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Responsabilité aggravée pour le maréchal ferrant, en cas de dommage causé au cheval confié. Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.
Parution : jeudi 4 avril 2024
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Parmi les professionnels du cheval régulièrement attraits en justice, on trouve les maréchaux-ferrants. Phénomène quelque peu curieux, ce n’est pas la pose de la ferrure ni même les suites de celle-ci qui sont la principale raison de leur mise en cause mais le fait que le cheval se blesse alors qu’il est confié au professionnel.
Ce cas n’échappe pas à la règle, comme cela ressort des circonstances de l’espèce. Au moment où la maréchal-ferrant était en train de ferrer le cheval, ce dernier s’est « mis à bouger » (selon ses propres termes repris par la cour) faisant perdre l’équilibre à la professionnelle qui a lâché le pied du cheval. Effrayé, l’animal a reculé et s’est pris le pied dans un trépied en métal ce qui lui a causé de graves blessures ayant conduit à son euthanasie le jour même.

1. Quelles sont les obligations auxquelles le maréchal est tenu ?

La prestation de ferrage s’analyse en un contrat de louage d’ouvrage. Ce point ne fait aucun doute. Le maréchal n’est pas un simple exécutant, il dispose de compétences propres et reconnues par le code rural, qui précise dans son article L243-3 qu’il est compétent pour le parage mais aussi pour les maladies du pied des équidés. Lorsqu’il pare ou ferre un cheval, il doit prodiguer des soins consciencieux et attentifs sans être tenu par les consignes éventuelles d’un vétérinaire qui aurait prescrit une ferrure [1]

L’article 1789 du Code civil applicable au contrat d’entreprise est rappelé par la cour d’appel de Caen qui cite :

« Dans le cas où l’ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l’ouvrier n’est tenu que de sa faute ».

Cet article constitue la base de la responsabilité des « entrepreneurs » tenus d’une obligation de moyens simple.
Cependant, la majorité des mises en cause et des condamnations des maréchaux-ferrants résulte d’une autre obligation, l’obligation de sécurité, laquelle prend de plus en plus de place dans le contentieux équestre et que nous devons systématiquement qualifier et analyser.

2. Fondement et qualification de l’obligation de sécurité.

Dans cet arrêt, la cour ne cite pas directement l’obligation de garde ni même celle de sécurité.
Seul le propriétaire du cheval considérait que la maréchal-ferrant était tenue d’assurer la sécurité de l’animal et que celle-ci avait failli dans ses obligations, puisque la jument s’était blessée à l’occasion de la prestation.

Si la cour a seulement visé l’obligation de conservation et de restitution de l’animal, celle-ci est en réalité le corolaire de la remise de l’animal et de la garde qui en découle.

Il est admis que le maréchal, pour pratiquer son intervention, se voit remettre le cheval, ce qui fait naitre une obligation de garde de l’animal. La jurisprudence depuis de nombreuses années retient que le maréchal-ferrant est tenu d’une obligation de sécurité qui découle de la remise du cheval [2]. Néanmoins, la nature même de cette obligation - à savoir une obligation de moyens, de moyens renforcée ou de résultat – n’est pas forcément tranchée et les arrêts rendus sont loin d’être unanimes sur la question.
Ainsi, tandis que, la cour d’appel d’Angers le 10 janvier 1950, (D.1951,I,p.30) ou la Cour d’appel de Caen le 17 septembre 2002 ont mis à la charge du maréchal-ferrant une quasi-obligation de résultat, certaines décisions n’ont retenu qu’une obligation de moyens simple.
C’est le cas, par exemple, de la cour d’appel de Reims le 25 juillet 1984, qui énonce :

« Le contrat de ferrage ne comporte, sauf clause contraire, qu’une obligation de moyens en ce qui concerne la sécurité de l’animal », ou encore de la cour d’appel d’Amiens dans un arrêt du 08 juin 2004 qui relève qu’« un maréchal-ferrant est tenu d’une obligation de moyens quant à la sécurité de l’animal » [3].

Enfin, d’autres décisions ont retenu comme dans l’arrêt commenté, une obligation de moyens renforcée. On note en ce sens un arrêt de la Cour de Cassation du 2 octobre 1980, un jugement du TGI de Moulins du 03 mai 2011 (Barthelemy c/ Breton) ou encore un arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble le 06 avril 2010.

Pour déterminer si l’obligation est de moyens, de moyens renforcée ou encore de résultat, on peut s’interroger sur le critère visant le caractère rémunéré ou non du dépôt.

En présence d’un dépôt salarié, la jurisprudence déduit de l’article 1928 du Code civil que la responsabilité est appréciée avec davantage de rigueur et que le prestataire doit rapporter la preuve de son absence de faute.
En l’espèce, en tant que telle la garde du cheval n’est pas rémunérée, la facture ne mentionnant que le coût de la prestation de ferrure. Il s’agit cependant d’un dépôt « intéressé » puisqu’il va permettre au maréchal de réaliser son travail et de le facturer d’autant que l’on relève que le critère de la rémunération est apprécié largement par les juges : un dépôt-vente ou un contrat d’exploitation sans pension directement rémunérée est généralement qualifié de dépôt salarié.
On pourrait donc admettre la justesse du raisonnement de la cour d’appel de Caen qui a retenu une présomption de faute.
Cependant, la base légale donnée à cette affirmation est surprenante puisqu’elle vise les dispositions de 1789 du Code civil pour en déduire : « Il est constant qu’en application de ces dispositions, le loueur d’ouvrage est tenu d’une obligation de conservation et de restitution de la chose qui lui a été confiée. Il ne peut se libérer qu’en prouvant qu’il n’a commis aucune faute ».

Comme dans le jugement précédent rendu par le TGI de Moulins le 03 mai 2011, la cour d’appel de Caen ne fait pas le détour par les règles relatives au dépôt et prend pour base légale l’article 1789 du code civil.
Or, cet article précité, qui est le fondement de la responsabilité de ceux qui sont tenus dans le cadre d’un contrat d’entreprise, ne pose aucune présomption de faute.
C’est d’ailleurs sur ce même fondement, que les juges ont pu retenir que le maréchal-ferrant avait une simple obligation de moyens tandis que la cour d’appel de Poitiers le 30 mars 2022 a expressément rappelé à propos d’un contrat d’entraînement que l’article 1789 ne prévoit qu’une obligation de moyens simple.

La cour a tiré les conséquences de cette présomption de faute vis-à-vis de la professionnelle :

Outre le fondement légal, un point nous interpelle.

L’accident est survenu alors que la maréchal était en train de ferrer le cheval. En l’espèce, l’opération de parage/ferrage était en cours, puisque la professionnelle avait pris le pied du cheval pour procéder à ses opérations techniques.
La situation s’apparente à celle de l’entraîneur qui harnache le cheval, ou bien à celle du vétérinaire qui administre un produit par piqûre provoquant une réaction de défense du cheval.
Il nous semble qu’au vu des faits rapportés, les circonstances du dommage ne s’étaient pas produites dans le cadre de la garde du cheval, mais bien de l’opération technique de parage/ferrage n’engendrant qu’une obligation de moyens à l’encontre du professionnel.
Ce n’est évidemment pas toujours le cas. Dans d’autres décisions précitées, la responsabilité du maréchal devait bien s’analyser au regard des règles du dépôt salarié.
Dans l’affaire jugée par le TGI de Moulins, le maréchal avait laissé le cheval attaché sans surveillance dans les écuries et s’était absenté.
Enfin, cette présomption de faute basée sur l’article 1789 du code civil, nous parait aussi inutile que dangereuse, la preuve de la faute de la jeune professionnelle étant facile à rapporter en l’espèce au vu de la déclaration à son assureur.
En perdant l’équilibre et surtout en ayant recours à un trépied métallique, alors qu’elle aurait dû utiliser un trépied dans une autre matière, par exemple en plastique, l’absence de précaution, le défaut de moyen était établi. L’utilisation d’un matériel présentant un danger pour l’animal constitue un comportement fautif.
La solution est donc approuvée, même si nous restons réservés sur la motivation et le caractère exponentiel de cette obligation de sécurité, alors que le cheval est susceptible d’avoir des réactions qu’aucun professionnel, aussi prudent soit-il, ne peut maitriser.

3. Sur la garantie fournie par l’assureur.

L’autre leçon à tirer de cette décision concerne la déclaration faite par l’assurée, qui semblait implicitement reconnaitre sa responsabilité, à tel point que la compagnie a eu de larges soupçons sur la sincérité de son assurée.
L’enchainement des faits - un début d’activité le 2 mai, une souscription du contrat d’assurance le 6 juin, un sinistre le 7 juin (le lendemain), une euthanasie le jour même et un certificat médical initialement daté du 6 juin – a incité l’assureur à solliciter la nullité du contrat sur la base de l’article L113-8 du Code des assurances, la fausse déclaration intentionnelle lui permettant de conserver les primes perçues et de refuser de garantir le sinistre.
Comme le tribunal, la cour n’a pas suivi la compagnie dans son argumentaire, considérant qu’elle ne rapportait pas la preuve d’une fraude, comme il lui en incombait, pour refuser de couvrir le sinistre.

4. Sur l’indemnisation des dommages.

S’agissant d’un simple cheval de loisir, la propriétaire ne réclamait aucune perte matérielle autre que la valeur de son cheval et les frais vétérinaires.

On s’interroge sur la pertinence de l’attestation sollicitée par la compagnie d’assurance auprès de l’Ifce ayant évalué le cheval dans une fourchette allant de 200 € à 50 000 €… et qui a permis aux magistrats de juger plus pertinentes les attestations cohérentes du propriétaire situées aux alentours de 8 000€.

En définitive, le jugement ne sera réformé que sur un seul point : le montant du préjudice moral alloué au propriétaire.

Le principe de cette indemnisation n’est plus contesté depuis le célèbre arrêt du cheval LUNUS [4] mais les montants alloués (qui ne dépassent pas 5 000 €) dépendent d’un certain nombre de critères tels que la preuve d’un attachement, de « relations étroites » avec l’animal, de la durée de ces relations, mais aussi des conditions de la disparition de l’équidé qui peuvent être tragiques comme dans les faits précités [5].
C’est sur ce dernier critère que le propriétaire se verra allouer une indemnité de 500 € au lieu des 2 000 € obtenus en première instance.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin et de la commission droit de l'animal https://www.degranvilliers.com/

[1Cf. cour d’appel de Dijon, 06/01/2022 : « Il doit être ainsi relevé qu’il ne s’agit que de suggestions qui laissent au maréchal-ferrant qui intervient la liberté d’adapter la ferrure à l’état du cheval lorsque celui-ci lui est présenté »/ Note de l’auteur : Toutes les décisions citées peuvent être sollicitées auprès de l’Institut du Droit Equin :https://www.institut-droit-equin.fr/

[2Cass. 2ème civ. 22 novembre 1950, Bull.civ.1950, n°150.

[4Cass. civ 1ère 16 janvier 1962 Bull. civ. I n°33.

[5Cf. CA Rennes du 06 mai 2015 qui alloue seulement 1 000€ pour un cheval décédé dans un accident de la route ; plus généreuse : CA Limoges 03 mai 2005 qui alloue 3 000 € pour un cheval décédé après plusieurs mois de soins.