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Confusion sur l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité à l’encontre de l’avocat. Par Thomas Crétier, Avocat.
Parution : jeudi 4 avril 2024
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Non, la saisine du Conseil de l’Ordre de l’un des 164 Barreaux français n’interrompt pas la prescription de l’action en responsabilité civile professionnelle d’un client à l’encontre de son avocat. Explication.

À tort, dans le cadre du contentieux de la responsabilité civile professionnelle des avocats, l’arrêt rendu le 30 novembre 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation est l’un des plus cités par les plaideurs [1].

Nombreux d’entre eux se convainquent en effet que la saisine du Conseil de l’Ordre de l’un des 164 Barreaux français interrompt de facto la prescription de leur action en responsabilité civile à l’encontre de l’avocat qui a commis une faute leur ayant fait perdre une chance d’obtenir un résultat favorable dans leur dossier.

La faute revient sans doute à des demandeurs qui reprennent sans approfondir les quelques brèves juridiques (toutes quasi-identiques et peu détaillées) concernant cet arrêt et donc ne le lisent pas.

Or, rendu au double visa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 et d’un avis émis le 3 décembre 2009 par le Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 30 novembre 2016 ne concerne en réalité que le régime particulier de la responsabilité des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Pour rappel, ces avocats dits « aux conseils » ont un statut très particulier dans la mesure où ils ont le statut d’officiers ministériels, sont nommés par le garde des Sceaux et sont les seuls à représenter les justiciables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. En dehors de la matière pénale, ils sont donc les seuls à maîtriser et appliquer la technique dite « de cassation ».

Les avocats « aux conseils » sont également regroupés dans un ordre professionnel autonome [2].

Les avocats « aux conseils » ne sont donc pas des « avocats au Barreau » ou des « avocats à la Cour » (ces deux notions étant désormais devenues des synonymes, tout avocat d’un Barreau pouvant également se constituer et plaider devant la Cour d’appel englobant ledit barreau).

Un « avocat au Barreau » ou « à la Cour » est en revanche fréquemment appelé par les juridictions « conseil » ou « avocat-conseil ».

La Loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques a en effet fusionné les anciennes professions d’avocats et de conseils juridiques.

Il en ressort qu’un «  avocat aux conseils » n’est pas un « conseil » ou un « avocat-conseil ».

En toute hypothèse, peu importe donc qu’un justiciable s’adresse au Conseil de l’Ordre de l’un des Barreaux français dans la mesure où celui-ci est incompétent en matière de responsabilité civile professionnelle des avocats (le conseil de l’Ordre est en revanche compétent en matière disciplinaire et en matière de contestation des honoraires).

Aussi, les conditions de l’interruption ou de la suspension de la prescription de l’action en responsabilité à l’encontre de l’avocat sont strictement identiques à celles de droit commun.

En dehors de la complexe question du préjudice constitué par une perte de chance d’obtenir un résultat favorable, la seule particularité dans le régime de la responsabilité des avocats réside désormais dans le point de départ du délai de prescription.

À cet effet, l’article 2225 du Code de procédure civile dispose que :

« l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ».

Or, si la jurisprudence a longtemps été incertaine en ce qui concernait la détermination précise de la fin de mission de l’avocat, un arrêt rendu le 14 juin 2023 par la 1ère Chambre civile 1 de la Cour de cassation a mis fin à cet aléa [3].

Aux termes de cet arrêt, Il résulte en effet de la combinaison des articles 2225 du Code de procédure civile, 412 du Code de procédure civile et 13 du Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat, que le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat (au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission) court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date :

« Vu l’article 2225 du Code civil, l’article 412 du Code de procédure civile et l’article 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat :
4. Selon le premier de ces textes, l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant assisté ou représenté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
5. Il résulte du deuxième que la mission d’assistance en justice emporte pour l’avocat l’obligation d’informer son client sur les voies de recours existant contre les décisions rendues à l’encontre de celui-ci.
6. Selon le troisième, l’avocat conduit jusqu’à son terme l’affaire dont il est chargé, sauf si son client l’en décharge ou s’il décide de ne pas poursuivre sa mission.
7. La Cour de cassation juge que l’action en responsabilité contre un avocat se prescrit à compter du prononcé de la décision juridictionnelle obtenue (1re Civ., 14 janvier 2016, pourvoi n° 14-23.200, Bull. 2016, I, n° 14).
8. Si cette jurisprudence permet de fixer un point de départ unique à la prescription de l’action en responsabilité formée contre un avocat, elle se concilie toutefois difficilement avec d’autres dispositions, telles que celles des deux derniers textes précités.
9. Il y a lieu de déduire désormais de la combinaison des textes précités que le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date
 ».

Thomas Crétier Avocat au Barreau de Lyon

[3Cour de cassation, civile, Chambre civile 1ère, 14 juin 2023, n° de pourvoi 22-17.520