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Le statut de consommateur en droit ivoirien. Par Tiemoko Dosso.
Parution : mercredi 27 mars 2024
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Dans cet article, il est mis en évidence les imperfections du critère d’attribution du statut de consommateur en droit ivoirien et les perspectives d’amélioration de ce critère.

Introduction.

La loi ivoirienne sur la consommation dispose en son article premier que le statut de consommateur personne vulnérable peut-être concédé à toute personne qui reçoit, achète ou offre d’acheter des technologies, des biens ou services à des fins de non-revente ou autre que l’utilisation à des fins de productions, distributions ou fourniture. En le faisant, le législateur ivoirien accorderait le statut de consommateur à toute catégorie de personnes dans la mesure où ces derniers achètent des technologies, des biens ou services à des fins d’utilisations personnelles ?

Se confinant dans les dispositions de l’article précité, toute personne pourrait bénéficier du statut de consommateur personne vulnérable face au professionnel, dès l’instant où ces derniers achètent à des fins privées. Mais serait-ce à dire que toutes les personnes qui contractent à des fins privées sont-elles nécessairement en situation d’infériorité face au professionnel ? Autrement dit, le critère d’attribution du statut de consommateur en droit ivoirien n’a-t-il pas des imperfections et donc une source de problème en raison de son attachement à l’acte de consommation ?

En effet, cette question mérite des réflexions approfondies, car le critère de l’acte de consommation ne pourrait à lui seul suffire à caractériser la vulnérabilité du consommateur et c’est cette conception du statut de consommateur par le législateur ivoirien qui serait à la base de l’injustice que nous entendons mettre en relief dans notre étude.

I - Un critère d’attribution trop concentré sur l’acte de consommation.

À l’analyse de l’article 1 de la loi ivoirienne sur la consommation, le législateur ivoirien semble dans un premier temps s’attarder sur l’objet de l’acte de consommation (A) et dans un second temps sur la finalité poursuivie par le consommateur, mais sans pour autant porter une attention particulière sur l’état de vulnérabilité de celui-ci face au professionnel (B).

A- Un critère concentré sur la finalité de l’acte.

Disons que depuis sa création aux Etats-Unis jusqu’à son extension à toute l’Europe, la plus grande entorse au droit de la consommation réside dans le critère de définition, autrement dit sur la question de savoir : à qui faut-il faire bénéficier la législation consumériste ? Au regard de l’inertie et de l’inefficacité des législations consuméristes quant au critère d’identification du statut de consommateur, la doctrine consumériste s’est donné cette tâche fastidieuse de recherche du critère permettant de caractériser le consommateur vulnérable.

La première tendance doctrinale émane des tenants de la conception stricte et de la conception extensive de la notion de consommateur. Les tenants de la conception stricte abordent la notion de consommateur sous l’angle de sa définition économique. Le consommateur serait alors la personne qui, pour ses besoins personnels, non-professionnels, devient partie à un contrat de fourniture de biens ou de services. Autrement dit, le consommateur serait le dernier agent économique dans le cycle économique, achetant pour ses besoins domestiques.

A l’opposé, nous avons les tenants de la conception extensive de la notion de consommateur. Selon cette doctrine consumériste, il existerait certaines catégories de professionnels qui devraient bénéficier des règles consuméristes en raison de leur situation de vulnérabilité dans certains domaines n’ayant aucun rapport avec leurs domaines de spécialités. Selon un auteur : « Une définition stricte évinçait nécessairement certains contractants. La jurisprudence a donc pu manifester une certaine intention d’ouvrir la notion dans le but de protéger certains professionnels.
C’est que ceux-ci étaient placés dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur, agissant en dehors de leur champ de compétence ».

En Côte d’Ivoire, le législateur ivoirien, semble opter pour cette conception stricte de la notion de consommateur. En effet, si l’on se base sur la législation consumériste ivoirienne, l’attribution du statut de consommateur est un critère finaliste, c’est-à-dire un critère qui repose sur l’intention finale du consommateur. Cela se justifie au travers des dispositions de l’article premier alinéa 1 et 2 de la loi ivoirienne relative à la consommation qui soutient qu’est consommateur : « Toute personne qui : achète ou offre d’acheter des technologies, des biens ou services pour des raisons autres que la revente ou l’utilisation à des fins de production, de fabrication, de fourniture de technologies ou de prestations de services ; reçoit ou utilise des technologies, des biens ou services pour lesquels il y a déjà eu un paiement ou une promesse de paiement, ou tout autre système de paiement différé. Cette définition inclut tout utilisateur de technologies, de biens et services autres que la personne qui les achète ou en paie le prix lorsque cette utilisation est approuvée par l’acheteur ».

Ce critère, axé sur la finalité de l’acte de consommation, prendrait en compte deux catégories de consommateur, à savoir les consommateurs cocontractants du professionnel et les consommateurs simples utilisateur final du bien ou service. La première catégorie de consommateur est définie par l’article premier, en son alinéa 1.

Selon cet article, le consommateur est celui qui contracte dans un but de non-revente, en d’autres termes le cocontractant qui achète un bien ou service à des fins d’utilisation personnelle. Quant à la deuxième catégorie, elle fait référence au consommateur utilisateur final du bien ou service.

Le critère finaliste de l’acte de consommation retenu par le législateur est pour notre part lacunaire, en ce sens qu’elle crée d’énormes incertitudes autour de la question de la vulnérabilité du consommateur. En effet, lorsque le législateur ivoirien reconnaît au travers de l’article précité, le statut de consommateur à toute personne, il ne se soucie pas du fait qu’il pourrait exister en pratique des individus, qui en dépit du fait qu’ils contractent dans une intention de non-revente, ne sont pas en réelle situation de vulnérabilité informationnelle face au professionnel. Cette entorse, qui met la législation consumériste ivoirienne dans une posture de malaise, a été dénoncée par un auteur ivoirien qui disait que : « Ce postulat s’est avéré inexact, d’abord parce que l’approche de la qualité de consommateur (…) n’a toujours pas reflété la réalité de leur rapport, il convient alors de remettre en cause cette approche. Ceci parce que la notion même de vulnérabilité qui mettrait le consommateur dans une position irréfragablement faible et le professionnel dans une position irréfragablement puissante, n’est pas exact, du moins discutable ». Nous pensons qu’en le faisant, le législateur ivoirien semble fixer le critère d’identification du consommateur, en réalité non pas sur la situation de vulnérabilité du consommateur, mais plutôt sur la finalité poursuivie par le consommateur. La lacunarité du critère d’identification du consommateur n’est pas essentiellement justifiée par le fait qu’il est concentré sur la finalité de l’acte de consommation, mais également par sa concentration sur l’objet de l’acte de consommation.

B- Un critère concentré sur l’objet de l’acte.

Le critère axé sur la finalité de l’acte de consommation n’est pas le seul critère utilisé par le législateur ivoirien pour identifier le consommateur vulnérable. Ce dernier fait l’exposé des biens et services censés identifier la situation de vulnérabilité du consommateur. Comme nous venons de le citer, le caractère lacunaire du critère de caractérisation du consommateur vulnérable est également justifié par son attachement à l’objet de l’acte de consommation. Que faut-il entendre par objet de l’acte de consommation ?

Il faudrait entendre, dans notre cas d’espèce par objet d’acte de consommation, l’ensemble des biens et services pouvant faire objet d’acte de consommation.

Suivant l’article 1 de la loi relative à la consommation, le législateur ivoirien fait l’exposé d’une panoplie de biens et de services qui peuvent faire l’objet d’acte de consommation. L’emploi des termes « technologies », « biens » et « services » établit que l’acte de consommation couvre un domaine large et varié du droit de la consommation. Par ailleurs, tous les biens et services peuvent-ils faire objet de consommation ?

Kablan sylvain Georges est plus précis lorsque explique que : « Pour acquérir la qualité de consommateur, la personne physique ou morale doit remplir le critère fondé sur l’acte de consommation, dans sa finalité, c’est-à-dire l’usage non professionnel auquel est destiné l’objet de l’acte ».

Appréciant toujours les dispositions de l’article précité, pour le législateur ivoirien, tous les biens et services peuvent faire l’objet d’acte de consommation. Les biens achetés ou utilisés sont de diverse nature en ce sens qu’ils peuvent être des biens consomptibles, tout comme des biens non-consomptibles. L’acte de consommation peut également porter sur des biens meubles et immobiliers. Concernant les services, le législateur ivoirien autorise toutes les prestations fournies. Pour le professeur Jean Calais-Auloy : « Tous les biens peuvent être objet d’acte de consommations dès lors qu’ils sont acquis ou utilisés dans un but non professionnel. Il ne faut pas réduire la consommation aux choses consomptibles, c’est-à-dire aux biens meubles durables (la voiture, les appareils domestiques) et des immeubles (le logement) sont des objets de consommation. Certains biens immatériels (les œuvres de l’esprit) peuvent même devenir objet de consommation ». En dépit du fait qu’il paraisse important, voir même indispensable pour le législateur ivoirien de mettre en relief l’ensemble des biens et services censés entrer dans le champ de l’acte de consommation, ce dernier devrait plutôt plus s’attarder sur la situation de vulnérabilité du consommateur, en mettant en place des critères plus apparents permettant de mieux identifier ce dernier. Une négligence de la part du législateur, aussi minime que soit-elle, pourrait à notre avis causer une immense ombre d’incompréhension et d’ambiguïté autour du statut de consommateur.

Nous estimons que le législateur ne devrait pas se limiter qu’à une simple exposition de biens et de services pour accorder la qualité de consommateur. Le critère de caractérisation du consommateur vulnérable est trop concentré sur l’objet de l’acte de consommation, ce qui rend malheureusement le régime de protection du consommateur générale et abstrait en raison du critère de vulnérabilité qui est essentiellement attaché à l’acte de consommation, notamment l’objet et la finalité de l’acte de consommation, qui par ricochet ne porte pas véritablement un regard plus concret et réel sur la situation de vulnérabilité du consommateur.

Cette posture, retenue par le législateur ivoirien, qui met le consumérisme juridique ivoirien dans une situation de malaise, ne date pas de l’histoire du droit ivoirien de la consommation, mais de celui du droit de la consommation en général. Le choix d’un tel critère d’identification du statut de consommateur est une véritable source de problème pour le droit ivoirien de la consommation.

II - Un critère d’attribution problématique.

Comme nous l’avons précédemment mentionné, le législateur attache le critère d’attribution du statut de consommateur sur l’acte de consommation. Ce choix du critère de vulnérabilité est pour notre part très incohérent et problématique en ce sens que certains individus, bien qu’achetant le bien ou service à des fins de non-revente, se voit bénéficier des dispositions protectrices de la loi ivoirienne sur la consommation en dépit du fait que ce dernier ne soit pas en réelle situation de vulnérabilité (A).

En appréciant également l’article 1 de la loi ivoirienne sur la consommation, précisément en son alinéa 3 qui dispose que le professionnel serait toute personne qui reçoit, achète ou offre d’acheter un bien, un service ou une technologie, pour sa revente, son utilisation aux fins de production, de fabrication ou de fourniture d’autres biens, services ou technologies. L’on s’aperçoit également que certain consommateur que nous qualifions « de consommateur revendeur occasionnel », sont écartés des bénéfices de la loi ivoirienne sur la consommation nonobstant leur situation de vulnérabilité qui semble être bien affirmée (B).

A- Une source de surprotection illégitime du consommateur averti.

Il existe une certaine catégorie de personnes que la présente loi sur la consommation protège injustement, en les qualifiant de consommateur en raison du fait qu’ils sont aguerris au même titre que le professionnel et parfois même plus aguerris, parce qu’ils agissent dans leur domaine de compétence (1), raison pour laquelle nous suggérons une clarification de la notion de consommation. (2)

1- Un consommateur agissant dans son domaine de spécialité.

Se confinant dans les dispositions de l’article 1 de la loi ivoirienne sur la consommation, toute personne qui achète ou reçoit des technologies, des biens et services pour des raisons autres que la revente, est considérée comme consommateur vulnérable. Pourtant, il existe bien évidemment certains professionnels qui contractent à des fins de non-revente, mais dans un domaine dont il dispose d’une certaine connaissance avancée au même titre que le professionnel : le consommateur averti. Mais que revêt concrètement la notion de consommateur averti ? Notons par ailleurs que la notion de consommateur averti était quasi-inexistante dans la doctrine consumériste puisque la protection du consommateur tournait autour d’une philosophie : « les consommateurs sont naturellement en position de faiblesse vis-à-vis des professionnels ». Kablan Sylvain Georges en donne plus de précisions lorsqu’il affirme que la protection du consommateur part du postulat d’un déséquilibre contractuel entre le consommateur, irréfragablement faible et le professionnel irréfragablement puissant.

Mais ce postulat selon lequel le professionnel est irréfragablement puissant vis-à-vis du consommateur a très vite été remis en cause, car tous les consommateurs ne sont pas nécessairement en situation de vulnérabilité. Pour le doyen G. Ripert, « la protection générale et abstraite de certains contractant n’a, quoiqu’on en dise, aucun rapport avec le respect de la volonté telle que le Code civil la concevait (…). Cette politique sans doute se réclame de la justice, mais c’est une justice abstraite : elle ne tient pas compte des situations individuelles ;(…) l’intervention légale a sacrifié le principe d’égalité devant la loi, sans avouer que certaines catégories de personnes étaient ainsi privilégiées ». À entendre Kablan Sylvain Georges, le consommateur averti se décline en deux catégories. D’une part le consommateur-professionnel qui achète un bien ou service pour des besoins personnels, mais sauf que l’achat est effectué dans un domaine qui relève de sa compétence. Et d’autre part le consommateur-sachant qui achète dans un domaine, bien entendu qui ne relève pas de son domaine de compétence, mais dans un domaine dont il dispose d’une certaine connaissance, suffisant à faire face au professionnel. Ainsi, la loi ivoirienne sur la consommation protège illégitimement certains consommateurs qui ne sont pas en situation de vulnérabilité dans le rapport contractuel qu’ils entretiennent avec le professionnel.

Pour être plus pragmatique, prenons l’exemple d’un mécanicien qui achète une automobile ou un notaire qui achète un terrain à des fins de non-revente. L’exemple d’un banquier qui sollicite l’octroi d’un crédit de consommation ou encore d’un informaticien qui achète du matériel informatique à des fins personnelles. Il apparaît alors en toute évidence que le consommateur n’est pas toujours cet être vulnérable qui mérite toujours d’être protégé. Par conséquent, cette protection illégitime est une source d’insécurité pour le professionnel, envers son cocontractant, de multiples obligations contractuelles exorbitantes du régime de droit commun. L’insécurité du professionnel est justifiée par le fait qu’il a une obligation d’information dont le non-respect est sanctionné rigoureusement et de reconnaître un droit de rétractation à un consommateur qui n’est pas en réelle situation de vulnérabilité et parfois même plus professionnel que lui. En effet, la présente loi ivoirienne sur la consommation, en son article 3 reconnaît une obligation précontractuelle d’information au consommateur vis-à-vis du professionnel. Nous pensons que reconnaître une telle obligation d’information, est fondé en raison de la vulnérabilité du consommateur.

Cependant, il ne faudrait tout de même pas que cette obligation puisse nuire au professionnel qui se trouverait en situation d’insécurité face à certains consommateurs plus professionnels que lui. Cette surprotection illégitime du consommateur-professionnel par la législation consumériste ivoirienne pourrait également être une véritable source d’insécurité dans la mesure où ce dernier dispose de la même faculté de rétractation que le consommateur ordinaire. Une clarification sur le critère de définition du consommateur retenu par la loi ivoirienne sur la consommation s’avère donc nécessaire.

2- La nécessité d’une clarification du critère d’attribution du statut de consommateur.

Le législateur ivoirien, en soutenant au travers de l’article 1 de la loi ivoirienne sur la consommation que toute personne qui contracte dans un but de non-revente attache le critère de qualification du consommateur, essentiellement sur l’acte de consommation. Ce qui pose, comme nous l’avons susmentionné, une entorse à la loi ivoirienne sur la consommation.

Malheureusement, cette tendance de la législation consumériste à protéger certains individus n’étant pas en situation de vulnérabilité, n’a presque pas encore été soulevée par la doctrine consumériste ivoirienne. En dépit du fait que le problème paraisse un peu plus alarmant. Cette quasi-absence est dans un premier justifié par le caractère récent de notre législation consumériste et dans un second temps par l’absence de spécialiste en droit économique. Néanmoins, un auteur a pu dire, à titre de proposition : « cette protection renforcée doit être relativisée pour éviter les excès d’un interventionnisme législatif qui vire au forçage du contrat, d’autant plus que la base de cette protection est discutable ».

Pour notre part, nous pensons que le statut de consommateur devrait être plus amélioré à l’instar du droit français de la consommation de sorte à mettre en l’écart les individus qui achètent dans un domaine ayant un lien avec l’activité professionnelle de ces derniers. En effet, la législation consumériste française dispose en son article premier alinéa 1 : « on entend par : Consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». En d’autres termes, toute personne physique qui achète un bien ou service non seulement à des fins personnelles, mais également qui n’entre pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole à la qualité de consommateur. En le faisant, le législateur français incorporait dans le critère de définition du consommateur un critère phare permettant de faire la distinction entre consommateur averti et le consommateur vulnérable : il s’agit du critère du rapport direct.

Le législateur ivoirien devrait incorporer le critère du rapport direct pour une meilleure identification de la vulnérabilité, car si l’on se limite au critère défini dans la présente loi ivoirienne sur la consommation. Il est tout à fait évident que certains agents économiques se verront en situation marginalisée. Ainsi donc, ce critère attaché uniquement sur l’acte de consommation fait du régime ivoirien de protection du consommateur un régime trop général et abstrait qui ne prend pas de façon concrète et réelle le rapport entre le professionnel et le consommateur vulnérable.

Or, la majorité de la doctrine consumériste est unanime sur le fait que le postulat selon lequel le consommateur est irréfragablement puissant vis-à -vis du professionnel n’est pas toujours exact. Le rapport entre le consommateur et le professionnel n’est pas invariable car : « Le consommateur n’est pas en lui-même un être vulnérable. Il n’est vulnérable que par rapport au professionnel ; celui-ci étant une personne susceptible de porter atteinte à ses intérêts. Mais, si la vulnérabilité du consommateur dans ses rapports avec le professionnel est fréquente, probable (a), il ne faudrait pas croire qu’elle est constante, invariable ». À ce propos, un doctrinaire affirmait que : « Ce critère désormais objectif et matériel amène à refuser d’appliquer les dispositions du Code de la consommation aux contrats de fourniture de biens et de services « qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée ». Seuls les contrats dépourvus de ce rapport direct peuvent se voir étendre le droit de la consommation. En d’autres termes, soit il existe un rapport direct et dans ce cas, le professionnel est exclu de la protection légale, soit il n’y a pas de rapport direct, et alors il pourra bénéficier de la législation consumériste.

Ainsi, il aurait été plus judicieux pour le législateur ivoirien de prendre plus en compte dans le critère de définition du consommateur, le critère du rapport direct pour faire une nuance entre les différentes catégories de consommation. À titre de suggestion, l’on pourrait définir le consommateur comme celui qui achète des technologies, des biens ou services à d’utilisation personnelle dans un domaine n’ayant aucun rapport direct avec son activité professionnelle. Cependant, que dit la loi ivoirienne sur la consommation concernant la situation du consommateur revendeur occasionnel ? Et qu’en est il aussi de celle du professionnel agissant en dehors de son domaine d’activité ?

B- Une source d’exclusion de certains vulnérables.

L’alinéa 2 de la loi ivoirienne sur la consommation, en son article premier définit le professionnel en ces termes : « toute personne qui reçoit, achète ou offre d’acheter un bien, un service ou une technologie, pour sa revente, son utilisation aux fins de production, de fabrication ou de fourniture d’autres biens, services ou technologies ».

Autrement dit, le professionnel serait celui qui reçoit ou achète un bien, un service ou des technologies en vue de sa revente ou à des fins de production, de fabrication ou de fourniture de biens ou services.

Cette disposition consumériste est pour notre part très lacunaire en ce sens qu’elle met injustement hors du régime de protection, le consommateur qui après achat du bien ou service qui décide de revendre occasionnellement ledit bien ou service (1) et les professionnels qui décident d’acheter des biens ou services dans un domaine autre que celui relevant du cadre de leur activité professionnel (2).

1- Une mise en l’écart du consommateur revendeur occasionnel.

Le consommateur revendeur occasionnel est une personne vulnérable mise à l’écart de la protection consumériste et cela se justifie au travers des dispositions de l’article 1 alinéa de la loi ivoirienne sur la consommation le qualifiant de professionnel. En effet, il existe une certaine catégorie de consommateur après avoir acheté un bien ou service à la base dans une intention d’utilisation personnelle, qui aimeraient par la suite bien revendre leur bien ou service. Mais se tenant aux dispositions de la loi ivoirienne sur la consommation, ces derniers seraient des professionnels. Le législateur ivoirien en disposant ainsi semble ne faire aucune distinction entre le consommateur qui décide de revendre occasionnellement le bien ou service acheté et le professionnel, au sens pur du terme qui en fait de sa profession l’activité d’achat et de revente.

Nous pensons qu’il s’agit clairement d’une mauvaise appréhension de la notion de professionnel car le consommateur revendeur occasionnel est un vulnérable au même titre qu’au consommateur ordinaire qui décide de garder le bien ou service qu’il a acheté. De surcroît, nous pensons qu’un seul acte de revente ne suffit pas à qualifier ces derniers de professionnels. À ce sujet, un auteur ivoirien affirme clairement que : « tel que cet article 1 est rédigé, si la personne physique ou morale revend, même une seule fois, elle n’a pas la qualité de consommateur, du moins, c’est ce qui résulte de notre interprétation de cet article. Ces personnes, ne méritent-elles pas la qualité de consommateur et la protection qui va avec ? Un seul acte de revente, est-il réellement suffisant pour acquérir la qualité de professionnel et perdre la protection dévolue au consommateur ? ».

Il arrive quelques fois que ce consommateur revendeur occasionnel se retrouve face à un professionnel, il est évident qu’il existera dans ce cas déséquilibre contractuel entre ces derniers. A titre d’exemple, prenons l’hypothèse d’un particulier qui vend sa voiture à un autre particulier ou un particulier qui vend un matériel informatique à un autre particulier, le droit de la consommation ne trouverait aucun intérêt à s’appliquer au regard de l’absence de déséquilibre contractuel. Mais le problème se poserait dans l’hypothèse où le bien serait vendu à un professionnel en la matière. Une protection du consommateur vendeur à titre occasionnel s’avère alors très nécessaire.

Le législation ivoirienne consumériste aurait été plus claire s’il apportait plus de précisions quant à la notion de professionnel qui n’est pas un revendeur occasionnel, mais une personne qui fait de l’opération d’achat et de revente, son activité habituelle, professionnelle. Telle est également la conception que le droit commercial donne de la notion du commerçant, qui fait aussi partie de la catégorie des professionnels. En droit commercial, c’est l’activité commerciale professionnelle qui confère la qualité de commerçant au professionnel ; l’immatriculation au RCCM n’est qu’une conséquence de cette qualité, et ne joue qu’un rôle probatoire.

La législation française consumériste est encore plus claire sur la question lorsqu’elle dispose en son article premier alinéa 3 et 4 que le : « Professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom et pour compte d’un autre professionnel ; producteur : le fabricant d’un bien, l’importateur d’un bien dans l’Union européenne ou toute autre personne qui se présente comme producteur en apposant sur le bien son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ». Notons que cette définition du professionnel est plus complète puisqu’elle incorpore de façon expresse dans la notion de professionnel, la notion de producteur.

2- Une mise en l’écart du professionnel agissant en dehors de son domaine.

Un professionnel peut-il prétendre à la protection du droit de la consommation dans ses relations contractuelles avec d’autres professionnels ? Le droit ivoirien de la consommation ne reconnaît aucun régime de protection aux professionnels qui achètent des technologies, biens et services à des fins professionnelles même si l’achat est effectué dans un domaine ne relevant pas de leur compétence. En effet, après analyse des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1 de la loi ivoirienne relative à la consommation. Nous nous sommes aperçus que le législateur ivoirien en définissant le professionnel semble attacher la qualité de professionnel à la finalité professionnelle de l’acte. Autrement dit, si l’achat de technologies, de biens ou de services est effectué dans une intention de non-revente ou d’utilisation aux fins de production, de fabrication ou de fourniture.

Pourtant, il existe en pratique certains professionnels qui, bien qu’effectuant l’achat de technologies, de biens ou services pour l’exercice de son activité professionnelle se retrouvent complètement en état de vulnérabilité en raison de leur profanité dans le domaine dans lequel l’achat effectué. À ce propos, Pascal Chazal soutient dans sa thèse que le consommateur est par définition considéré comme un agent économiquement faible face au professionnel présumé irréfragablement de mauvaise foi. Mais la réalité est plus complexe, et la protection générale et abstraite des consommateurs entraîne des phénomènes de surprotection et de sous-protection. La sous-protection apparaît lorsqu’on prend conscience que le consommateur n’a pas l’exclusivité de la faiblesse économique, et que des professionnels se trouvent souvent dans un état de vulnérabilité comparable. Prenons l’exemple d’un agriculteur qui demande un prêt à la consommation dans une banque, un commerçant qui fait installer un système d’alarme dans son magasin, un avocat qui achète un matériel informatique pour son cabinet. L’ensemble de ces actes, nonobstant le fait qu’ils aient but professionnel, sont tous accomplis dans un domaine qui ne relève pas de la spécialité de ces professionnels.

Cependant, si l’objectif du droit ivoirien de la consommation est fondé sur la vulnérabilité de la partie contractante, pourquoi laisse-t-elle pour compte ces contractants (le professionnel) dont la vulnérabilité informationnelle est avérée ? Au regard du silence de la jurisprudence et de la doctrine consuméristes ivoirienne en la matière, il nous est apparu nécessaire de nous appesantir sur celles du droit français. La jurisprudence française apprécie la vulnérabilité du professionnel en tenant compte du critère du rapport. Autrement dit, le professionnel est susceptible d’être protégé selon que l’achat effectué à un rapport ou aucun rapport avec sa spécialité. L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 08 juillet 2003 en est une illustration parfaite lorsque les juges de la Cour de cassation soutiennent que : « le curé qui achète une photocopieuse dans le cadre de son activité pastorale doit être considéré comme consommateur ».

Quant à la doctrine française, les avis sont partagés sur la question. Pour une partie de la doctrine, il faudrait étendre les dispositions du droit de la consommation au professionnel agissant en dehors de leur spécialité et pour d’autres ce dernier ne devrait jamais bénéficier des dispositions du droit de la consommation. Pour notre part, nous pensons que le professionnel ne devrait pas bénéficier de la qualité de consommateur puisque n’effectuant pas l’achat à des fins privées. Mais le droit ivoirien de la consommation devrait prendre compte de sa situation de vulnérabilité étant donné que ce dernier agit en dehors de sa spécialité. Tel est d’ailleurs le point de vue du professeur Jean Calais-Auloy lorsqu’il soutient que se sont : « des profanes et risque donc de se trouver, vis-à-vis de leur contractant professionnel, dans une situation d’infériorité comparable à celle d’un consommateur ».

Conclusion.

Au vu de tout ce qui précède, il convient de ne retenir qu’à la question de savoir : qui devrait bénéficier du statut de consommateur personne vulnérable ? Il nous est apparu nécessaire de démontrer que le critère d’attribution du statut de consommateur est bien trop général et abstrait car attaché qu’à l’acte de consommation. Et cela s’est perçu au travers de l’article premier de la loi sur la consommation qui définit le statut de consommateur en tenant uniquement compte de la finalité de l’acte poursuivie par le consommateur.

Cet attachement du statut de consommateur à l’acte de consommation crée à titre de conséquence, beaucoup d’injustices et de distorsions dans l’objectif de protection du consommateur. Et cela est de plus justifié par le constat que certains professionnels, n’étant pas en réelle situation de vulnérabilité font injustement l’objet de protection.

Tiemoko Dosso, Chercheur en droit économique