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Victime directe décédée d’actes de terrorisme et indemnisation par la JIVAT. Par Elsa Crozatier, Avocate.
Parution : mardi 26 mars 2024
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Par décision du 6 octobre 2022, la juridiction chargée de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT) a intégralement fait droit aux demandes formulées par la famille d’une victime d’actes de terrorisme décédée, malgré l’opposition du Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme (FGTI).

Par décision du 6 octobre 2022, la JIVAT a ainsi rappelé au FGTI la jurisprudence à savoir :

Bref rappel des faits.

Le 3 juin 2017, vers 22h, une camionnette conduite par des terroristes fonçait sur le trottoir du pont London Bridge et heurtait violemment de nombreux passants. L’une d’elles, un ressortissant français venu passer le week-end avec sa compagne à Londres, était projeté sur la balustrade du pont, chutait de plus de 13 mètres de hauteur dans la Tamise. Son corps sans vie n’était découvert que 3 jours après.

La famille du défunt demandait au FGTI l’indemnisation de la victime directe notamment de des 2 préjudices, PAMI et du PESVT, mais également l’indemnisation de leur préjudice d’affection en plus de leurs préjudices propres.

Concernant le préjudice d’angoisse de mort imminente (PAMI) et le préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme (PESVT).

En droit : les héritiers peuvent solliciter l’indemnisation des préjudices subis par la victime directe avant son décès au titre de l’action successorale.

C’est en application de ce principe que dans cette affaire, les enfants du défunt sollicitaient notamment l’indemnisation du PAMI, considérant qu’avant sa mort, la victime avait eu conscience de son imminence.

En effet, selon les médecins légistes, la victime n’est pas décédée immédiatement après avoir été percutée par le véhicule mais, « immédiatement ou presque immédiatement en entrant dans l’eau ».

Ainsi, il s’est nécessairement écoulé un laps de temps entre le moment où le véhicule a heurté la victime et son décès, à savoir :

Ainsi, la victime a eu le temps de prendre conscience de la gravité de la situation et des suites qui allaient s’ensuivre : la peur de la mort, la peur de laisser ses proches (ses enfants, ses parents, sa compagne, ses amis…).

Le FGTI s’opposait sur le principe à cette demande au motif que preuve de l’existence d’un préjudice d’angoisse de mort imminente n’est pas rapportée, le décès ayant eu lieu de façon quasi instantanée.

La JIVAT a repris le raisonnement des demandeurs considérant :

« Il ressort de ces éléments que X a été très violemment percuté et immédiatement projeté au-dessus du parapet et qu’il a effectué une chute de 13 mètres pendant une à deux secondes avant le choc dans la Tamise. Si effectivement il s’agit d’un laps de temps très court il n’en demeure pas moins que l’extrême violence du choc a été ressentie par la victime et qu’au cours de sa chute il a eu conscience, même brièvement, qu’il allait à la mort ».

Il est ainsi rappelé, confirmant la jurisprudence de la Cour de cassation, que ce préjudice doit être indemnisé même s’il n’a duré qu’un temps bref.

Les demandeurs sollicitaient également l’indemnisation du défunt au titre du PESVT, ce à quoi s’opposait également le FGTI pour les mêmes raisons.

C’est par une décision claire que la JIVAT décide :

« Ces faits à la dimension nationale et même internationale ont causé à X un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi et aux motivations de ses auteurs et ce indépendamment de la durée de survie de la victime ».

Il est ainsi rappelé que l’indemnisation du PESVT est lié à la particularité de l’acte infractionnel et doit être indemnisé, quel que soit la durée de la survie de la victime.

Concernant le préjudice d’affection.

Dans cette affaire, les demandeurs sollicitaient l’indemnisation de leur préjudice d’affection en plus de leurs préjudices propres, ces derniers ayant été évalués lors d’une expertise amiable contradictoire organisée par le FGTI.

Le préjudice d’affection répare le préjudice que subissent les proches à la suite du décès de la victime directe. Il correspond à ce que l’on peut appeler le préjudice moral ; il est distinct des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent, comme rappelé régulièrement par la Cour de Cassation [2].

Le préjudice d’affection est un préjudice de la victime par ricochet et la victime par ricochet peut également subir elle-même un dommage, généralement un deuil dit pathologique, entrainant de multiples préjudices propres, faisant d’elle une victime directe.

En l’espèce, il n’y avait donc pas de contestation possible quant au cumul des postes de préjudices, à la fois en tant que victime par ricochet, et en tant que victime directe, ce à quoi s’opposait pourtant de manière parfaitement infondée le FTGI.

Par une formule sans appel, la JIVAT fait droit à la demande des requérants, rappelant que :

« Ce préjudice indemnise le préjudice moral tiré de la douleur que cause la souffrance d’un proche en raison de ses blessures ou de son handicap ou en raison de son décès et ce à titre définitif ».

On peut espérer qu’à l’avenir, le FGTI ne s’opposera plus aux demandes parfaitement légitimes des victimes d’actes de terrorisme et appliquera purement et simplement le droit.

Elsa Crozatier, Avocate à la Cour, droit du dommage corporel Barreau de Paris www.crozatier-avocats.com

[1Notamment Cass. Civ 2ᵉ, 20 octobre 2016, n°14-28.866 (3ème espèce) ; Crim, 27 septembre 2016, n° de pourvoi : 15-84238.

[2Notamment Crim 23 mars 2017, n°16-13.350 ; Civ 2ᵉ, 18 janvier 2018, n° 16-28392 ; Cass. crim., 2 avr. 2019, n° 18-81917.