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Peut-on organiser librement un « combat de nains » en discothèque ? Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : vendredi 15 mars 2024
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Une agence d’organisation d’événements a annoncé qu’un « combat de nains » aura lieu le 11 avril 2024 dans la discothèque « Le Nine » à Toulouse.
La ministre chargée des personnes âgées et des personnes handicapées a annoncé qu’elle « condamnait fermement » cet événement au nom du gouvernement.
Mais est-ce bien légal ? Peut-on organiser librement un combat de boxe entre deux personnes de petite taille dans une discothèque ?

La réponse est non.

Le principe de la liberté du travail et la liberté du commerce et de l’industrie permettent à une agence spécialisée d’organiser librement des événements récréatifs ou de divertissement au sein des discothèques, sans demander au préalable d’autorisation particulière aux pouvoirs publics (CE, avis, 22 novembre 2000, Société L&P Publicité, n°223645 ; CE, 3 novembre 1997, Société Million et Marais, n°169907).

Il est donc tout à fait possible d’organiser des soirées à thème au sein des discothèques, comme une soirée d’Halloween ou une soirée spéciale Saint-Valentin.

Cependant, la liberté d’organiser de tels évènements n’est pas infinie et trouve sa limite dans le respect de l’ordre public.

La sauvegarde de l’ordre public (bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques - (Article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales) peut en effet justifier la limitation proportionnée de l’exercice d’une liberté en droit français (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, n°17520).

C’est le maire, sous le contrôle du préfet, qui a le pouvoir d’apprécier si l’exercice d’une activité doit être limité dans la commune sur le fondement de ces considérations d’ordre public.

Plus d’un siècle de conciliation par le juge de l’exercice des libertés publiques avec la protection nécessaire de l’ordre public repose sur l’adage « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception » (CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855).

Par un arrêt très connu des étudiants en droit, le Conseil d’État a décidé que la dignité de la personne humaine faisait partie de l’ordre public (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727). Cet arrêt porte précisément sur l’organisation d’une attraction de « lancer de nain » dans une discothèque qui avait été interdite par les pouvoirs publics :

« Considérant que l’attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l’autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l’interdire même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ».

Le maire a donc la possibilité d’interdire un événement ou une activité sur le territoire de sa commune s’il estime qu’une atteinte est portée en la matière à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public.

C’est ce qui a permis à de nombreux maires d’interdire des spectacles de l’humoriste controversé Dieudonné ou très récemment encore, des concerts du sulfureux rappeur Freeze Corleone à Lyon et à Lille (CE, 9 janvier 2014, Ministre de l’Intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508 - Le Monde [1]).

Le maire de Toulouse a donc le pouvoir d’interdire le « combat de nains » prévu le 11 avril 2024 dans la discothèque « Le Nine » à Toulouse au titre de ses pouvoirs de police, dans la mesure où ce spectacle est contraire à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public.

Si le maire refuse d’interdire cet événement ou s’abstient de prendre la mesure, le préfet de la Haute-Garonne l’y contraindra au nom de l’Etat.

Le « combat de nains » prévu le 11 avril 2024 dans une discothèque de Toulouse n’aura donc pas lieu.

Dans un autre registre, des juristes s’interrogent actuellement sur la légalité des combats ultra-violents de MMA / UFC, où des hommes combattent dans des cages, compte tenu de ce même principe de dignité de la personne humaine.

Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic
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