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Licenciement d’un expatrié : les indemnités de rupture doivent être calculées par références aux salaires perçus dans le dernier emploi. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocate.
Parution : mercredi 10 avril 2024
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La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 mars 2024 (n° 22-19.879), rappelle que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi, nonobstant les stipulations contractuelles et les dispositions de la convention collective applicable moins favorables que la règle légale.

1) Faits et procédure.

Un salarié a été engagé en qualité de responsable du service achat, statut cadre, par la société Vinci énergies management international à compter du 1ᵉʳ octobre 2012 par contrat à durée indéterminée du 8 juin 2012.

Suivant avenant d’expatriation conclu le même jour, il a été convenu qu’il occuperait les fonctions de responsable du service achats au Maroc au sein de la société Cegelec Maroc, filiale de la société Vinci, jusqu’au 31 août 2015.

Le 12 octobre 2012, le salarié a signé un contrat de travail avec la société filiale.

Le contrat d’expatriation a pris fin le 1ᵉʳ juillet 2015.

Par lettre du 23 novembre 2015, la société a licencié le salarié pour motif économique.

Ce dernier a accepté le congé de reclassement à l’issue duquel le contrat de travail a été rompu, le 14 mai 2016.

Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi, le 21 juin 2016, la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et d’un solde d’indemnités de rupture et de rappels de salaire au titre de l’allocation de congé de reclassement.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 juin 2022 a limité à 46 000 euros le montant des dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mis à la charge de la société et a débouté le salarié de ses demandes en paiement d’un solde d’indemnités de rupture, de rappels de salaire au titre du congé de reclassement et de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse calculés sur la base de son dernier salaire d’activité.

Le salarié a alors formé un pouvoir en cassation.

2) Moyens.

Le salarié relève au soutien de son pourvoi que :

3) Solution.

La chambre sociale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en ce qu’il condamne la société Vinci énergies management international à payer au salarié la somme de 46 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il déboute le salarié de ses demandes de rappels d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l’allocation de congé de reclassement.

La chambre sociale commence par rappeler qu’aux termes de l’article L1231-5 du Code du travail :

« Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.
Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l’indemnité de licenciement
 ».

Selon la Cour de cassation, il résulte de ce texte que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi.

En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a retenu que la rémunération de référence en France doit être retenue pour le calcul des diverses sommes dues au salarié au titre de la rupture car l’article 3 du contrat d’expatriation stipule qu’en cas notamment de licenciement, les indemnités éventuellement dues au salarié seront calculées sur la seule rémunération de référence en France, à l’exclusion des émoluments liés à son transfert au Maroc, et que cette stipulation est conforme à l’article 6.2.6 de la convention collective des cadres des travaux publics.

Or, selon la chambre sociale, l’article L1231-5 du Code du travail doit prévaloir, nonobstant les stipulations contractuelles et les dispositions de la convention collective applicable moins favorable.

En conséquence, la cour d’appel a violé l’article L1231-5 du Code du travail.

4) Analyse.

Cet arrêt confirme la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur ce sujet [1].

Simplement, cet arrêt précise que cette solution doit s’appliquer, peu importe que le contrat de travail et/ou la convention collective applicable prévoient des dispositions contraires moins favorables au salarié.

Le principe de faveur trouve donc à s’appliquer dans ce cas.

Sources.

Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-19.879
Cass. soc. 14 oct. 2020, n°19-12.275

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) Mathilde Fruton Létard, Elève avocate EFB Paris Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Voir not. Cass. soc., 7 mai 2017, n° 15-17.750 ; Cass. soc., 14 octobre 2020, n° 19-12.275.