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Les avantages particuliers donnés irrégulièrement lors de la constitution de la SAS. Par Thibault Masson, Juriste.
Parution : jeudi 4 avril 2024
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Un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 mars 2024 (22-12.205) aborde la question des avantages particuliers et de la procédure afférente dans le cadre d’une Société par Actions simplifiée (SAS). Même si la procédure des avantages particuliers n’est pas respectée lors de la constitution de la SAS, ces avantages ne disparaissent pas. La régularisation de la situation passe par une procédure impliquant le bénéficiaire de ces avantages.

Selon les faits exposés dans cet arrêt du 13 mars 2024, un père et son fils constituent une société par actions simplifiée (SAS) en février 2015. Un article des statuts divise les actions en deux catégories : celles de type A et celles de type B. Selon un autre article, une seule action de type A vaut 100 droits de vote. Tandis qu’une action de catégorie B ne confère qu’un seul droit de vote.

Le père décède en 2016. Sa femme, son fils et ses 3 autres enfants lui succèdent.

La veuve et 3 de ses enfants assignent le fils co-fondateur et la SAS pour annuler deux articles des statuts : celui répartissant les actions et celui conférant des droits de vote par actions.

La cour d’appel accède à certaines demandes de la veuve et de ses 3 enfants, mais en rejette d’autres.

Elle ordonne la régularisation de la procédure et annule les décisions votées avant cette régularisation. La régularisation consiste ici à ajouter l’évaluation des avantages particuliers aux statuts, ainsi que la mention et l’annexe aux statuts du rapport par un commissaire aux apports sur les avantages particuliers ayant servi à leur évaluation.

Mais elle refuse la demande de voir déclarer non-écrits ou nuls les deux articles litigieux des statuts. Elle écarte toute illicéité de ces articles.

Enfin, la cour décide que la régularisation passe par la signature d’actes entre les associés fondateurs ou leurs ayants droits permettant de régulariser la procédure d’octroi d’avantages particuliers.

Un pourvoi principal est formé contre cette décision par la veuve et ses 3 enfants. De plus, un pourvoi incident est formé par le fils et la société.

La Cour de cassation rejette les pourvois. Elle considère que le non-respect de la procédure d’octroi des avantages particuliers n’entraîne pas la nullité ou la réputation non écrite des articles litigieux des statuts. Cependant, elle confirme la nullité des décisions prises avant la régularisation de la procédure. Cette régularisation est accomplie par la signature d’actes par l’ensemble des associés.

Malgré une procédure des avantages particuliers irrégulière (I), les articles des statuts instaurant ces avantages survivent (II).

I. L’irrespect de la procédure des avantages particuliers dans la SAS.

Pour l’octroi des avantages particuliers lors de la création de la SAS (A), la procédure antérieure afférente est appliquée (B).

A. L’octroi d’avantages particuliers lors de la création de la SAS.

La SAS est une forme juridique connue pour la grande liberté qu’elle offre notamment dans la rédaction des statuts. Les fondateurs ont décidé de profiter de cette liberté en incluant un article dans les statuts conférant un nombre de droits de vote spécifique par action pour certaines d’entre elles.

Il n’y a pas de définition donnée par le Code de commerce des avantages particuliers, même si le terme est employé dans plusieurs articles comme L225-8 ou L225-147.

Pour la doctrine, un avantage particulier

« se comprend comme une faveur de nature pécuniaire, mais pas seulement, statutairement attribuée [...] à titre personnel à un actionnaire ou à un tiers entrainant une rupture d’égalité avec les associés », consentie par la société [1].

En l’espèce, les statuts attribuent 2 225 actions de catégorie A au fils et 25 actions de catégorie B au père. Si les statuts se limitaient à une telle distribution, on comprend que le fils aurait plus de pouvoir que son père.

Mais comme une seule action de type A vaut 100 droits de vote, tandis qu’une action de catégorie B ne confère qu’un seul droit de vote, le rapport de force entre actionnaires est détaché du simple nombre d’actions possédées. Une inégalité entre eux est créée.

Un avantage particulier a donc été octroyé. Les avantages particuliers peuvent être un outil à la disposition des associés pour établir entre eux une hiérarchie indépendamment du nombre d’actions qu’ils possèdent. Le pouvoir d’un associé ne dépend plus du nombre d’actions qu’il détient, mais bien du "poids" de chacune de ces actions données par les statuts.

On comprend qu’un tel aménagement a des conséquences drastiques sur le fonctionnement de la société. C’est en partie pour cette raison qu’une procédure particulière devait être respectée.

B. L’application de la procédure des avantages particuliers.

Il est reproché aux fondateurs de ne pas avoir suivi la procédure selon laquelle il faut joindre une annexe et mentionner dans les statuts un rapport relatif aux avantages particuliers rendu par un commissaire aux apports.

L’article L225-14 alinéa 2 du Code de commerce dispose justement que lorsque des avantages particuliers sont stipulés dans les statuts, une évaluation de ces avantages doit être incluse dans les statuts et un rapport établi sous la responsabilité d’un commissaire aux apports doit y être annexé.

La question était de savoir si cet article s’appliquait ou non en l’espèce. Si l’article s’applique, alors la procédure n’a pas été respectée par les fondateurs en 2015 lors de la constitution de leur société.

Suivant l’article L227-1 du Code de commerce, les règles propres à la société anonyme compatibles avec les dispositions propres à la société par actions simplifiées s’appliquent à cette forme sociale, sauf certaines exceptions prévues. Avant la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés, l’article L225-14 alinéa 2 ne faisait pas partie des exceptions prévues par l’article L227-1.

Or, la société en question ici a été constituée en 2015. De ce fait, si l’article L225-14 alinéa 2 est compatible avec les dispositions propres à la SAS, il s’applique à cette forme sociale et donc à la constitution de la société en 2015.

La Cour de cassation a considéré que l’article L225-14 alinéa 2 du Code de commerce était compatible avec les règles relatives à la SAS [2]. De ce fait, la procédure d’octroi des avantages particuliers n’a pas été respectée par les fondateurs.

Le fils et la société ont également tenté d’avancer que l’entrée en vigueur de la loi, comme elle enlevait l’obligation qu’ils n’avaient pas respectée, permettait la régularisation de leur situation. La Cour rejette cet argument, car l’instauration d’avantages particuliers était complétement terminée au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019.

La décision est tout à fait logique. Aucune disposition de la loi du 19 juillet ne prévoit d’aménagement de son application dans le temps en ce qui concerne l’article L225-14 alinéa 2. Accéder à la demande de régularisation par le pourvoi reviendrait à contrevenir au principe fondamental de non-rétroactivité de la loi.

En outre, la cour d’appel avait aussi ordonné l’annulation des décisions votées avant la régularisation.

Cette sanction lourde est prévue par l’article L225-16-1 du Code de commerce. Suivant ce dernier, tout droit de vote des actions émises en violation de l’article L225-14 entraine leur suspension et une nullité des votes effectués pendant cette suspension.

Cette sanction peut être justifiée de la manière suivante. La répartition des pouvoirs s’est faite de manière irrégulière. Or, toute décision a été prise en fonction de cette répartition. Cela entraîne des annulations en cascade. La société ayant été constituée le 25 février 2015, plusieurs années de sa vie sont impactées.

Mais l’irrégularité dans la procédure d’octroi des avantages particuliers doit-elle entraîner la nullité des articles les conférant ?

II. La survie des articles des statuts instaurant les avantages particuliers au sein de la SAS.

La Cour de cassation refuse de considérer comme non-écrits ou nuls les articles litigieux des statuts (A). Ensuite, les modalités de régularisation de la procédure de vérification des avantages particuliers sont précisés (B).

A. Le rejet de la demande de nullité ou de réputation non écrite des articles instaurant les avantages particuliers.

La veuve et les 3 autres enfants invoquent l’article L228-11 alinéa 3 du Code de commerce pour tenter de faire déclarer non écrits ou nuls les articles litigieux des statuts.

Cet alinéa dispose :

« les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social ».

En l’espèce, les actions de type B représentent plus de la moitié du capital. Une action B ne vaut qu’un seul vote. Les demandeurs ont tenté de dire ici que les actions B, qui représentent plus de la moitié du capital, ont une valeur tellement dérisoire comparée à celle d’une action A, qu’il faut considérer que les actions B n’ont pas de droit de vote.

La Cour de cassation fait une application stricte du texte. Ce dernier dit effectivement que seules les actions « sans droit de vote » ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social. On comprend l’argument, mais à aucun moment il n’est indiqué qu’il est possible de qualifier de « sans droit de vote » une action en la comparant avec d’autres actions.

Mais si les articles litigieux survivent, la question de l’irrégularité de la procédure reste à régler.

B. Les modalités de la régularisation de la procédure de vérification des avantages particuliers.

Les demandeurs au pourvoi principal tentaient d’écarter le fils cofondateur de la procédure de régularisation en invoquant les articles L225-8 et L225-10 du Code commerce.

Il résulte de ces articles que les actions du bénéficiaire d’avantages particuliers ne sont pas prises en compte lors de la procédure des avantages particuliers. De ce fait, selon les demandeurs, une simple signature d’actes par tous les actionnaires ne suffit donc pas à couvrir l’irrégularité de la procédure des avantages particuliers.

L’argumentaire du pourvoi fait penser à l’article L228-15 du Code de commerce portant sur les actions de préférence. Selon ce dernier, lors de la création d’actions de préférence, les articles L225-8 et L225-10, propres aux avantages particuliers, sont appliqués si les actions sont émises au profit d’une ou plusieurs personnes nommément désignées.

Les articles L225-8 et L225-10, permettant d’écarter le fils cofondateur, doivent-ils ici s’appliquer ?

La Cour de cassation refuse leur application et approuve donc la cour d’appel : une signature d’actes par les actionnaires suffit. Le fils cofondateur a donc son mot à dire durant la régularisation.

Pour rejeter le pourvoi, elle se fonde sur l’article L227-2 du Code de commerce selon lequel les sociétés par actions simplifiées ne peuvent « procéder à une offre au public de titres financiers ».

Or, l’article L225-12 du Code de commerce dispose expressément que lorsqu’il n’est pas procédé à une offre au public, les articles L2525-8 alinéa 3 et l’article L225-10 du même code ne sont pas applicables.

Aussi, les articles L225-8 et L225-10 du Code de commerce ne font pas partie des exceptions de l’article L227-1 de ce même code.

La Cour de cassation énonce donc que les articles invoqués par le pourvoi ici ne sont pas compatibles avec les règles régissant les sociétés par actions simplifiées.

De ce fait, pour régulariser la procédure des avantages particuliers en SAS, le bénéficiaire de ces avantages participe au processus de régularisation.

La société se situe donc dans une situation complexe et particulière puisque l’ensemble des décisions précédant la procédure de régularisation sont nulles, mais le fils cofondateur participe à cette procédure. Elle réunit le reste des associés qui ont tenté de lui retirer ses avantages particuliers.

Thibault Masson, Juriste

[1T. Allain, Encycl. Dalloz, Rép. sociétés, V° avantages particuliers, n° 15.