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Qui êtes-vous ? Quelques clés de compréhension de l’actualité sur l’identité juridique de la personne physique au Cameroun. Par Eugène Pascal Parfait Nkili Mbida, Doctorant.
Parution : mardi 26 mars 2024
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« Qui êtes-vous ? », « À qui ai-je l’honneur ? », « C’est qui ? », « De qui parle-t-on ? », sont des expressions interrogatives qui ont pour but de procéder à l’identification de la personne concernée.
Voici quelques clés de compréhension de l’actualité sur l’identité juridique au Cameroun.

Toutefois, être, c’est exister et pour exister, il faut posséder une identité juridique.

Sans identité juridique, il n’y a point d’existence. L’identité juridique est donc l’élément de reconnaissance d’un individu dans la communauté humaine. Elle constitue par définition l’« ensemble des composantes grâce auxquelles il est établi qu’une personne est bien celle qui se dit ou que l’on présume être (nom, prénoms, nationalité, filiation…) ».

L’Organisation des Nations Unies reconnaît que chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique, comme énoncé à l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que dans plusieurs autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Pour s’attaquer à ce sujet, la cible 16.9 qui consiste à garantir à tous une identité juridique, a été établie au titre de l’objectif de développement durable 16.

Il est indiqué de relever que les questions juridiques qui touchent à l’identité, prennent une place croissante dans le débat politique et social dans nos sociétés africaines. Alors que l’on assiste à la multiplication des revendications identitaires régionales ou nationales, parfois virulentes, on constate parallèlement la lente montée d’un trouble identitaire profond, lié au genre. L’identité juridique perd de sa stabilité. Elle n’est plus fixée une bonne fois pour toutes à la naissance, par un état civil permettant d’étiqueter chaque personne. Elle se révèle multiple et changeante. Cette transformation fondamentale est inquiétante pour les juristes, familiers des classifications et en recherche de sécurité dans les relations juridiques.

Reconnaissant que la question qui consiste à garantir à tous une identité juridique revêt une importance capitale pour la mise en œuvre du Programme 2030, la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies a lancé en septembre 2018, la création du Groupe d’experts des Nations Unies en identité juridique (UN-LIEG), sous la coprésidence du secrétariat du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, du Programme des Nations Unies pour le développement et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance.

Conformément à son mandat, l’UN-LIEG vise essentiellement à intégrer la gestion de l’identité en un seul système qui garantisse une identité juridique pour tous, de la naissance à la fin de la vie. Autrement dit, un individu, une identité juridique.

Ainsi, le contexte camerounais et partant l’actualité récente, interpelle notre réflexion sur les questions ci-après : quelles sont les pièces d’identité au Cameroun et qui sont les autorités chargées de leur délivrance ? L’identité juridique peut-elle subir des mutations au cours de l’existence d’un individu au Cameroun ? Est-il juridiquement envisageable d’avoir une double identité au Cameroun ? Quelles sont les infractions afférentes à l’identité et quelles en sont les sanctions ?

Une série de questions non exprimées qui viennent à la conscience collective camerounaise, pour qui la vérité du Droit mérite d’être mobilisée pour mieux saisir l’actualité de l’identité au Cameroun.

1° Les pièces d’identité au Cameroun et les autorités en charge de leur délivrance.

L’UN-LIEG a établi une définition opérationnelle de l’identité juridique comme un ensemble de caractéristiques fondamentales de l’identité d’une personne (nom, sexe, lieu et date de naissance, par exemple) conférées après sa naissance à partir de l’enregistrement et de la délivrance d’un certificat par une autorité habilitée de l’état civil.

Au Cameroun, l’identité juridique est à l’instar de ce qu’il est donné d’observer dans d’autres pays, un enregistrement auprès du service compétent de l’Etat civil. Ainsi, la première pièce d’identité est l’acte de naissance établi par un Officier d’état civil territorialement compétent, en ce qu’il constate la naissance d’un individu, et lui attribue un code par lequel, il sera reconnu au sein de la communauté humaine universelle.

Par la suite, il est convenable d’évoquer la carte nationale d’identité (CNI). Elle « fait foi jusqu’à preuve du contraire de l’identité de son titulaire […] ». En vue d’un premier établissement, il est exigé comme pièces jointes à la demande de CNI :

Dans l’hypothèse où, le demandeur de la CNI ne peut produire les pièces sus énumérées, il doit, à l’appui de sa demande, joindre un document attestant ses noms et prénoms, sa filiation, son âge, sa citoyenneté camerounaise, son lieu d’origine (village, arrondissement, département, région).

Il n’est pas inutile de relever que la détention d’un titre d’identité provisoire communément appelé « récépissé » constitue une présomption d’identité.

En tout état de cause, la CNI est délivrée par le Délégué Général à la Sûreté Nationale.

Enfin, le passeport CEMAC est une pièce d’identité, conformément aux dispositions de l’article 2 du Règlement n° 1/00-CEMAC-042-CM-04 du 21 juillet 2000 portant institution et conditions d’attributions du Passeport CEMAC modifié par le Règlement n° 01/08-UEAC-042-CM-17 du 20 juin 2008. Reprenant cette réglementation communautaire, l’article 2 (1) du Décret n° 2021/347 du 17 juin 2021 fixant les conditions d’établissement des passeports précise que « le passeport est une pièce officielle d’identité délivrée aux ressortissants camerounais pour leurs déplacements hors des frontières nationales ».

On distingue trois (03) types de passeports CEMAC. Au Cameroun, ils sont respectivement délivrés par les autorités suivantes :

2° Les mutations de certaines composantes de l’identité juridique au cours de l’existence d’un individu au Cameroun.

Les composantes de l’identité juridique peuvent évoluer au fil des années, selon les cas.

En effet, il existe des situations de relèvement de nom, de changement des nom et prénom, de filiation, de reconstitution et de rectification d’acte (de naissance), liées au mariage de la femme, de camerounisation des noms et prénoms des étrangers en instance de naturalisation, d’usage d’un pseudonyme, d’adoption et de légitimation adoptive.

a) Il y a lieu à reconstitution (d’acte de naissance) en cas de perte, de destruction des registres ou lorsque la déclaration n’a pu être effectuée dans le délai de 60 jours (lorsque l’enfant n’est pas né dans un établissement hospitalier), 30 jours (par le médecin ou toute autre personne ayant assisté la mère lors de l’accouchement, lorsque celui-ci est intervenu dans un établissement hospitalier), 60 jours (par les parents après l’expiration du précédent délai lorsque la formation hospitalière a été défaillante, soit 90 jours suivants l’accouchement) ou dans les 06 mois, sur réquisition du Procureur de la République, suivant la naissance.

b) Il y a lieu à rectification (d’acte de naissance) lorsque l’acte d’état civil comporte des mentions erronées qui n’ont pu être redressées au moment de l’établissement dudit acte.

Ces deux hypothèses font l’objet de recours devant le Tribunal de Premier Degré ou de Grande Instance territorialement compétent.

De manière exceptionnelle, il peut être procédé à la reconstitution d’acte de naissance par voie administrative (notamment par l’Officier d’état civil suivant réquisition du Préfet), en cas de guerre ou de calamité naturelle.

c) Le relèvement de nom constitue une opération de substitution ou d’adjonction de nom susceptible d’intervenir dans le cas où une personne dont le nom de l’auteur n’a pas été exprimé à son acte de naissance au moment où il a été établi, et lorsque sa filiation avec ledit auteur est établie par décision de justice ou résulte des stipulations d’un acte authentique.

d) Toute personne peut demander le changement de son nom lorsque celui porté :

e) Toute personne en instance de naturalisation dont le nom patronymique présente une consonance spécifiquement étrangère de nature à gêner son intégration dans la communauté nationale peut demander la camerounisation de son nom ou de son prénom. La camerounisation s’entend de la traduction du nom ou du prénom en l’un des dialectes parlés au Cameroun, ou de la simple modification nécessaire pour éliminer la consonance étrangère.

f) Pour les besoins littéraires, artistiques ou scientifiques, toute personne peut demander l’autorisation de faire usage d’un pseudonyme. Cette autorisation demeure dans tous les cas strictement limité à l’activité pour laquelle elle a été accordée.
Dans toutes ces hypothèses, les demandes y afférentes sont adressées au Ministre en charge de la Justice, par lettre recommandée.

Cependant, il convient de souligner que le changement de nom et prénom et l’usage d’un pseudonyme sont sans effet sur les obligations du bénéficiaire antérieures à la date du décret y relatif, et ne peut nuire aux droits de l’intéressé. En d’autres termes, l’identité de la personne concernée n’a qu’été modifiée sans que l’on ne soit en présence d’une nouvelle identité.

g) En ce qui concerne la filiation, aux termes de l’article 342 bis du Code civil, « lorsqu’une filiation est établie par un acte ou par un jugement, nulle filiation contraire ne pourra être postérieurement reconnue sans qu’un jugement établisse, préalablement, l’inexactitude de la première ». Ainsi, il est possible d’avoir un individu dont la filiation a changé à la suite d’un jugement constatant l’inexactitude de celle dénoncée au profit de celle revendiquée.

h) Selon l’article 350 du Code civil, l’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté. Il en est de même de la légitimation adoptive, conformément à l’article 369 du même code.

3° L’impossibilité juridique d’une double identité.

Le système de l’identité juridique fonctionne suivant la logique de l’unicité, laquelle permet d’individualiser une personne dans la communauté humaine.

Parler de double identité, induit nécessairement l’existence de deux personnes et non la subsistance au bénéfice d’une personne de deux identités.

Une identité est à l’image d’un code qui n’est affecté qu’une fois à une personne.

Toutefois, il convient de ne pas confondre l’identité de la nationalité. Cette dernière constituant un élément non substantiel de l’identité, en ce qu’un individu peut disposer de plus d’une nationalité sans que son identité ne soit remise en cause. C’est le cas notamment de la nationalité fonctionnelle ou professionnelle (ex : les sportifs de haut niveau).

4° Les infractions afférentes à l’identité et leurs sanctions.

Parce qu’il est juridiquement impossible pour un individu de disposer d’une double identité, le législateur pénal camerounais a prévu des infractions pour sanctionner les cas d’usurpation d’identité, de falsification d’identité ou de port de nom et prénom autres que ceux mentionnés dans leurs actes de naissance.

Il s’agit notamment des infractions de faux et usage de faux en écritures publiques et authentiques, de déclarations mensongères et faux état civil.

Pour la première, elle est prévue et réprimée par les dispositions de l’article 205 du Code pénal camerounais selon lesquelles :

« (1) Est puni d’un emprisonnement de dix (10) à vingt (20) ans, celui qui contrefait ou altère, soit dans sa substance, soit dans les signatures, dates et attestations, un acte émanant soit du pouvoir législatif, soit du pouvoir exécutif, y compris un passeport, soit du pouvoir judiciaire, ou un acte dressé par une personne seule habilitée à le faire.
(2) Est puni d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de quarante mille (40 000) à deux millions (2 000 000) de francs, celui qui fait usage d’un des actes sus visés ainsi contrefait ou altéré
 ».

S’agissant de la deuxième, est puni d’un emprisonnement de trois (3) mois à trois (3) ans et d’une amende de cinq mille (5 000) à cinquante mille (50 000) francs, celui qui, par ses déclarations mensongères, influe sur la conduite du fonctionnaire, à l’occasion de l’établissement d’un acte de naissance, de mariage ou de décès.

Concernant la troisième, la loi n° 60/LF/3 du 14 juin 1969 portant réglementation de l’usage des noms, prénoms et pseudonymes, dispose que

« nul ne peut porter de nom, de surnom, ni de prénom autre que ceux exprimés dans son acte de naissance, sous réserve des dispositions de la présente loi ».

Aussi,

« l’usage du pseudonyme est interdit, excepté pour les cas visés à l’article 11 ci-après ».

L’article 3 de cette Loi prévoit cependant que tout contrevenant à ce qui précède est puni des peines sanctionnant l’abus de confiance.

Selon l’article 318 (1) (b) du Code Pénal camerounais,

« est puni d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans d’une amende de cent mille (100 000) à un million (1 000 000) de francs, celui qui porte atteinte à la fortune d’autrui, par abus de confiance, c’est-à-dire en détournant ou détruisant ou dissipant tout bien susceptible d’être soustrait et qu’il a reçu, à charge de le conserver, de le rendre, de le représenter ou d’en faire un usage déterminé ».

Au demeurant, l’identité est un ensemble composite, dont les éléments n’ont pas la même valeur. On n’y retrouve d’aucuns qui sont substantiels (nom, prénom, date et lieu de naissance, nom des parents) et d’autres qui ne le sont pas (nationalité, taille, poids, empreintes, photo, couleurs des yeux…). Il convient de reconnaître que même les éléments substantiels ne sont pas de l’ordre de l’intangibilité.

Seulement, il convient de retenir que juridiquement, il n’est pas envisageable pour un individu d’avoir une double identité parce que l’identité juridique ne se conçoit qu’au singulier pour un individu précis. Cette identité peut aussi évoluer du fait de certaines situations légalement prévues, sans jamais donner naissance à une nouvelle identité.

Toutefois, il est possible pour un individu, de falsifier une identité et d’en faire usage.

Et c’est parce qu’il ne peut exister qu’une seule identité pour un individu, que toute autre identité concernant le même individu est un faux. A ce moment, la vraie identité est mise en sourdine, et la fausse est mise en relief.

L’identité juridique au Cameroun est traçable à partir de l’établissement de l’acte de naissance, qui sert de base à la délivrance de la carte nationale d’identité et du passeport.

Le fait pour un individu d’avoir deux actes de naissance est la preuve de l’existence d’un vrai et d’un faux et seule une juridiction pénale est habilitée à l’établir.

Dès lors, affirmer qu’un individu possède une double identité est donc juridiquement incongru. Par contre, il est juridiquement admis de parler de fausse identité.

Eugène Pascal Parfait Nkili Mbida Docteur Ph.D en Droit Public Magistrat