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Garantie décennale et responsabilité contractuelle des constructeurs : revirement jurisprudentiel majeur en droit immobilier ! Par Mathilde Block, Avocate.
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Parution : lundi 25 mars 2024
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Depuis l’arrêt rendu le 21 mars 2024 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, l’élément d’équipement installé en remplacement ou par ajout sur un ouvrage existant, et qui ne constitue pas en lui-même un ouvrage, ne relève ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quelle que soit l’importance des désordres résultant de l’élément d’équipement.
La Cour de cassation renonce à sa jurisprudence établie depuis 2017 et décide que les désordres affectant cet élément relèvent désormais de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs. Il s’agit d’un bouleversement majeur en droit immobilier.
L’arrêt rendu le 21 mars 2024 (Cass, Civ. 3ᵉ, 21 mars 2024, n°22-18.694) par la troisième chambre civile de la Cour de cassation représente un bouleversement majeur en droit immobilier.
Explications.
Deux époux confient à une société le soin d’installer un insert au sein de la cheminée - déjà construite - dans leur maison.
Quelque temps après survient un dramatique incendie, ravageant l’intégralité de la maison et du mobilier la garnissant.
Estimant que le sinistre était imputable à l’installation de l’insert dans la chemine, les époux ont assigné la société et son assureur aux fins d’indemnisation de leur entier préjudice.
Faisant ainsi application de la jurisprudence établie par la Cour de cassation depuis 2017, la cour d’appel estime que les travaux de pose de l’insert ont rendu l’immeuble impropre à sa destination dans son ensemble. Elle condamne par conséquent la société et son assureur à indemniser les époux de leur entier préjudice (correspondant à la valeur de reconstruction de leur maison) sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.
Cassation de l’arrêt et revirement de jurisprudence majeur opéré par la Haute Juridiction.
Avant de casser l’arrêt d’appel, la Cour de cassation procède à un rappel historique de sa propre jurisprudence établie jusqu’alors.
Elle explique que depuis sa propre décision du 15 juin 2017, les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur l’existant, relevaient de la garantie décennale du constructeur dès lors qu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination [1].
Cette jurisprudence établie par la Cour de cassation avait vocation :
Dans son arrêt du 21 mars 2024, la Cour de cassation reconnaît néanmoins que ces objectifs n’ont pas été atteints, notamment parce que les installateurs d’éléments d’équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu’auparavant à cette assurance obligatoire des constructeurs.
La Haute Juridiction renonce ainsi à sa jurisprudence établie depuis 2017 et opère un revirement majeur en droit immobilier.
Désormais, les éléments d’équipement installés en remplacement ou par ajout sur un ouvrage existant, qui ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil, ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quelle que soit l’importance des désordres résultant de ces éléments d’équipement.
Ces désordres relèvent dorénavant de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.
La Cour de cassation précise que cette nouvelle jurisprudence s’applique dès l’instance en cours, et renvoie par conséquent les parties en appel pour réviser le fondement juridique de la condamnation prononcée à l’encontre de la société.
Cette jurisprudence constitue un véritable tremblement de terre en droit immobilier, et plus précisément en droit de la construction.
De prime abord, l’abandon de la garantie décennale au profit de la responsabilité contractuelle de droit commun peut apparaître sévère pour les maîtres de l’ouvrage : cet abandon l’est en réalité moins qu’il n’y paraît.
En effet, l’autonomie de la responsabilité contractuelle de droit commun peut s’analyser en un véritable atout dès lors que le maître de l’ouvrage parvient à démontrer une faute de l’entrepreneur : sa responsabilité est susceptible d’être engagée et il peut être condamné à indemniser le maître de l’ouvrage sans que celui-ci n’ait à faire intervenir l’assurance à la cause.
Cette autonomie ne constitue néanmoins un atout que si l’entrepreneur est solvable.
En effet, la responsabilité contractuelle de droit commun ne résout pas la difficulté tenant à l’insolvabilité de l’entrepreneur fautif - difficulté qui préexistait sous l’empire de la jurisprudence de 2017 lorsque l’entrepreneur n’avait pas souscrit l’assurance obligatoire des constructeurs.
En conclusion :
L’accompagnement juridique des professionnels et des particuliers dès le stade de la conception est plus que jamais essentiel pour sécuriser le projet et limiter le risque de recours ultérieurs.
Mathilde Block Avocate Barreau de Paris Droit immobilier (notamment d’entreprise) et droit des affaires Conseil & Contentieux https://www.linkedin.com/in/mathilde-block-a7317712a/[1] Cf. Cass, Civ. 3ᵉ, 15 juin 2017, n°16-19.640.
Que le poêle à bois ne soit pas couvert par une garantie décennale systématique, cela pouvait déjà être le cas si l’absence de ce bien ne remettait pas en cause l’habitabilité du bien.
Comme le précise le site service-public.fr, « L’assurance décennale des constructeurs couvre les dommages touchant les éléments suivants :
Ouvrages…
Éléments d’équipement indissociables du bâtiment (canalisation, plafond, plancher, chauffage central, huisseries, installation électrique encastrée...). »
Le dysfonctionnement d’une installation électrique ou d’un chauffe-eau peut présenter un danger et dans tous les cas remet en cause l’habitabilité du bien. Ce bien d’équipement est donc censé toujours être couvert par une assurance décennale.
Qu’en pensez-vous ?
Bonjour,
Effectivement, au visa de la jurisprudence établie par la Cour de cassation le 15 juin 2017, les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou rajoutés, relevAIENT de la garantie décennale du constructeur dès lors qu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination - le critère majeur était donc celui de la gravité de l’atteinte portée au bien.
Ce critère est justement abandonné par la décision rendue par la Haute Juridiction le 21 mars dernier : désormais, les éléments d’équipement, qui ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil, ne relèvent plus de la garantie décennale , même s’ils remettent en cause l’habitabilité du bien !
A partir de maintenant, les désordres en résultant ne sont couverts que par la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs.
Cette nouvelle jurisprudence a vocation à s’appliquer à un chauffe-eau ou à une installation électrique dès lors que ces équipements ne constituent pas des ouvrages, même si leurs défauts entraînent la destruction de la maison.
Il reste encore plusieurs points à préciser, notamment la notion d’ouvrage à laquelle la Cour de cassation renvoie (elle vise à mon sens les éléments d’équipements dont l’importance est telle qu’ils sont assimilables à du gros oeuvre, mais il est possible que l’appréciation se fasse au cas par cas). Il convient de rester attentif aux commentaires et aux décisions qui suivront celle-ci.
Espérant avoir répondu à votre interrogation,
Bien à vous,
Maître Mathilde BLOCK.
Ce revirement de la jurisprudence de la cour de cassation était espéré par la doctrine et met fin à la dérive de protection du consommateur par la haute cour.
En revenant à la lettre du texte initial, les juristes seront plus à même de conseiller utilement les consommateurs.