Village de la Justice www.village-justice.com

Rupture conventionnelle : entretien, consentement et validité. Par M.Kebir, Avocat.
Parution : jeudi 28 mars 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/rupture-conventionnelle-entretien-consentement-validite,49311.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Mode de rupture pacifié et consenti du contrat de travail, la rupture conventionnelle repose sur un cadre juridique instituant les fondements du consentement et les modalités de la mise en œuvre de la volonté commune des parties, visant la sortie concertée de la relation contractuelle.
Ainsi, au gré des récentes précisions apportées par la Jurisprudence, l’employeur estimant que le salarié est passible de licenciement, peut lui proposer de choisir entre licenciement pour faute grave et rupture conventionnelle. De même, pour peu que l’entretien préalable précède la signature de la convention de rupture, les deux peuvent avoir lieu le même jour.

Substantiellement, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties, conformément à l’article L1237-11 Code du travail. Sur cette base, il est constamment rappelé par la Jurisprudence que :

« Indépendamment des vices du consentement, au moment de la conclusion de la convention de rupture, un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas la validité de la convention de rupture ».

A cet égard, par un récent arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation a jugé que ne caractérise pas un vice du consentement le fait que l’employeur demande à un salarié qui refuse de porter ses équipements de sécurité de choisir entre un licenciement pour faute grave ou lourde et une rupture conventionnelle :

« Après avoir exactement rappelé que l’existence, au moment de la conclusion de la convention de rupture, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas elle-même la validité de la convention de rupture, la cour d’appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié n’avait pas usé de son droit de rétractation et n’établissait pas que la rupture conventionnelle avait été imposée par l’employeur ;
La cour d’appel a ainsi estimé que le salarié ne rapportait pas la preuve d’un vice du consentement
 » [1].

Au fond, ce sont en effet, les circonstances entourant le consentement qui impliquent, au cas par cas, nullité de la convention.

Aucun délai entre l’entretien et la signature de la convention.

Lorsque l’employeur conclut une rupture conventionnelle avec un salarié, il lui est loisible de signer cette convention le même jour que l’entretien qui fixe le principe même de la rupture, ainsi que ses modalités. Le tout est que l’entretien ait lieu avant la signature de la convention.

C’est l’enseignement qui se dégage de l’arrêt de la Cour régulatrice du 13 mars 2024. En ce sens que, pour les hauts juges, l’article L1237-12 n’instaure aucun délai entre l’entretien préalable et la signature de la convention :

« Les parties au contrat conviennent du principe d’une rupture conventionnelle lors d’un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister » [2].

Sur ce point, il importe de rappeler que, en matière du licenciement - pour motif personnel, un délai d’au moins 2 jours ouvrables après le jour de l’entretien avant d’envoyer la notification doit être observé [3].

Dans l’affaire précitée, la salariée et son employeur avaient signé la convention de rupture le 22 février 2016, le jour où avait eu lieu l’entretien au cours duquel les parties avaient fixé les modalités de la rupture.

La salariée conteste la validité de la rupture conventionnelle, estimant que le fait de signer la convention le même jour que l’entretien priverait celui-ci de toute portée.

Déboutée en appel, la Chambre sociale procède par une lecture littérale des dispositions de l’article L1237-12 Code du travail :

« L’article L1237-12 du Code du travail n’instaure pas de délai entre, d’une part l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, d’autre part la signature de la convention de rupture prévue à l’article L1237-11 du Code du travail ».

La cour d’appel, qui a constaté que l’entretien avait eu lieu avant la signature de la convention de rupture et écarté tout vice du consentement, a légalement justifié sa décision [4].

Pour rappel, aux termes de l’article L1237-12 du Code du travail, le principe de la rupture convenue doit être négocié au cours d’un ou de plusieurs entretiens réunissant les parties qui, à cette occasion, peuvent être assistées.

En outre, la convention de rupture doit prévoir le montant de l’indemnité spéciale servie au salarié et la date de rupture du contrat de travail. Suite à quoi, la procédure suit un formalisme fixé par les articles L1237-12 et suivants du Code du travail :

Formellement, nécessité opérationnelle oblige, deux délais sont requis dans la procédure, entre l’entretien et l’homologation : le délai de rétractation (quinze jours calendaires), le délai d’homologation (quinze jours ouvrables).

Assistance du salarié à l’entretien préalable.

Dans un arrêt du 19 novembre 2014 [5], la Cour de cassation affirmait que l’assistance de l’employeur lors de l’entretien préalable à la signature de la convention de rupture, alors même que le salarié n’était pas assisté, n’entraîne pas, de facto, la nullité de la rupture conventionnelle [6].

La nullité est encourue seulement si l’assistance de l’employeur « a engendré une contrainte ou une pression pour le salarié qui se présente seul à l’entretien ». En cela, dans un arrêt du 5 juin 2019, des précisions relativement à l’assistance de l’employeur lors de l’entretien de rupture conventionnelle sont relevées :

« L’assistance de l’employeur lors de l’entretien préalable à la signature de la convention de rupture ne peut entraîner la nullité de la rupture conventionnelle que si elle a engendré une contrainte ou une pression pour le salarié qui se présente seul à l’entretien ; qu’ayant constaté que tel n’était pas le cas en l’espèce, elle a rejeté à bon droit la demande du salarié » [7].

En vertu de l’article L1237-12 Code du travail,

« le salarié peut se faire assister :

  • Soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ;
  • Soit, en l’absence d’institution représentative du personnel dans l’entreprise, par un conseiller du salarié ».

Avant l’entretien, le salarié doit informer l’employeur de son choix de recourir à un assistant.

Parallèlement, l’employeur peut se faire assister uniquement lorsque le salarié en a fait lui-même décide d’y recourir.

Ainsi, l’employeur ne peut se faire assister si le salarié se présente seul à l’entretien. En clair,

« Le défaut d’information du salarié d’une entreprise ne disposant pas d’institution représentative du personnel sur la possibilité de se faire assister, lors de l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative n’a pas pour effet d’entraîner la nullité de la convention de rupture en dehors des conditions de droit commun » [8].

Ceci, à l’exception des cas où le défaut d’information aurait vicié le consentement du salarié [9].

Néanmoins, condition de taille, le défaut d’entretien ou des entretiens prévus par l’article L1237-12 Code du travail, relatif à la conclusion d’une convention de rupture entraîne la nullité de la convention. Il appartient à celui qui invoque cette cause formelle de nullité d’en rapporter la preuve [10].

En substance, l’absence d’entretien constitue, à elle seule, une cause de nullité de la rupture conventionnelle [11].

Consentement et validité de la convention.

La condition du consentement clair est non équivoque revêt un caractère essentiel quant à la validité de la convention de rupture. Si bien que les dispositions de l’article L1237-11, alinéa 2 du Code du travail en font une condition de fond :

« La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ».

S’agissant de la violence - la contrainte, en tant que vice du consentement, celle-ci est définie en ces termes :

« Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » [12].

Dans le même ordre d’idées, la violence est caractérisée en cas d’abus dans le lien subordination :

« Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » [13].

En ce sens, l’appréciation de l’existence d’un vice du consentement entachant la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail relève du pouvoir souverain des juges du fond [14].

Aussi, pour la Haute assemblée, doit être annulée la rupture conventionnelle pour cause de harcèlement, lequel s’analyse comme vice du consentement, étant précisé que le harcèlement est démontré :

« A la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle, la salariée était dans une situation de violence morale en raison du harcèlement moral et des troubles psychologiques qui en sont découlés, a caractérisé un vice du consentement » [15].

Toujours est-il que, autre vice du consentement en plus de la contrainte, la manœuvre déloyale de l’employeur est de nature à vicier le consentement du salarié : est nulle la rupture conventionnelle signée dans un contexte conflictuel ; alors que l’employeur a induit en erreur le salarié en lui promettant une indemnité au titre de sa clause de non-concurrence avant de le délier de celle-ci :

« Il avait été indiqué au salarié lors des différents entretiens préalables à la rupture qu’il percevait une indemnité égale aux deux tiers de son salaire net mensuel pendant douze mois au titre de la clause de non-concurrence, alors que l’employeur l’avait délié le 2 mai 2011 de cette clause,...le consentement du salarié avait été vicié » [16].

En somme, si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas, par elle-même, la validité de la convention de rupture, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties [17], ni être établies dans un contexte de souffrances ou de harcèlement caractérisés ayant pour effet le vice du consentement.

Le contexte du harcèlement.

En sus de la violence, les faits de harcèlement doivent avoir pour effet un vice du consentement pour invalider la convention. C’est là la règle dégagée par la jurisprudence : En l’absence de vice du consentement établi, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture :

« Sauf à procéder d’une fraude ou d’un vice du consentement, l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L1237-11 du Code du travail ; qu’en décidant qu’il résulte de la combinaison des articles L1152-1 et L1152-3 du même code qu’un salarié peut obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle de son contrat de travail dès lors qu’il établit qu’elle est intervenue dans un contexte de harcèlement moral, sans avoir à prouver un vice du consentement, la cour d’appel a violé les articles L1237-11, L1152-1 et L1152-3 du Code du travail » [18].

La même position est retenue par le Conseil d’État : « L’existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n’est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l’inspection du travail autorise une rupture conventionnelle, sauf à ce que ces faits aient, en l’espèce, vicié le consentement du salarié » [19].

Existence d’un différend.

En matières des conflits et désaccords au travail, à l’exception du vice du consentement entraînant, de fait, l’annulation de la rupture conventionnelle (voir infra), un différend entre le salarié et l’employeur n’affecte pas, à lui seul, la validité de la convention :

« Si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L1237-11 du Code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ;
Et attendu qu’après avoir relevé que l’employeur avait menacé la salariée de voir ternir la poursuite de son parcours professionnel en raison des erreurs et manquements de sa part justifiant un licenciement et l’avait incitée, par une pression, à choisir la voie de la rupture conventionnelle, la cour d’appel qui, exerçant son pouvoir souverain d’appréciation, a fait ressortir que le consentement de la salariée avait été vicié, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision
 » [20].

Dès lors, comme exposé plus haut, la situation de violence morale résultant du harcèlement moral subi par le salarié, au moment de la conclusion de la convention de rupture, constitue un vice du consentement justifiant l’annulation de la rupture conventionnelle [21].

Situations particulières.

Quid des situations relevant de l’arrêt de travail prolongé ou de la suspension du contrat de travail, dans lesquelles est conclue la rupture conventionnelle ?

En la matière, la Jurisprudence offre de notables illustrations. Ainsi, un salarié victime d’un risque professionnel déclaré apte sous réserve de la reprise du travail peut valablement conclure une rupture conventionnelle sauf à ce que soit démontrée l’existence d’un vice du consentement ou d’une fraude de la part de l’employeur [22].

Tel est le cas aussi de l’inaptitude : sauf cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle homologuée peut valablement être conclue par un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail [23]. Même solution retenue concernant l’accident du travail ou une maladie professionnelle.

« Sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l’espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l’article L1237-11 du Code du travail au cours de la période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle » [24].

Par ailleurs, de par l’espace de dialogue et l’écoute propice à instaurer la confiance et les conditions idoines aux fins d’un accord équitable, pérenne, la médiation est tout indiquée dans le cadre de la rupture négociée de la relation de travail.

Pour conclure, issue privilégiée mettant fin à la collaboration entre salarié et employeur, les principes légaux et les règles jurisprudentielles inhérents à la rupture conventionnelle, protègent contre les abus et précipitations nuisibles aux droits et à la bonne foi contractuelle.

M. Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat [->contact@kebir-avocat-paris.fr] www.kebir-avocat-paris.fr www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Cass. Soc. 15 nov. 2023, n° 22-16957.

[2Article L1237-12 Code du travail.

[3Article L1232-6 Code du travail.

[4Cass. Soc. 13 mars 2024 n° 22-10.551 Publié au Bulletin.

[5Cass. Soc ; 19 novembre 2014 n°13-21207.

[6Voir aussi : Cass. Soc. 5 juin 2019 n°18-10901.

[7Cass. Soc. 5 juin 2019 n°18-10901.

[8Cass. Soc. 29 janv. 2014 n° 12-27.594.

[9Cass. Soc. 5 juin 2019, n 18-10.901.

[10Cass. Soc. 1ᵉʳ déc. 2016, n 15-21.609.

[11Cass. Soc. 1ᵉʳ décembre 2016, n° 15-21.609.

[12Article 1140 du Code civil Code civi.l

[13Article 1143 du Code civil.

[14Cass. Soc. 16 sept. 2015, n 14-13.830.

[15Cass. Soc. 29 janvier 2020 : n°18-24296.

[16Cass. Soc. 9 juin 2015, n 14-10.192.

[17Cass. Soc. 8 juill. 2020, n 19-15.441.

[18Cass. Soc. 23 janv. 2019, n 17-21.550.

[19CE 13 avr. 2023, n 459213.

[20Cass. Soc. 23 mai 2013 n° 12-13.865.

[21Cass. Soc. 30 janv. 2013 n° 12-13.865.

[22Cass. Soc. 09.05.2019 n° 17-28767.

[23Cass. Soc. 9 mai 2019, n 17-28.767.

[24Cass. Soc. 30 sept. 2014. 13-16.297, Publié au bulletin Cass. Soc. 16 déc. 2015, n 13-27.212.