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Le droit au silence du notaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires. Par Andréa Dumetrier, Etudiante.
Parution : mardi 19 mars 2024
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Le notaire faisant l’objet d’une poursuite disciplinaire a-t-il le droit au silence ? C’est la question qu’est venue poser la première chambre civile de la Cour de cassation le 10 octobre 2023, au Conseil constitutionnel.

Dans les faits, l’arrêt rendu le 10 octobre 2023 (Cass.1re civ.,10 octobre 2023, n° 23-40.012, publié au Bull) opposait le Procureur de la République de Fort-de-France à un notaire, dans le but de prononcer la destitution de ce dernier suite à des poursuites disciplinaires. Le notaire, en interjetant appel, pose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) reprochant aux règles disciplinaires applicables en l’espèce de ne pas prévoir la notification du droit de se taire.

En effet, il souligne le fait que les déclarations qu’il pourrait faire devant le tribunal judiciaire sont susceptibles d’être utilisées dans le cadre de cette procédure ou d’une quelconque procédure pénale à son égard. Par conséquent, il en résulterait une méconnaissance du principe constitutionnel de la présomption d’innocence et des droits de la défense.

Le 8 décembre 2023, le Conseil constitutionnel décide que le notaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.

Pour rappel, le droit de se taire découle du principe de la présomption d’innocence, que l’on retrouve consacré à l’article préliminaire du Code de procédure pénale (III, al. 1ᵉʳ), ainsi que dans de nombreux textes nationaux et internationaux de valeur supra-législative : l’article 9 de la DDHC de 1789, l’article 11 de la DUDH de 1948, l’article 6, § 2 de la Convention EDH, l’article 14, § 2 du Pacte sur les droits civils et politiques de 1966 et l’article 48, § 1ᵉʳ, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, pour en tirer le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ».

Ainsi, cette décision s’inscrit dans une cohérence et une continuité jurisprudentielle du Conseil constitutionnel, car celui-ci reconnait que le droit de se taire découle du droit de ne pas s’accuser, autrement dit de ne pas s’auto-incriminer. Il affirme donc clairement que dans le cadre d’une procédure disciplinaire, le professionnel poursuivi doit être notifié de son droit de se taire.

Il vient même placer les procédures disciplinaires au même rang que les procédures répressives, tant pénales qu’administratives, en fondant l’application du droit de se taire aux peines « ayant le caractère d’une sanction ». De plus, cette décision dépasse la seule profession de notaire, puisqu’elle a vocation à s’appliquer également à l’ensemble des officiers publics et ministériels au regard du silence de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, laquelle a abrogé l’ordonnance n° 45-1418 du 29 juin 1945. Toutefois, cette dernière continue de régir un certain nombre de situations en cours.

En effet, les dispositions de l’ordonnance du 28 juin 1945 sont déclarées conformes à la Constitution, ne constituant aucune atteinte aux droits de la défense, ni à aucun droit ou liberté constitutionnellement garantis, étant donné que la procédure disciplinaire applicable aux notaires relève du domaine réglementaire. Les mesures encadrant les procédures disciplinaires étant fixées par décret, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de leur constitutionnalité.

Pour autant, des dispositions législatives encadrent également les procédures disciplinaires. Le Conseil écarte donc en l’espèce le grief tiré des dispositions législatives encadrant la procédure disciplinaire, en ce qu’elles méconnaissent l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen puisqu’elles ne prévoient pas que le professionnel doit être informé de son droit de se taire lors de sa comparution.

Cependant, cette décision inédite suscite un certain nombre de critiques de la part de plusieurs auteurs, notamment en ce qui concerne le fait de ne pas distinguer la procédure pénale et la procédure disciplinaire.

En effet, en confondant ces deux types de procédures, il existe un risque considérable que la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2023 remette en question la spécificité des ordres professionnels et compromette l’alignement entre les activités en question et les règles déontologiques et disciplinaires qu’ils appliquent.

Andréa Dumetrier, Étudiante en troisième année de droit à l'Université Catholique de Lille