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Articulation entre les infractions pénales et douanières de blanchiment et leur présomption. Par Matthieu Hy, Avocat.
Parution : mercredi 27 mars 2024
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L’arrêt rendu le 10 janvier 2024 par la chambre criminelle de la Cour de cassation (n°22-85.721) résout la question du cumul entre le blanchiment de droit commun et le blanchiment douanier ainsi que celle des conditions d’application de la présomption d’origine illicite en matière de blanchiment douanier.

Contrôlé dans un véhicule dans lequel était dissimulé 176 750 euros, un homme déclarant se rendre au Luxembourg pour prendre un vol vers la Turquie est poursuivi devant le tribunal correctionnel pour blanchiment, blanchiment douanier et transfert de capitaux sans déclaration.

Le blanchiment prévu à l’article 324-1, alinéa 2, du Code pénal se définit comme

« le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».

Le blanchiment douanier, prévu à l’article 415 du Code des douanes, se définit comme le fait d’avoir

« par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et l’étranger portant sur des fonds qu’ils savaient provenir, directement ou indirectement, d’un délit douanier […] ou portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, ou d’une infraction à la législation sur les stupéfiants ».

Afin de faciliter la caractérisation de ces délits, le législateur a créé, pour le blanchiment et le blanchiment douanier, des présomptions réfragables d’origine illicite, respectivement prévues par les articles 324-1-1 du Code pénal [1] et 415-1 du Code des douanes [2]. Elles sont parfois dénommées « présomptions de blanchiment », ce qui constitue un abus de langage autant qu’une erreur juridique dans la mesure où elles n’affectent pas la constitution du délit lui-même mais uniquement la caractérisation de sa condition préalable, en procédant, comme l’a écrit la chambre criminelle de la Cour de cassation, à « un renversement partiel de la charge de la preuve de l’infraction concernant l’origine illicite des fonds » [3].

Aux termes de l’article 324-1-1 du Code pénal, pour l’application du délit de blanchiment,

« les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».

Aux termes de l’article 415-1 du Code des douanes, pour l’application du délit de blanchiment douanier, les fonds ou actifs numériques [4]

« sont présumés être le produit direct ou indirect de l’une des infractions mentionnées à l’article 415 du présent code lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert, de compensation, de transport ou de collecte ne paraissent obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds ou les actifs numériques […] ont une telle origine ».

L’application des présomptions conduit à ce que la juridiction ne soit « pas tenue d’identifier ni a fortiori de caractériser » l’infraction d’origine [5] sous réserve toutefois de ce qui sera exposé plus loin s’agissant du blanchiment douanier.

Condamné à la fois pour blanchiment et blanchiment douanier par la cour d’appel, l’individu trouvé en possession de la somme de 176 750 euros se pourvoit en cassation.

Parmi les griefs formulés à l’encontre de l’arrêt attaqué, il reproche d’une part à la cour d’appel d’avoir retenu les deux types de blanchiment douanier au mépris du principe ne bis in idem dont il résulte notamment que le cumul de qualifications est prohibé lorsqu’une qualification dite spéciale, qui serait en l’espèce le blanchiment douanier, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction [6], qui serait en l’espèce l’infraction de blanchiment du Code pénal. Il fait d’autre part grief à la cour d’appel d’avoir fait un usage impropre de la présomption de blanchiment douanier qui concerne trois catégories d’infractions d’origine uniquement.

En premier lieu, la chambre criminelle de la Cour de cassation écarte de manière lapidaire l’argument tiré de la prétendue double déclaration de culpabilité pour les mêmes faits. Selon elle, les deux qualifications de blanchiment résultent « de la mise en œuvre d’un système intégrant l’action pénale, d’une part, et l’action douanière, d’autre part, laquelle poursuit l’application de sanctions fiscales et non de peines, permettant au juge pénal de réprimer un même fait sous ses deux aspects ». Cette solution en matière de cumul entre des infractions de droit commun et des infractions douanières n’est pas nouvelle [7].

De même qu’avait déjà été posée la règle selon laquelle « le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » [8].

En second lieu, la Haute juridiction casse en revanche l’arrêt sur la caractérisation du blanchiment douanier. En effet, ce type de blanchiment ne s’applique qu’aux opérations portant sur des fonds provenant de l’une des trois catégories suivantes : les délits douaniers, les délits d’atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne et les infractions à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants.

Dès lors, la présomption de l’article 415-1 du Code des douanes s’applique, selon la chambre criminelle, lorsque « les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération […] ne paraissent pas obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds était le produit » d’une de ces trois catégories d’infractions. Or, la cour d’appel s’était bornée à relever les éléments permettant de présumer que les fonds étaient d’origine illicite avant de constater l’incapacité du prévenu à en établir l’origine licite.

L’arrêt commenté illustre le caractère très partiel du renversement de la charge de la
preuve opérée par la présomption. En effet, dès lors que la juridiction doit exposer en quoi les éléments du dossier permettent de considérer que la raison envisageable de l’opération est de dissimuler le produit d’une des infractions susmentionnées, la frontière semble mince entre la démonstration par les juges de la présomption et la démonstration du blanchiment lui-même. L’intérêt d’y avoir recours s’en trouve limité et le respect de la présomption d’innocence renforcé.

La présomption de l’article 324-1-1 du Code pénal relatif au blanchiment de droit commun apparaît quant à elle se distinguer plus clairement du blanchiment lui-même dans la mesure où elle n’impose pas de rattachement à une infraction précise ou à une catégorie d’infractions déterminée. Il suffit que les conditions de l’opération ne puissent avoir d’autre justification que de dissimuler soit l’origine, soit le bénéficiaire effectif des biens. Si l’utilité de la présomption est donc indéniable, dans la mesure où la caractérisation du blanchiment nécessite de démontrer l’origine des biens blanchis, et donc l’infraction sous-jacente [9], la pratique démontre que le recours à l’article 324-1-1 du Code pénal est parfois abusivement utilisé pour pallier une incapacité du ministère public à démontrer le blanchiment. Or, les conditions posées sont plus strictes qu’il n’y paraît.

En effet, l’article 324-1-1 du Code pénal est issu d’une loi relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Elle a été conçue pour les hypothèses « où les circuits financiers sont inutilement complexes ou sans rationalité économique » [10] et ne sont donc « qu’un moyen d’éviter la traçabilité des flux et d’en dissimuler l’origine » [11]. La circulaire d’application ajoute que « la charge de la preuve est ainsi renversée, permettant de présumer l’origine illicite de biens ou de revenus, dès lors que les conditions de réalisation de l’opération ne répondent à aucune justification économique ou patrimoniale » [12]. En outre, la formulation de la présomption suppose qu’il suffit de trouver une autre justification possible à l’opération que celle de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif des biens ou revenus pour écarter l’application de la présomption.

Lorsqu’elle s’applique, la justification avancée devra être concrètement démontrée.

Enfin, l’arrêt commenté précise que dès lors que les fonds transportés ne sont pas le produit de l’infraction de transfert de capitaux sans déclaration en violation de l’article L152-1 du Code monétaire et financier, cette infraction ne peut faire office d’infraction d’origine pour la caractérisation du blanchiment. La solution inverse aurait consisté à admettre que l’infraction d’origine peut être concomitante à l’infraction de conséquence.

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [->contact@matthieuhy.com]

[1Créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

[2Créé par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

[3Crim., 26 janvier 2022, 21-84.228.

[4Mentionnés à l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier.

[5Pour le blanchiment : Crim., 18 décembre 2019, 19-82.496 ; Chambre criminelle, Crim., 15 septembre 2021, 21-81.308 ; pour le blanchiment douanier : Crim., 20 mars 2019, 17-85.664.

[6Crim., 15 décembre 2021, n°21-81.864.

[7Par exemple, Crim., 11 juillet 2017, n°16-81.797.

[8Idem.

[9Cela n’inclut toutefois pas que soient connus les auteurs de l’infraction principale ni déterminées les circonstances de la commission de l’infraction : Crim., 18 mars 2020, n°18-86.491.

[10Rapport n° 1348 et 1349 de la commission des lois sur la loi n°2013-1117 du 6 déc. 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, page 24.

[11Circulaire du 23 janvier 2014 relative à la présentation de la loi n° 2013-1117 en date du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, page 6.

[12Idem.