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[Droit comparé France-Espagne] La prestation compensatoire. Par Luis Fernando Paillet Alamo, Avocat.
Parution : lundi 8 avril 2024
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La rupture d’un mariage et la séparation constituent des situations éprouvantes et difficiles pour les époux et entraînent des conséquences sur leur patrimoine et leur revenu. Les actifs des époux sont divisés et les dépenses sont susceptibles d’augmenter. Chaque personne divorcée doit de nouveau payer seule ses dépenses : nourriture, logement ou factures. Trouver les moyens pour éviter de subir une forte baisse de niveau de vie est un des conflits les plus remarquables.

Des conflits sont susceptibles d’opposer les conjoints à l’heure de la rupture. Une des conséquences les plus importantes - de la séparation et du divorce en Espagne et du divorce en France - est l’établissement d’une prestation compensatoire (en espagnol, le terme la pensión compensatoria est utilisé).

Définition et réglementation en Espagne et en France.

En Espagne, pour éviter que la situation financière d’un époux soit obstacle à la décision de se séparer ou de se divorcer de l’autre époux, le Code Civil espagnol règle la prestation compensatoire. En France, le Code Civil français règle la prestation compensatoire pour éviter que la situation financière d’un époux soit obstacle à la décision de se divorcer de l’autre. Pour limiter les bouleversements que la séparation et le divorce provoquent, le législateur laisse subsister quelques traces du lien qui s’efface ou qui se maintient avec une cessation de la vie commune des époux [1]. La doctrine espagnole dit que la cause de la prestation compensatoire est la solidarité post-conjugale [2].

La prestation compensatoire est très utile aux femmes, lesquelles ont traditionnellement sacrifié leur carrière professionnelle pour se dédier à la maison et à l’éducation des enfants.

En Espagne, la prestation compensatoire est, selon l’article 97 CC (Code Civil) espagnol, le versement d’une somme que l’un des conjoints doit donner à l’autre lorsque la séparation ou le divorce lui a produit un déséquilibre économique par rapport à la situation de l’autre, ce qui implique une aggravation de sa situation antérieure au mariage.

C’est-à-dire qu’il y a eu un changement important du niveau de vie de l’un des conjoints. Le but de la prestation compensatoire est de faire une compensation de l’abaissement du niveau de vie de l’un des conjoints et d’éviter un déséquilibre économique grave entre les époux. Le but de la prestation compensatoire est la compensation du déséquilibre des conjoints produit avant le mariage comme point de départ [3].

Bien que l’existence d’un déséquilibre soit appréciée au moment de la rupture, des modifications ultérieures des circonstances dues à la volonté de l’une des parties peuvent être considérées. Si la continuité de la situation d’équilibre ou de déséquilibre des époux dépend d’une compensation économique préexistante à la rupture, si cette compensation disparaît par décision du débiteur, une prestation compensatoire pourrait être générée. Par exemple, si les deux époux avaient créé une société de commerce durant le mariage et si, après la séparation, un des ex-époux se trouve dans une situation de handicap et après le handicap, l’autre ancien époux lui dénie le retour à la société. Il y avait une situation de déséquilibre au moment de la rupture du mariage, laquelle était conditionnée à la présence des époux dans la société du commerce [4]. Le but de la prestation compensatoire ne vise pas à perpétuer, aux dépenses de l’un des membres du couple, le niveau économique dont jouissait le mariage jusqu’au moment de la rupture, sinon à rééquilibrer la situation disparate laquelle résulte de la séparation ou du divorce [5].

La définition de la prestation compensatoire n’est pas très différente de la définition française de l’article 270 CC français. Selon cet article, la prestation compensatoire est la prestation de caractère forfaitaire que l’un des époux est tenu de verser à l’autre, laquelle est destinée à compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives et prendra la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.

Il y a une différence très importante dans la réglementation de la prestation compensatoire en Espagne et en France : en Espagne, il peut y avoir prestation compensatoire en cas de séparation et de divorce et en France, seulement en cas de divorce. En France, lors d’une séparation de corps, il n’y a pas le droit à la prestation compensatoire. La loi française permet à l’époux étant en situation de besoin d’obtenir une pension alimentaire de la part de l’autre époux. C’est-à-dire, la pension alimentaire peut être versée pendant et après la procédure de séparation de corps et durant la procédure de divorce. Après le divorce, selon l’article 270 CC français, il n’y a pas le devoir de secours entre les anciens époux. Ce devoir de secours serait remplacé par la prestation compensatoire, en cas de disparité économique créée par le divorce [6].

En Espagne, la réglementation de la prestation compensatoire et les critères pour calculer ladite prestation se trouvent dans les articles 97 à 101 du CC espagnol. En France, les prestations compensatoires sont réglées dans les articles 270 à 281 du CC français.

Critères d’attribution de la prestation compensatoire en Espagne et en France.

L’obligation de verser une prestation compensatoire et son montant dépendra des circonstances particulières de chaque cas, telles que la durée du mariage ou l’âge des époux.

L’article 97 CC espagnol dit quels sont les critères permettant de calculer la prestation compensatoire. Cet article énumère les circonstances que le juge utilisera pour fixer le montant de la prestation compensatoire dans le cas que les conjoints n’ont pas signé un accord de séparation ou de divorce, ou l’accord n’inclut pas le montant de la prestation compensatoire ou l’accord n’est pas approuvé par le juge. Les critères de calcul de la prestation compensatoire sont très pareils à ceux énumérés par l’article 271 CC français.

Selon les articles 97 CC espagnol et 271 CC français, pour fixer la prestation compensatoire, le juge prend en considération notamment :

Selon cet article, seront considérées les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne :

Selon la Cour suprême espagnole, les circonstances contenues à l’article 97.2 CC ont une double fonction [7] :

La forme de la prestation compensatoire.

En Espagne, selon la situation des conjoints, la prestation compensatoire peut être une prestation de versement sous forme d’une rente à durée déterminée, de rente viagère ou l’attribution d’un bien. La prestation établie par le juge pourra être remplacée par une rente viagère, l’usufruit de certains biens ou la remise de capital en biens ou en argent, selon l’article 99 CC espagnol.

En France, la prestation compensatoire peut être versée en capital, par l’attribution d’un bien ou par le versement sous forme de rente viagère. La prestation compensatoire est généralement versée sous forme de capital [9]. Le capital consiste, selon l’article 274 CC français, soit dans le versement d’une somme d’argent, soit dans l’attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant la cession forcée en faveur du créancier. L’article 276 CC français autorise, à titre exceptionnel, que le juge fixe la prestation compensatoire sous rente viagère. Ledit article exige deux conditions : que la décision soit spécialement motivée et que l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permettent pas de subvenir à ses besoins.

Modification et extinction de la prestation compensatoire.

En Espagne, la prestation compensatoire pourra être modifiée en cas de changements importants de la fortune de l’un ou l’autre des conjoints (en espagnol, por alteraciones en la fortuna de uno u otro cónyuge), selon l’article 100 CC espagnol. Le CC français prévoit aussi cette possibilité. L’article 275 CC français dit que le débiteur peut demander la révision de ces modalités de paiement en cas de changement important de sa situation. L’article 276-3 CC français permet la révision, la suspension et la suppression de la prestation compensatoire fixée sous forme de rente en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties.

En Espagne, selon l’article 101 CC espagnol, la prestation compensatoire s’éteint par la cessation de la cause qui l’a motivée, dans l’hypothèse que le créancier soit marié avec une autre personne ou par le fait de coexister avec une autre personne.

En Espagne, en cas de décès de l’ex-conjoint débiteur, la prestation compensatoire ne s’éteint pas, sinon que les héritiers peuvent demander au tribunal la réduction ou l’élimination de la dette si l’héritage ne peut pas satisfaire ladite dette ou si la dette affectée aux droits sur la légitime des héritiers. En France, à moins que les époux aient prévu l’extinction de la prestation compensatoire dans leur accord, ladite prestation survit au décès du débiteur. L’article 280 CC français dit qu’à la mort de l’époux débiteur, le paiement de la prestation compensatoire, quelle que soit sa forme, est prélevé sur la succession. Le paiement de ladite prestation est supporté par tous les héritiers, qui n’y sont pas tenus personnellement, dans la limite de l’actif successoral. C’est-à-dire, la prestation compensatoire oblige les héritiers de l’ex-époux décédé.

En Espagne, la Cour suprême espagnole a dit quels sont les éléments à considérer pour la réduction ou l’extinction de la prestation compensatoire [10] :

Luis Fernando Paillet Alamo, Avocat Barreau de Valladolid (Espagne)

[1Garrigue, J ; Deschamps, V. Droit de la famille. Lefebvre Dalloz. 3ᵉ édition. 2023. Pages 285 et 286.

[2Ortiz Fernández, M. La extinción de la pensión compensatoria en la jurisprudencia del Tribunal Supremo : una revisión (crítica) de la STS 31 de enero 2022. Rev. Boliv. de Derecho. N°34. Julio 2022. Pages 252 à 281.

[3Arrêt de la Cour suprême espagnole du 22 juin 2011, ECLI:ES:TS:2011:5570.

[4Arrêt de la Cour suprême espagnole du 29 juin 2020, ECLI:ES:TS:2020:2091.

[5Arrêt de la Cour suprême espagnole du 28 novembre 2022, ECLI:ES:TS:2022:4481.

[6Arrêt de la Cour de cassation française du 11 juillet 2002, n°00-20.639.

[7Arrêt de la Cour suprême espagnole du 20 février 2014, ECLI:ES:TS:2014:851.

[8Arrêt de la Cour suprême espagnole du 19 février 2014, ECLI:ES:TS:2014:635.

[9Garrigue, J ; Deschamps, V. Droit de la famille. Lefebvre Dalloz. 3ᵉ édition. 2023. Page 294.

[10Arrêt de la Cour suprême espagnole du 31 janvier 2022, ECLI:ES:TS:2022:358.