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Discrimination capillaire : des propositions de loi qui décoiffent ? Par Moinaechat Assoumani, Avocat.
Parution : mercredi 10 avril 2024
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De façon plus ou moins inattendue, le sujet du style capillaire s’est exporté des salons de coiffures et des salles de bains improvisées en laboratoires, pour être débattu au sein des assemblées parlementaires.

Le 12 septembre 2023, une « proposition de loi visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire » a été enregistrée au sein de la Présidence de l’assemblée nationale sous le n° 1640.
Projet de loi adopté le 28 mars 2024 par l’Assemblée nationale.

Propositions de loi n° 1640 et 274 de la 16ème législature.

Au premier abord ce texte constitué d’un article unique semble être un cheval de bataille pour la lutte contre la discrimination au nom du sacro-saint principe d’égalité.

Donnons-nous à cœur joie de passer ce texte au peigne fin !

Que dit ce texte ?

Son article unique prévoit de modifier plusieurs textes traitant de l’interdiction de la discrimination en y ajoutant un motif de discrimination prohibé se rapportant « notamment à la coupe, la couleur, la longueur ou la texture » des cheveux.

Finalement, le 28 mars 2024 l’assemblé nationale a adopté ce texte modifié sous la référence proposition n° 274 en retenant que seuls les termes « notamment capillaire », devraient être rajoutés aux textes traitant de la non-discrimination au sein du Code de la fonction publique, du Code pénal et du Code du travail.

Cette coupe de longueur a le mérite de la simplification. Elle n’a aucune incidence sur la sémantique.
L’objectif demeure le même : inscrire dans la loi, l’interdiction d’une discrimination physique fondée particulièrement sur le style capillaire d’une personne.

Une telle consécration pourrait séduire quelques amateurs de braids en tous genre, de locks, d’afro, ou encore de colorations audacieuses. Elle pourrait par ailleurs, bien au contraire décoiffer certains conformistes excessifs.

Pour autant, il n’y a là pas de quoi s’arracher les cheveux, ni de quoi se laisser aller à plus de créativité capillaire.

Restons modérés car ce texte pourrait difficilement être considéré comme une avancée majeure.

Pourquoi ?

Parce que, dans un contexte d’inflation législative se pose nécessairement les questions suivantes :

La réponse à ces questions conduit inévitablement à relativiser l’utilité et l’efficacité du texte.

Voyons pourquoi en tentant de répondre aux questions posées.

1. Le texte proposé ou adopté consacre-t-il un droit nouveau, une obligation ou une infraction nouvelle ?

Le texte ne consacre ici pas un droit ni une obligation à proprement parler mais pose en réalité une interdiction formelle. Il s’agit de l’interdiction de discriminer dans un contexte professionnel ou non pour un motif « capillaire ».

Cette interdiction fait écho au droit à l’égalité et par exemple : au droit à un traitement égal entre salariés, entre agents de la fonction publique, entre clients dans un registre de discrimination économique, ou plus généralement à une égalité de traitement des citoyens devant la loi.

Est-ce que l’inscription dans la loi d’un motif de non-discrimination capillaire est nouvelle ?

Sans titiller le lecteur avec un suspens équivalent à un temps de pose d’une permanente, la réponse est : oui dans la forme, non dans le fond !

S’agissant de la forme, le terme « capillaire » apparait nouveau puisqu’il ne figure pas à ce jour au nombre des motifs de discrimination prévus par les textes.

En revanche, sur le fond, ce motif n’est pas nouveau et l’inscription du terme « capillaire » pourrait apparaitre aussi redondant qu’une visite hebdomairaire chez son coiffeur, hors motif impérieux bien sûr !

Les articles L131-1 du Code de la fonction publique, 225-1 du Code pénal et 1132-1 et 1321-3 du Code du travail consacrent déjà l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’apparence physique.

Or, la coupe de cheveux, la longueur, la texture, la couleur et plus globalement le style capillaire d’une personne constituent des aspects de son apparence physique.

En d’autres termes, l’interdiction déjà existante de la discrimination fondée sur l’apparence physique comprend logiquement l’interdiction de discriminer une personne en raison de son style capillaire.

On en veut pour preuve une récente décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 23 novembre 2022 (pourvoi n° 21-14.060). La Cour a considéré que le Stewart d’une célèbre compagnie aérienne était fondé à solliciter l’octroi de dommages et intérêts après avoir subi une discrimination fondée sur son apparence physique.

La Cour a admis au visa des articles L1121-1, L1132-1 du Code du travail dans leur version applicable au litige, que constituait une discrimination fondée sur l’apparence et en lien avec le sexe, le fait pour cette compagnie aérienne d’avoir interdit à son salarié de :

« se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l’intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n’était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin ».

Il est donc clair pour les Juges du Quai de l’Horloge que l’interdiction de la discrimination fondée sur l’apparence physique comprend donc l’interdiction de la discrimination fondée sur le style capillaire d’une personne.

On peut donc s’interroger sur la volonté recherchée par le législateur au travers de cette proposition dont l’utilité apparait relative. On n’osera pas lui reprocher d’avoir peut-être tenté d’apporter une réponse, par son seul pouvoir, aux préoccupations exprimées dans les médias sur cette thématique.

Seulement, quelque soit la réponse apportée, ou la solution déjà existante, encore faut-il que celle-ci constitue un remède efficace contre les inégalités qu’il est question de lisser.

2. Le texte permettra-t-il une application effective ?

L’appréciation de l’efficacité d’un texte est complexe tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux, subjectifs et relèvent parfois du contexte.

Au cas présent, pour apprécier l’effectivité d’un texte interdisant la discrimination, il pourrait apparaitre utile de se demander par exemple :

Revenons successivement sur chacun de ces points.

2.1 Le droit peut-il être exercé ou revendiqué ?

Ce premier point sera ici traité par un simple balayage dès lors qu’il ne semble pas poser de difficulté. S’agissant d’une interdiction de la discrimination, le droit sous-jacent qu’il s’agirait d’exercer ou de revendiquer se rapporte au droit à l’égalité ou au traitement égal entre les personnes.

Dans le cadre d’un Etat de droit, ce droit peut être revendiqué au travers de l’accès au Juge au travers d’une variété de contentieux (pénal, prud’homale, économique, droits de l’Homme).

Toute personne s’estimant victime d’une discrimination dispose théoriquement de la possibilité de saisir un juge afin de faire reconnaitre l’atteinte à son droit au traitement égal dès lors que ce droit est prévu par les textes à plusieurs niveaux (national, européen et international).

De ce point de vue, le droit à l’égalité et donc l’interdiction de la discrimination apparait effective.

2.2 Ce droit est-il pleinement protégé ? Existe-t-il un déséquilibre entre les intérêts contradictoires en présence ?

Suivant l’un des adage juridique les plus populaires, « la liberté des uns, s’arrêtent où commence celle des autres ». Il n’est donc point de pleine protection et toute protection est relative.

Dans un effort de simplicité, nous prendrons ici l’unique exemple des litiges prud’hommaux afin d’illustrer ce propos :

Il importe aux salariés qui s’estiment victimes de discrimination de prendre conscience que le droit à l’égalité de traitement n’est pas absolu et qu’il peut se heurter à quelques limites et notamment celle du pouvoir de direction de l’employeur et du règlement intérieur de l’entreprise !

En effet, pour le bien de l’activité économique, il n’est pas permis au législateur de porter excessivement atteinte à la liberté du chef d’entreprise qui doit être lui aussi libre, non pas de porter une coupe de cheveux atypique, mais de décider des règles applicables au sein de son entreprise et pour son fonctionnement.

Cette liberté du chef d’entreprise se manifeste par exemple à travers l’article L1121-1 du Code du travail.
Ce texte prévoit que le respect des droits des personnes et la liberté sont le principe, mais que des limites peuvent y être apportées si « la tâche à accomplir » le justifie ou que l’employeur est en mesure de justifier que les atteintes qu’il porte sont « proportionnées au but recherché ».

Est-ce que cela signifie par exemple que l’employeur pourrait avoir la possibilité, notamment si son règlement intérieur le lui permet d’interdire à un salarié accueillant le public d’un hôtel de grand standing de : conserver sans attache des cheveux d’une particulière longueur, de les teindre en vert anis, d’arborer des piques d’hérisson emballés dans de la glue pour cheveux ou le contraindre à se faire shampouiner ?

Probablement que oui !

Tout n’est pas permis. Dans les limites de la loi, le chef d’entreprise peut donc décider de la façon dont il souhaite que ses employés travaillent, s’habillent, ou se coiffent.

Alors qu’est ce qui justifie que dans certains cas, la discrimination est reconnue en défaveur du pouvoir de direction de l’employeur ?

Dans la décision précédemment citée, pour reconnaître la situation de discrimination capillaire la Cour de cassation avait relevé que le règlement de l’entreprise était composé de deux référentiels distincts : l’un applicable aux hommes et l’autre applicable aux femmes.

Le référentiel féminin offrait la possibilité aux hôtesses de la compagnie de porter des « tresses africaines » et non le référentiel masculin. L’employeur contestait donc sur cette base le port des locks à l’embarquement par son Stewart, et revendiquait le droit de définir des modes de présentation différenciés entre ses employés masculins et ses employés féminins selon les usages de genre.

C’est précisément au travers du prisme de l’inégalité de traitement entre les hommes et les femmes que la Cour de cassation a considéré que l’employeur avait porté une atteinte excessive au droit de son salarié.

On pourrait comprendre de cette décision que la Cour de cassation n’a pas considéré comme illégal le principe même de l’interdiction imposée par l’employeur à son salarié de porter des tresses africaines nouées dans un chignon. En revanche, la Cour a considéré que la différence de traitement faite entre les hommes et les femmes exerçant une même mission était illégale.

A contrario, dès lors que le port des tresses était autorisé pour les femmes, il ne pouvait être interdit pour les hommes exerçant la même activité. C’est dans ce contexte particulier que la Cour de cassation a retenu une discrimination fondée sur l’apparence physique, et en lien avec le sexe.

Il serait tentant pour un employeur d’en déduire que l’interdiction du port des tresses ou des locks par le salarié aurait été possible à la condition que la coupe litigieuse ait également été interdite aux femmes. Si une telle conclusion pourrait faire se frotter les mains de quelques fabricants de perruques naïfs, il est peu probable qu’une telle hypothèse se produise. L’atteinte apparaitrait excessive.

2.3. Existe-t-il des obstacles excessifs à la reconnaissance du droit ?

Bien évidemment, divers obstacles peuvent se dresser contre la reconnaissance d’un droit ou d’une atteinte à un droit ou à une liberté.

En matière de discrimination force est de constater, voire d’admettre que les difficultés liées à la preuve ou à la démonstration de la discrimination constituent des obstacles majeures.

Le législateur le saisit si bien qu’il a consacré et encadré la pratique du « testing » visée à l’article 225-3-1 du Code pénal, dont une proposition de pratique élargie est actuellement à l’étude à l’assemblée. Un texte qui méritera donc une attention toute particulière.

En dehors de cette pratique du "testing", les personnes qui s’estiment victime de pratiques discriminatoires peuvent tenter de se prémunir de moyens de preuves dont la production n’exclut pas qu’on puisse ensuite leur chercher des poux.

Ce sont les éternels et passionnants sujets de la licéité et de la loyauté de la preuve.

Mais au-delà de la simple preuve d’une discrimination, n’existe-il pas des instruments incitatifs en faveur du respect de l’égalité de traitement de prohibition de toute discrimination quel que soit son motif ?

Il ne nous sera pas interdit de penser qu’en usant d’un esprit créatif, par combinaison de textes déjà existants au sein de l’arsenal juridique français, on puisse s’apercevoir que finalement la lutte contre la discrimination pourrait être plus efficace.

Moinaechat Assoumani, Avocat au Barreau de Bordeaux.
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