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Revirement sur la péremption d’instance : elle ne court plus si les parties ont accompli toutes leurs charges procédurales. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocate.
Parution : mercredi 3 avril 2024
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La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans quatre arrêts du 7 mars 2024 (n° 21-19.475, n°21-19.761, n°21-20.719, 21-23.230) publiés au Bulletin, a opéré ouvertement un revirement de jurisprudence et juge désormais qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière.

1) Faits et procédure.

Les quatre arrêts susvisés connaissent de faits similaires : un appel a été interjeté, et les procédures se déroulent selon le circuit ordinaire avec mise en état. Chaque partie conclut dans le délai qui lui est imparti mais aucune ne sollicite la clôture et la fixation auprès du conseiller de la mise en état.

Dans chacun de ces dossiers, le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance par ordonnance.

Appliquant la jurisprudence de la Cour de cassation, la Cour d’appel de Montpellier (dans un arrêt du 18 mai 2021), la Cour d’appel de Grenoble (dans un arrêt du 9 mars 2021), et la Cour d’appel de Paris (dans un arrêt du 2 septembre 2021), ont jugé que l’instance d’appel était périmée car aucune diligence n’a été accomplie par l’une ou l’autre des parties depuis plus de deux ans.

Au contraire, la Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 10 juin 2021, a débouté le salarié de sa demande tendant à ce que soit constatée la péremption de l’instance.

Quatre pourvois en cassation ont alors été formés.

2) Moyens.

Dans trois des affaires (n° 21-19.475, n°21-19.761, n° 21-23.230), les demandeurs au pourvoi font grief aux arrêts d’avoir jugé que l’instance d’appel était périmée, alors que :

Dans la quatrième affaire (n°21-20.719), le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que soit constatée la péremption de l’instance, alors que :

3) Solution.

La Cour de cassation opère un revirement affiché de jurisprudence.

La deuxième chambre civile rappelle tout d’abord les sept articles applicables au litige :

En second lieu, les juges de la haute Cour rappellent la position jusqu’alors retenue par la Cour de cassation, sur laquelle s’était fondée la Cour d’appel de Grenoble pour rendre sa décision :

« Jusqu’à présent, la Cour de cassation jugeait, en matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire, d’une part, que la péremption de l’instance d’appel est encourue lorsque, après avoir conclu en application des articles 908 et 909 du Code de procédure civile, les parties n’ont pas pris d’initiative pour faire avancer l’instance ou obtenir du conseiller de la mise en état la fixation, en application de l’article 912 du Code de procédure civile, des débats de l’affaire (2ᵉ Civ., 16 décembre 2016, pourvoi n° 15-27.917, Bull. 2016, II, n° 281), d’autre part, que la demande de la partie appelante adressée au président de la formation de jugement en vue, au motif qu’elle n’entend pas répliquer aux dernières conclusions de l’intimé, de la fixation de l’affaire pour être plaidée, interrompt le délai de péremption de l’instance mais ne le suspend pas (2ᵉ Civ., 1ᵉʳ février 2018, pourvoi n° 16-17.618, Bull. 2018, II, n° 20) ».

La deuxième chambre civile affirme ensuite qu’il y a lieu de reconsidérer cette jurisprudence car :

Enfin, la Cour de cassation expose la nouvelle jurisprudence qu’elle entend désormais appliquer :

« 16. Il en découle que lorsque le conseiller de la mise en état n’a pas été en mesure de fixer, avant l’expiration du délai de péremption de l’instance, la date de la clôture ainsi que celle des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption.

17. Il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière ».

La Cour de cassation précise que ce revirement de jurisprudence est immédiatement applicable en ce qu’il assouplit les conditions de l’accès au juge.

4) Analyse.

Ce revirement de jurisprudence doit être salué car il est juste de ne pas sanctionner les parties qui ont rempli toutes leurs obligations.

En effet, la solution précédente conduisait à faire peser le manque de moyens et la lenteur de la justice sur les justiciables.

En outre, cet arrêt présente une motivation enrichie des raisons du revirement de jurisprudence, ce qui est appréciable.

Toutefois, cette nouvelle position de la Cour de cassation a un avenir incertain car le projet de décret « Magicobus » portant diverses mesures de simplification de la procédure civile prévoit en l’état de réformer le régime de la péremption d’instance et pourrait donc valider ou au contraire invalider cette solution.

A suivre.

Sources.

Cass. civ. 2ᵉ 7 mars 2024 n° 21-20.179.
Cass. civ. 2ᵉ 14 sept 2023 n° 21-19.761.
Cass. civ. 2ᵉ 7 mars 2024, n° 21-23.230.
Le CNB prend position sur le projet de décret portant mesures de simplification de la procédure civile [1].
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Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) Mathilde Fruton Létard élève avocate EFB Paris Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum