Village de la Justice www.village-justice.com

Legaltech et juristes : faut-il miser sur une solution unique, ou diversifier ses outils ?
Parution : lundi 15 avril 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/legaltech-faut-miser-sur-une-solution-unique-diversifier-ses-outils,49434.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Alors que les directions juridiques sont de plus en plus nombreuses à avoir entamé leur transformation digitale et à s’équiper en solutions Legaltech, la multiplication et la diversité des solutions peut parfois devenir un véritable casse-tête au moment de faire un choix.
Solution unique pour couvrir tous ses besoins ou diversification via des solutions spécialisées, il n’y a pas de bonne ou mauvaise méthode, mais simplement quelques éléments à prendre en considération.
Embarquez pour un petit tour d’horizon et quelques conseils pratiques...

Les trois grands types de solutions

Si l’on devait classer les solutions Legaltech, du moins celles utiles aux directions juridiques, en trois grandes familles, on pourrait distinguer :

Bien entendu, cette classification en trois grandes familles de Legaltech ne constitue pas un cadre rigide et de nombreuses solutions peuvent rentrer dans plusieurs cases. Ainsi, des solutions métier peuvent embarquer des fonctionnalités collaboratives, et des solutions généralistes ou collaboratives peuvent être équipées en intégrations et API.

Pour répondre à ses besoins aussi bien opérationnels que structurels, une direction juridique devra donc aller piocher une ou plusieurs solutions dans ces trois grandes familles, en gardant comme objectif central une amélioration de son efficience.

Legaltech Généraliste vs. Spécialiste

Au sein même des solutions métier, on peut distinguer deux types de Legaltech. D’un côté les solutions métier généralistes (à ne pas confondre avec les solutions généralistes de type collaboratives qui ne s’adressent pas spécifiquement aux acteurs du droit, mais à tous) et de l’autre les solutions métier spécialisées.

Choisir entre solution généraliste ou spécialisée pour une Legaltech, c’est un peu comme aller chez le médecin. Si vous souhaitez obtenir un premier diagnostic ou une ordonnance pour des maux “communs”, vous irez voir votre généraliste qui pourra vous apporter une réponse peu importe le domaine de la médecine que cela concerne (infections, musculaire, dermatologique, virus, etc.).

Inversement, si vous souhaitez un diagnostic plus poussé sur un domaine précis, un médecin spécialiste sera équipé pour cela et sera en mesure d’apporter une réponse pointue.

Avec les legaltech, c’est un peu la même approche. Vous pouvez opter pour une solution couvrant un très large éventail de fonctions (gouvernance, automatisation, CLM, matter management, e-billing, etc.) et de fonctionnalités.

✅ Dans ce cas, vous aurez l’avantage de pouvoir gérer tous ces aspects au sein d’une même solution ou d’une même suite de solutions d’un même éditeur.

✅ Cela favorise également la circulation des données et leur reporting dans la mesure ou la donnée est centralisée.

❌ En revanche, vous risquez de perdre en profondeur d’expertise. C’est-à-dire que le degré de technicité ou la granularité des fonctionnalités de chaque composant ne sera pas aussi poussé que leur équivalent respectif en solution métier dédié.

A l’inverse, vous pouvez préférer une approche pointue par expertise ou par besoin spécifique et cibler des solutions pointues sur des domaines précis. Vous pouvez ainsi avoir une solution dédiée automatisation de documents, une autre pour le CLM et encore une autre pour la gouvernance ou la conformité.

✅ Dans ce cas, vous bénéficierez en principe de solutions plus avancées techniquement, avec un degré de complexité plus important.

✅ Selon votre activité, ce degré de complexité peut être un prérequis pour que la solution réponde parfaitement à votre besoin.

❌ En revanche, le principal risque avec les solutions métier est de se retrouver avec un environnement très complexe dès lors que vous allez commencer à avoir plusieurs solutions de la sorte. En effet, un des principaux objectifs recherchés avec la digitalisation est la simplification et le gain de temps. En multipliant les solutions expertes, vous allez devoir vous assurer qu’il n’y a pas de doublons de données à entrer manuellement et parfaitement automatiser le flux des données entre les outils.

Et les solutions "outils" dans tout cela ?

C’est principalement dans le cas de l’adoption de plusieurs solutions métier que ces fameuses boîtes à outils peuvent prendre toute leur importance et leur intérêt.

Afin justement d’éviter les doublons, de fluidifier et d’automatiser la circulation des données entre les outils, ces solutions vont servir à construire un véritable puzzle dans lequel les différentes pièces s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres. Pour cela vous devrez au préalable établir une cartographie de vos solutions – Legaltech mais également solutions d’autres métiers comme le CRM, le logiciel de facturation ou de comptabilité - afin d’identifier où se situent quelles données et dans quel sens elles doivent circuler.

Grâce à des intégrations et API “prêtes à l’emploi”, les solutions outils vont vous permettre de construire ce puzzle. Si le paramétrage est réussi, vous obtiendrez au bout du compte un ensemble parfaitement cohérent et en symbiose, composé de solutions individuelles pointues, comme si vous aviez une solution à la fois généraliste ou spécialiste.

Cependant, cela peut nécessiter une veille et une mise à jour régulière pour maintenir cette cohérence générale et le risque de créer de nouvelles complexités à cause de la digitalisation pour le coup peut être accru, en particulier en cas d’intégration difficile, voire impossible.

Il en va de même pour les solutions généralistes collaboratives. Elles peuvent permettre d’apporter des fonctionnalités relatives aux méthodes de travail et à la communication qui ne seront pas nécessairement intégrées dans les solutions métiers. Dans ce cas, si elles sont aussi bien paramétrées de sorte à communiquer avec les solutions métier, l’expérience générale s’en trouvera améliorée. Inversement, si elles ne s’intègrent pas bien, elles risquent de freiner l’ensemble ou de finir par ne plus être utilisées.

Vision long terme vs. Besoin court terme

Selon le degré de maturité digitale, le budget et les besoins de la direction juridique, celle-ci va soit chercher à répondre à un besoin immédiat, soit au contraire se projeter dans un plan de transformation à long terme.

Dans le cas d’une réponse à un besoin immédiat, la direction juridique va avoir tendance à se tourner vers des solutions métier spécialisées, qui seront plus pointues et lui paraitront mieux répondre à un objectif technique précis. Mais lorsqu’un nouveau besoin apparaîtra (ou qu’un peu de budget supplémentaire sera débloqué par suite du succès - on l’espère - de la mise en place de la première solution) après quelques mois ou années, il faudra alors penser à l’intégration des solutions entre elles. Cela peut parfois conduire à reconsidérer le choix de la première solution, soit pour choisir une solution qui s’intègre mieux avec la nouvelle, soit pour opter cette fois-ci pour une solution plus généraliste couvrant les différents besoins.

Et en matière de Legaltech, le changement de solution peut s’avérer tout aussi complexe si ce n’est plus encore, que l’adoption d’une première solution car peut survenir à ce moment-là les questions de réversibilité des données, de rupture de contrats en cours, de reprise de l’historique dans la nouvelle solution, etc. Que de sujets, qui certes occuperont les juristes ou avocats spécialisés en la matière, mais qui par définition auront des conséquences en termes de ressources financières, humaines et temporelles.

À l’inverse, une direction juridique plus mature, ou capable de se projeter à long terme dans un plan de transformation digitale, sera plus à même de considérer ces éléments en amont. Que l’adoption se fasse en une ou plusieurs étapes successives, l’anticipation permettra d’interroger les éditeurs sur les possibilités d’intégrations futures, d’établir sa cartographie des données et des flux au fur et à mesure de l’évolution de l’environnement digital.

Conseils

Face à tout cela, on voit bien que le choix d’une ou plusieurs Legaltech peut ressembler à un travail d’orfèvre ou à un parcours du combattant (ou un mélange des deux).

Je suis souvent étonné de voir le nombre de personnes, souhaitant digitaliser leur direction juridique et cherchant des recommandations auprès d’autres directions juridiques quant à la meilleure solution. Si cela peut sembler naturel en apparence de demander conseil, cela me semble beaucoup moins utile ou pertinent en matière de Legaltech tant la réponse dépend du besoin qui est propre à chaque direction juridique.

Voici donc pour terminer, quelques petits conseils pratiques à avoir en tête lors du choix d’une legaltech :

✔ Ne regardez pas ce qui fonctionne chez le voisin (ou qui fonctionnait dans la DJ de votre précédent emploi), mais concentrez-vous sur le cadrage le plus précis de votre besoin actuel et l’établissement d’un cahier des charges rigoureux

✔ Même si vous cherchez une solution à un besoin immédiat et que vous n’avez le budget que pour cela, ayez tout de même une vision à long terme pour éviter les mauvaises surprises dans le futur

✔ Impliquez votre DSI le plus tôt possible dans le projet, qu’il soit minime ou d’envergure, car elle pourra vous apporter les éléments techniques utiles au choix de la solution et à son intégration dans l’environnement informatique de l’entreprise

✔ Prenez le temps de regarder ce que vous avez déjà en interne. On sous-estime souvent les capacités de nos outils bureautiques. Or ils sont souvent capables de résoudre une grande partie de nos objectifs de digitalisation et d’efficacité, et sans coût supplémentaire. Juste un peu de formation et la diffusion d’une culture digitale

✔ Faites-vous accompagner. Le choix et l’implémentation d’une Legaltech n’est pas une tâche comme une autre. C’est un changement technologique certes, mais également humain et organisationnel. Et vu les montants parfois associés à certaines solutions, il est toujours préférable de rajouter un petit budget accompagnement (sauf si bien sûr vous avez les ressources internes nécessaires) et réussir votre implémentation que d’économiser sur cela et de faire face à un échec.

Quentin Ramaget Président-Fondateur de Legal Jedi