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Déplacements et temps de travail effectif : nouvelles précisions. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 25 mars 2024
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Deux arrêts récents (Cass. soc. 7-2-2024, n° 22-22.335 ; Cass. soc. 6-3-2024, n° 22-11.708) éclairent le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 23 novembre 2022, au sujet des déplacements professionnels et du temps de travail effectif.

1/ Les règles applicables à l’indemnisation des temps de déplacement professionnel.

Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif [1].

Le texte précise que s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière.

La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail ne doit alors entraîner aucune perte de salaire.

Pour les salariés itinérants (chauffeurs, commerciaux, techniciens de maintenance, etc.), qui n’ont pas de lieu de travail habituel, la question se pose de savoir ce qu’il faut entendre par « temps normal de trajet ».

Pour la Cour de cassation [2], le « temps normal de trajet » se détermine par référence à celui d’un travailleur type se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel.

Un arrêt du 7 mai 2008 avait précisé que le temps normal de trajet s’apprécie « dans la région concernée » [3].

Dans une décision plus récente [4], la Cour de cassation avait indiqué que, pour les salariés itinérants, le temps de déplacement quotidien entre le domicile et les sites du premier et du dernier client doit faire l’objet d’une contrepartie quand il dépasse un « trajet normal » [5].

Depuis un arrêt important [6], la Cour de cassation considère désormais (revirement de jurisprudence) que lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif, le régime des temps de déplacement doit être écarté.

Dans cette affaire, un attaché commercial devait, en conduisant pendant ses déplacements, grâce à un kit main libre dans son véhicule, fixer des rendez-vous, appeler et répondre à ses divers interlocuteurs (clients, directeur commercial, assistantes et techniciens).

Ce salarié itinérant ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès de ses clients répartis sur 7 départements éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à la fin d’une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d’hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.

La Cour de cassation a alors posé pour principe que :

- « eu égard à l’obligation d’interprétation des articles L3121-1 et L3121-4 du Code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE, il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu’elle est fixée par l’article L3121-1 du Code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L3121-4 du même code ».

2/ Les arrêts postérieurs au revirement de la Cour de cassation.

Dans l’arrêt du 7 février 2024 [7], un salarié (technicien installateur de luminaires) sollicitait un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires.

Son contrat prévoyait qu’il devait accomplir son activité sur les lieux d’exécution des contrats souscrits par la société dans la zone géographique qui lui était impartie, et qu’il disposait d’une latitude pour planifier son travail au regard des exigences d’organisation demandées par la clientèle.

Pour ce salarié, tous ses temps de déplacement constituaient du temps de travail effectif et devaient être rémunérés comme tel.

La cour d’appel [8] avait rejeté sa demande, relevant que « les temps de trajet étaient pris en compte de manière séparée et rémunérés ».

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation, selon laquelle la demande du salarié ne pouvait pas être rejetée par la Cour d’appel, sans vérifier si, pendant les temps de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, l’intéressé ne se tenait pas à la disposition de l’employeur et ne se conformait pas à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

En conclusion, le juge du fond doit vérifier si les temps de déplacements constituent ou non du temps de travail effectif au sens de l’article L3121-1 du Code du travail :

« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

Dans l’arrêt du 6 mars 2024 [9], la Cour de cassation censure une Cour d’appel [10] ayant assimilé à du temps de travail effectif les temps de déplacement pendant lesquels un salarié devait rester joignable :

En conclusion, le seul fait de rester joignable pendant un déplacement ne peut être assimilé à du temps de travail effectif.

Xavier Berjot Avocat Associé au barreau de Paris Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. trav. art. L3121-4, al. 1er.

[2Cass. soc. 22-6-2011, n° 10-12.920.

[3Cass. soc. 7-5-2008, n° 07-42.702.

[4Cass. soc. 30-5-2018, n° 16-20.634.

[5Cass. soc. 30-5-2018, n° 16-20.634.

[6Cass. soc. 23-11-2022, n° 20-21.924.

[7n° 22-22.335.

[8CA Rouen, 1-9-2022, n° 20/03195.

[9n° 22-11.708.

[10CA Bourges, 10-12-2021, n° 20/01090.