérations de toute nature dues aux salariés pour les soixante derniers jours de travail sont, déduction faite des acomptes déjà perçus, payées, nonobstant l’existence de toute autre créance privilégiée, jusqu’à concurrence d’un plafond mensuel identique pour toutes les catégories de bénéficiaires. Ce plafond est fixé par voie réglementaire sans pouvoir être inférieur à deux fois le plafond retenu pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale ».

À la lecture de cet article, on comprend aisément que les créances visées ici, sont celles qui résulteraient d’un contrat de travail ou d’un contrat d’apprentissage. Celles-ci doivent être payées dans les dix jours qui suivent le jugement d’ouverture de la procédure collective, à condition qu’il y ait assez de fonds et que l’administrateur judiciaire soit autorisé à procéder de la sorte par le juge-commissaire.

A défaut d’avoir suffisamment de fonds pouvant permettre le paiement des créances salariales, l’administrateur sollicitera l’intervention de l’AGS en tant qu’institution de garantie afin de payer lesdites créances.

Le transfert des droits du salarié à l’AGS.

En procédant au paiement des créances salariales, l’AGS est subrogée sur les droits des salariés, pour lesquels elle a fait des avances, qu’elle doit ainsi déclarer dans les conditions prévues par l’alinéa 6 de l’article L625-8 du Code de commerce.

La question du transfert des droits des salariés à l’AGS avait provoqué une dichotomie au sein de la doctrine. Certains auteurs estiment que la subrogation transfère à l’AGS tous les avantages dont disposait le créancier salarié. D’autres, estiment que le transfert des droits des salariés à l’AGS connait certaines limites. Ils s’appuient en effet sur les dispositions de l’article 1346-4 du Code civil, qui dispose en son alinéa premier que

« la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier ».

L’arrêt d’espèce vient s’aligner aux deux arrêts rendus le 17 janvier 2024 [2], qui semblent avoir mis fin au débat qui avait divisé la doctrine sur cette question.

A travers ces deux arrêts du 17 janvier 2024, la Cour de cassation nous a apporté d’importantes précisions sur la garantie des créances salariales :

Pour la Haute juridiction,

« la subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir ».

Nous retrouvons la même formulation sur l’arrêt, objet de la présente analyse. En effet, dans notre arrêt d’espèce, la Haute juridiction affirme que, textuellement repris :

« La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds ».

Selon la cour, l’ordonnance du juge-commissaire autorisant le paiement de la créance des marchandises détenues par la société Mecad, portait atteinte aux droits de l’AGS, subrogée aux droits des salariés, en raison des avances qu’elle a effectuées auprès de l’administrateur judiciaire.

On peut espérer que cette nouvelle position de la cour est venue mettre fin aux différentes hésitations qui régnaient au sein de la doctrine. Il ne faut sans doute pas oublier de rappeler que la Cour de cassation s’est déjà prononcée par le passé sur cette question de transfert des droits des salariés à l’AGS, c’est le cas par exemple d’un arrêt rendu par la chambre commerciale le 07 juillet 2023 [3].

Toutefois, la portée de cette décision ne semble pas avoir résolu toutes les difficultés liées à cette question. La subrogation de l’AGS sur les droits des salariés laisse planer diverses incertitudes. On doit apporter quelques critiques :

D’une part, en décidant ainsi, la cour semble faciliter indirectement le recours de l’AGS contre les ordonnances du juge-commissaire, par l’effet de la subrogation. Par ailleurs, on peut se demander si la portée de cette décision ne méconnaît pas le principe de la subrogation au sens de l’article 1346-4 du Code civil, dans sa version issue de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

En effet, il résulte des dispositions de cet article que

« La subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier.
Toutefois, le subrogé n’a droit qu’à l’intérêt légal à compter d’une mise en demeure, s’il n’a convenu avec le débiteur d’un nouvel intérêt. Ces intérêts sont garantis par les sûretés attachées à la créance, dans les limites, lorsqu’elles ont été constituées par des tiers, de leurs engagements initiaux s’ils ne consentent à s’obliger au-delà
 ».

A la lecture de cet article, on comprend aisément que la subrogation connaît inéluctablement certaines limites telles que les droits attachés à la personne du créancier cédant. Toutefois, la difficulté résulte du fait qu’en pratique, il est difficile de distinguer les droits attachés à la personne du créancier et ceux qui ne le sont pas. Jusqu’à ce jour, le législateur n’a pas donné une définition précise quant à cette notion de droit attaché à la personne du subrogeant, encore moins, établir une liste desdits droits. Une partie de la doctrine estime que ces droits s’apparenteraient aux droits propres d’une personne, au point que seule, cette dernière est habilitée à les exercer le cas échéant.

Néanmoins, la jurisprudence a, par le passé, reconnu certains droits comme étant attachés à la personne du créancier. C’est le cas par exemple du droit de se constituer partie civile dans un procès. Dans un arrêt rendu le 04 avril 2024, la 1ʳᵉ Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que le droit de prononcer la déchéance du terme dans un contrat de prêt, faisait partie des droits attachés à la personne du créancier, de sorte que le bénéficiaire d’une subrogation légale ne pourra pas la prononcer [4].

D’autre part, une autre question épineuse mérite qu’on s’y intéresse, celle relative au traitement des créanciers.

En effet, comme évoqué ci-haut, l’ouverture d’une procédure collective interdit au débiteur de payer les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture. Cette interdiction a pour objectif d’éviter une quelconque lésion de certains créanciers au profit d’autres. En d’autres termes, empêcher le débiteur de régler certains créanciers au détriment des autres. Par ailleurs, il est interdit aux créanciers d’agir individuellement aux fins d’un recouvrement d’une créance antérieure au jugement d’ouverture. C’est la quintessence du principe de l’intérêt collectif des créanciers [5].

Néanmoins, en décidant que l’AGS pourrait être réglée à hauteur des sommes qu’elle a avancées au titre du super-privilège, la Cour semble briser ce principe. Ainsi, en se faisant rembourser des sommes avancées, l’AGS n’aura pas à les restituer. Force est de constater que cette situation place les autres créanciers dans une mauvaise posture, y compris ceux qui bénéficieraient d’un rang préférentiel comme les créanciers hypothécaires.

Depuis longtemps, la Cour de cassation a toujours admis la primauté des créances de l’AGS sur les autres. C’est ce qu’elle a par exemple décidé dans un arrêt rendu par la Chambre commerciale en date du 11 juin 2014 [6]. Ce traitement de faveur que bénéficient les institutions de garantie s’applique également aux autres créanciers postérieurs méritants. Ces derniers devront attendre et se placer sur une file d’attente des potentiels créanciers à rembourser, après que l’AGS soit remboursée.

On peut également arguer que cette position de la Cour va à l’encontre des objectifs visés par les lois du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés de l’entreprise [7], et du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises [8], en ce sens que le remboursement de l’AGS sur les premières rentrées de fonds sans restitution possible, peut considérablement aggraver la situation financière du débiteur. Pour rappel, l’objectif majeur de ces lois étant de mettre les chefs d’entreprises rencontrant des difficultés dans le cadre de leur activité, sous la protection de la justice.

Afin d’éviter les différentes difficultés qui peuvent résulter de cette consécration jurisprudentielle, il serait opportun que le législateur et la Cour de cassation apportent des réponses claires tant sur la définition du droit attaché à la personne du créancier, que sur la primauté de l’AGS sur les autres créanciers antérieurs et postérieurs (méritants) du jugement d’ouverture d’une procédure collective. Pour ce qui est de la Cour de cassation, elle devrait prochainement se prononcer sur une question similaire après pourvoi d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 6 juillet 2023 (n° 22/08880).

II- Missions et actions de l’administrateur judiciaire.

Définis par les articles L811-1 et suivants du Code de commerce, les administrateurs judiciaires sont les mandataires, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice d’administrer les biens d’autrui ou d’exercer des fonctions d’assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens.

La désignation d’un administrateur judiciaire ne peut se faire que dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de liquidation judiciaire. Sa désignation est constatée par le jugement d’ouverture de la procédure collective. Toutefois, conformément aux dispositions de l’ordonnance du 18 décembre 2008 [9], le débiteur et le ministère public peuvent solliciter du tribunal, la nomination d’un administrateur judiciaire de leur choix. Mais cette faculté ne lie aucunement le tribunal, qui peut rejeter cette demande, et ce, pour différentes raisons qui lui sont propres, comme le respect d’impartialité des administrateurs judiciaires.

Néanmoins, dans certains cas, il n’est pas nécessaire pour le tribunal de désigner un administrateur judiciaire. C’est le cas par exemple, lorsque l’entreprise débitrice emploie moins de vingt salariés ou fait un chiffre d’affaires qui n’excède pas 3 millions d’euros HT.

Les missions de l’administrateur judiciaire sont fixées par le tribunal ayant rendu le jugement d’ouverture en application des articles L622-1 et suivants du Code de commerce.

C’est sur ce dernier aspect que notre analyse portera.

En effet, comme rappelé dans les faits du présent arrêt, l’ordonnance litigieuse a été rendue suite à une requête déposée par l’administrateur judiciaire, alors que ce dernier avait une mission d’assistance.

Dans son pourvoi en cassation, l’administrateur arguait que la requête déposée au tribunal le 29 mai 2019 n’était que l’exécution d’une demande expresse du débiteur.

Qu’en l’état, il s’agirait d’un concours avec le débiteur comme l’imposent les dispositions de l’article L631-14 du Code de commerce.

Ce à quoi la Cour de cassation a souhaité apporter une nuance sur cette question d’exercice des prérogatives par l’administrateur judiciaire. Dans une énoncée très limpide, la Haute juridiction affirme que :

« lorsque l’administrateur a une mission d’assistance, il exerce les prérogatives conférées au débiteur par l’article L622-7 II du Code de commerce, concurremment avec le débiteur, et non à sa demande ».

La formulation paraît très claire et précise. En effet, il ne suffit pas que le débiteur ait demandé à l’administrateur d’agir, ils doivent le faire conjointement. Cela laisserait comprendre que l’action exercée par l’administrateur judiciaire doit avoir été discutée et décidée communément par les deux parties.

Pour rappel, lorsque l’administrateur judiciaire est investi d’une mission d’assistance, cela voudrait dire que tout au long de la procédure, et sauf changement de mission par le juge-commissaire, il veillera à ce que le chef d’entreprise ne transgresse pas certaines obligations légales qui lui incombent. L’administration de l’entreprise reste sous l’égide du dirigeant. En revanche, la signature de certains actes requiert une double signature des deux organes, tels que les chèques en banque, la souscription de nouveaux prêts, etc.

Toutefois, si par concurremment, la cour entend par « au même moment », il n’en demeure pas moins qu’en pratique, cela semble improbable, ou du moins, insignifiant. On imagine mal les deux protagonistes se rendre au tribunal de commerce ou au tribunal judiciaire aux fins de saisir le juge-commissaire.

Houssam Hassani, Juriste IEJ de Toulon - CRFPA Droit bancaire et droit des entreprises en difficulté

[1Article L3253-2 du Code du travail.

[2N° 23-12.283, n°22-19.451.

[3Com. 7 juill. 2023, FS-B+R, n° 22-17.902.

[4Cass. 1re civ., 4 avr. 2024, n° 22-23.040, FS-B.

[5Cass. Com 2 juin 2015, n°13-24714.

[6Com. 11 juin 2014, n°13-17.997, P IV, n°103, D. 2014. Actu. 1270, obs. Lienhard.

[7Loi n°94-475.

[8Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.

[9Loi n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté.