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Au secours ! Le voisin du dessus fait trop de bruit ! Par Christophe Sanson, Avocat.
Parution : lundi 18 mars 2024
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Dans quelle mesure le préjudice généré par des comportements bruyants provenant de l’appartement du dessus peut-il ouvrir droit à indemnisation pour les victimes ?
Par un jugement du 24 janvier 2024, le Tribunal judiciaire de Rouen, statuant au fond, a considéré, sur la base de preuves solides, que les nuisances sonores, causées par un locataire, étaient constitutives d’un trouble anormal de voisinage.
Jugement du Tribunal judiciaire de Rouen du 24 janvier 2024, RG n° 21/02881.

Le locataire bruyant et son bailleur, ont été tenus pour responsables de ces nuisances. Le Tribunal judiciaire de Rouen les a condamnés à indemniser les voisins du dessous du préjudice subi, ainsi que des frais liés à la procédure judiciaire qu’ils avaient été contraints de mener.

I. Affaire.

1°. Faits.

Monsieur et Madame X. étaient propriétaires et occupants d’un appartement situé juste en dessous de l’appartement occupé par un locataire, Monsieur Y., et appartenant à Monsieur Z., dans un immeuble géré en copropriété.

Un litige était né entre les parties, en 2016, à la suite d’importantes nuisances sonores générées par Monsieur Y. et ses enfants, au sein de leur appartement.

Monsieur et Madame X. faisaient état de bruits d’impact liés à des chutes d’objets, des coups ou encore des déplacements de meubles, sans précaution, sur le sol de l’appartement de Monsieur Y.

S’ajoutaient des bruits aériens liés à la manipulation d’outils (bruits de métal et d’utilisation de machines).

Ces troubles se manifestaient toute la journée, dès 05h00 du matin et jusqu’à 03h00 du matin dans certains cas.

L’ensemble de ces troubles avaient ainsi été constatés par de nombreuses attestations de témoins, ainsi que par deux procès-verbaux de constats d’huissier.

2°. Procédure.

Sur le fondement des preuves apportées au débat, et à la suite de l’échec de la tentative de règlement amiable du litige, menée par le Conciliateur de justice, les plaignants avaient alors assigné, devant le Tribunal judiciaire de Rouen, statuant au fond, le locataire bruyant ainsi que son bailleur, demandant à la juridiction de les condamner, solidairement :
- à verser la somme de 3 000 euros, à chacun des époux X., au titre de leur préjudice de santé ;
- 3 500 euros, au titre de leur préjudice moral ;
- et 22 715 euros, au titre du préjudice de jouissance.

Les époux X. demandaient aussi le remboursement des frais, dont leurs honoraires d’avocat.

3°. Décision du juge.

Faisant application de la jurisprudence relative au trouble anormal de voisinage, le juge, statuant au fond a, par décision du 24 janvier 2024, fait droit, en partie, aux demandes des époux X.

Il a ainsi condamné, le voisin bruyant et son bailleur, solidairement, à verser aux voisins :
- 5 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance ;
- 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi que le remboursement des dépens.

Il n’a toutefois accueilli ni la demande de remboursement du préjudice de santé, ni celle concernant le préjudice moral formulée par chacun des époux X.

II. Observations.

A) La condamnation d’un voisin bruyant et de son bailleur sur le seul fondement des preuves apportées par les demandeurs.

Dans l’affaire en cause, les demandeurs avaient produit pas moins de 16 pièces, au soutien de leurs demandes.

Ils se prévalaient notamment de deux procès-verbaux de constats d’huissier. Pour ce faire, ils avaient fait intervenir, à des périodes et horaires différents, cet officier public et ministériel, afin de faire constater la réalité des nuisances générées par leur voisin bruyant.

Sur le fondement des procès-verbaux établis le 27 juillet 2021 (de 14h30 à 15h40) et le 3 août 2021 (de 10h45 à 11h30), le juge du fond a estimé « que des nuisances sonores très importantes avaient été constatées, à deux reprises par l’huissier de justice, comme provenant de l’appartement situé au-dessus de celui des demandeurs ».

Les constats d’huissier produits par les demandeurs avaient la particularité d’être très précis quant aux troubles constatés. La juridiction de Rouen a d’ailleurs cité les bruits spécifiques qui avaient été identifiés « coups de marteau, […] tournevis qui roule au sol, […] perceuses… ».

Par ailleurs, les huissiers avaient procédé, à des mesurages acoustiques à l’aide d’un sonomètre, ce qui pouvait être contesté, les huissiers n’ayant pas de compétence particulière en acoustique.

Cependant, la cohérence dans l’identification de l’origine des bruits et de leur intensité, avait permis de donner à ces constats d’huissier une force probante particulièrement importante, soulignée par le juge du fond.

La juridiction a toutefois précisé que « le constat à deux reprises de bruits importants ne pouvait suffire à caractériser l’anormalité du trouble ».

Elle a poursuivi en affirmant que c’était également grâce au « grand nombre d’attestations datant de janvier 2021 à août 2022 et relatant des bruits de meubles qui bougent, des choses qui tombent, des bruits de perceuse et de marteau », que la demande avait été accueillie.

Monsieur et Madame X. avaient effectivement produit pas moins de 14 attestations de témoins, à des périodes différentes, dont le contenu permettait, à chaque fois, de confirmer l’importance des nuisances subies.

Le juge a d’ailleurs rappelé que les « rédacteurs des attestations qualifiaient les bruits d’incessants, d’insupportables ou de gênants, les empêchant de dormir et parfois de s’entendre. Ils précisaient que ces bruits étaient également présents la nuit jusqu’à 00h/1h du matin, voire jusqu’à 4/5 heures du matin ».

Cela laisse supposer que la responsabilité des défendeurs n’aurait peut-être pas été retenue si les nuisances sonores générées par Monsieur Y. avaient été plus occasionnelles, ou encore, si elles s’étaient produites à des périodes de la journée plus convenables.

Dans le cas d’espèce, le juge du fond a mis en avant non seulement le nombre de preuves apportées au débat et surtout, leur précision, pour condamner les défendeurs.

Le dernier élément notoire de cette décision est la difficulté que les défendeurs ont eue pour contester les preuves susvisées. La précision des éléments de preuve ne leur permettait pas de les remettre en cause efficacement.

Pour se défendre, Monsieur Y. avait notamment produit :
- deux mains-courantes dans lesquelles aucun tapage n’était constaté ;
- un arrêt de travail faisant état de sa hernie discale, avec impotence fonctionnelle majeure, rendant impossible tous travaux tels qu’ils avaient été décrits par les preuves des demandeurs ;
- des éléments prouvant qu’il travaillait sur les journées d’intervention des huissiers de justice, et donc, que son logement était inoccupé.

Or le Tribunal judiciaire de Rouen a écarté, sans équivoque, l’ensemble de ces preuves.

Concernant les mains-courantes, le juge du fond a considéré qu’elles « ne pouvaient suffire à réfuter l’existence des nuisances sonores ».

S’agissant de l’arrêt de travail, il a indiqué que « cela ne suffisait pas à justifier qu’il n’y aurait aucun bruit provenant de son logement », le locataire ayant une famille qui pouvait également générer des bruits excessifs.

Les justificatifs de présence au travail ont aussi été écartés par l’absence de corrélation des horaires de travail avec ceux d’intervention des huissiers. Autrement dit, il était établi que Monsieur Y. pouvait être à son domicile à ces horaires-là ou, au moins, sa famille.

B) Le trouble anormal de voisinage consacré en l’absence d’expertise judiciaire.

La théorie du trouble de voisinage s’exprime sous la forme du principe selon lequel : « nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage » [1].

La charge de la preuve du caractère anormal des nuisances sonores incombe aux victimes [2].

Cependant, il est important de noter que la victime n’a pas à prouver la faute de l’auteur du bruit, mais seulement le fait que ce bruit est anormal car dépassant, notamment par son intensité, un certain seuil de nuisances apprécié objectivement par le juge indépendamment des normes applicables.

C’est ce que rappelle ici la juridiction : « celui qui cause à autrui un trouble excédant les contraintes normales de voisinage en doit réparation sans qu’il y ait nécessité de prouver une faute à son encontre, et même en l’absence de toute infraction aux règlements ou arrêtés.
La charge de la preuve incombe à celui qui invoque le trouble. L’anormalité du trouble doit s’apprécier in concreto, en considération des circonstances de temps et de lieu
 ».

La qualification du trouble anormal de voisinage découle de la présence simultanée de quatre critères :
- l’existence d’un lien de voisinage ;
- l’anormalité d’un trouble ;
- le préjudice en découlant pour la victime ;
- un lien entre ces deux derniers éléments [3].

L’existence du lien de voisinage avait été établi sans difficulté par les époux X. Quant aux trois autres critères, ils avaient été remplis grâce à la pertinence et la précision des preuves qui avaient été apportées.

L’anormalité du trouble avait d’ailleurs été caractérisée par la corrélation entre les constats d’huissiers et les nombreuses attestations de témoins.

C’est au regard des critères de répétitivité, d’intensité et d’occurrences nocturnes, constatées par les nombreuses preuves apportées par les demandeurs, que le juge a considéré que le trouble anormal de voisinage était caractérisé.

Dans des litiges liés aux nuisances sonores, le juge du fond s’appuie, le plus souvent, sur les conclusions d’une expertise judiciaire.

L’expertise judiciaire permet d’objectiver les nuisances sonores alléguées et d’en déterminer, avec précision, l’origine, l’intensité et l’imputabilité.

Or, s’agissant de bruits de comportements comme c’était le cas en espèce, une expertise judiciaire est difficilement réalisable en pratique. Dès lors que l’apparition des bruits est incertaine, inconstante et dépend d’un comportement humain, une expertise judiciaire s’avère peu appropriée.

Le seul moyen, pour les demandeurs, de faire reconnaître l’anormalité du trouble qu’ils subissaient, était donc de fournir des éléments particulièrement probants à la juridiction.

Le Tribunal judiciaire de Rouen a, d’une certaine manière, consacré comme preuve de référence les constats d’huissier, puisqu’ils faisaient état de descriptions précises de l’origine du bruit. Les attestations de témoins avaient ensuite permis de confirmer l’anormalité du trouble.

Cette décision permet de penser que les procès-verbaux de constats d’huissier peuvent, dans le cas de troubles anormaux de voisinage générés par des bruits de comportement, constituer une alternative intéressante à l’expertise judiciaire.

Ainsi, la juridiction de Rouen a confirmé que « compte-tenu de l’intensité, de la fréquence et des horaires des nuisances, il y avait lieu de considérer qu’elles revêtaient un caractère anormal ».

Elle a ainsi indiqué que « Monsieur Y. et Monsieur Z. engageaient leur responsabilité pour trouble anormal de voisinage »

A propos du propriétaire de l’appartement occupé par Monsieur Y., sa responsabilité a été confirmée sans équivoque par la juridiction.

Le tribunal a rappelé, sur le fondement d’une jurisprudence constante, que « le bailleur, propriétaire de l’appartement à l’origine du trouble de voisinage, engage sa responsabilité envers les voisins de son locataire sur le même fondement de la théorie des troubles excédent les inconvénients normaux du voisinage ».

Le juge s’en est tenu à l’application de la jurisprudence et n’a d’ailleurs émis aucune observation supplémentaire quant à la responsabilité du propriétaire dans les nuisances générées par son locataire, révélant ainsi une évidente application de l’article 1729 du Code civil.

Cet article prévoit que

« si le preneur n’use pas de la chose louée en bon père de famille ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail ».

Monsieur Z. aurait donc dû, dès qu’il avait eu connaissance des nuisances générées par son locataire, agir pour résilier le bail qu’il avait conclu avec lui.

C’est ainsi que le propriétaire et le locataire bruyants ont été considérés comme responsables, solidairement.

Conclusion.

Cette décision met en exergue la possibilité de faire reconnaître le principe du trouble anormal de voisinage, sans qu’aucune expertise judiciaire n’ait été menée pour objectiver les nuisances sonores.

La juridiction de Rouen a considéré que, dès lors que les preuves fournies étaient particulièrement précises, cohérentes et permettaient d’apprécier, in concreto, l’existence, l’anormalité du trouble, le préjudice subi par les demandeurs et le lien de causalité, il n’était pas nécessaire de faire établir des preuves plus objectives.

Les demandeurs, en l’espèce, avaient apporté au débat, des procès-verbaux de constats d’huissiers particulièrement précis, ainsi que de nombreuses attestations de témoins.

C’est donc sur le fondement, d’une part, de la force probante de l’ensemble des éléments apportés au débat, et d’autre part, du manque de preuves pertinentes de la part des défendeurs, que la responsabilité de ces derniers a pu être retenue.

Cette décision du 24 janvier 2024 s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle dominante des tribunaux civils quant à la reconnaissance du trouble anormal de voisinage généré par le bruit, ainsi qu’à la reconnaissance de la responsabilité du propriétaire, à l’égard de son locataire bruyant.

Christophe Sanson Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

[12ème Civ., 19 novembre 1986, Bull. 1986, II, n° 172, pourvoi n° 84-16.379 ; jurisprudence constante, voir également 3ème Civ., 13 avril 2005, Bull. 2005, III, n° 89, pourvoi n° 03-20.575.

[2Cass. 2ème civ. 9 juill. 1997, M. Regnard, n° 96-10.109.

[3Cass., 1ère ch. civ., 12 nov. 1985 : JCP 1986, IV, 40.