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Le règlement départemental d’aide sociale, outil de pilotage des prestations sociales. Par David Taron, Avocat.
Parution : vendredi 15 mars 2024
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En matière d’action sociale, les départements disposent d’un pouvoir normatif propre qui se matérialise par le règlement départemental d’aide sociale (RDAS). Outil de pilotage des prestations servies, il permet à ces collectivités d’ajuster la règlementation au niveau national, en application d’un principe de préférence.

Les départements jouent, de par la loi, le rôle de chef de file en matière d’action sociale [1]. Ils constituent, pris dans leur ensemble, une véritable collectivité spécialisée, à tel point d’ailleurs que la clause générale de compétence dont ils bénéficiaient a été supprimée par la loi dite NOTRe [2].

En substance, les départements assurent, pour l’essentiel, d’une part, la gestion des aides sociales et, d’autre part, l’animation des politiques d’action sociale.

Au titre des aides sociales, ces collectivités prennent en charge les prestations d’aide sociale à l’enfance, les aides aux personnes âgées (aide-ménagère, allocation personnalisée d’autonomie, accueil familial, aide sociale à l’hébergement, etc.), les aides aux personnes handicapées (aides à domicile, prestations de compensation du handicap, etc.), ainsi que l’allocation de revenu de solidarité active (RSA).

Au titre de l’animation des politiques d’action sociale, les départements jouent un rôle de coordination entre les différentes personnes publiques via la mise en place d’un schéma d’organisation sociale et médico-sociale. Ils prennent également en charge l’aide aux jeunes en difficulté, la prévention de la délinquance ou l’accompagnement des personnes en difficulté.

Ces différents interventions sont effectuées dans un cadre légal et réglementaire fixé au niveau national, la France demeurant un Etat largement centralisé. Mais, et c’est l’objet de la présente étude, il existe une particularité propre aux départements, lesquels se sont vu reconnaître, par le législateur, un pouvoir normatif dérivé.

Ce pouvoir normatif est exercé par le canal du Règlement Départemental d’Aide Sociale, lequel constitue un document obligatoire aux termes de l’article L121-3 du Code de l’action sociale, texte qui dispose que :

« Dans les conditions définies par la législation et la réglementation sociales, le conseil départemental adopte un règlement départemental d’aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d’aide sociale relevant du département ».

Le législateur permet ainsi à chaque département de définir/préciser les conditions réglementaires d’octroi des aides sociales ainsi que ses conditions d’intervention voire la création des aides et actions propres qu’il développe.

Le RDAS constitue par là-même un document de référence à la fois pour les services de la collectivité départementale, pour les usagers et pour les partenaires du département (par exemple les établissements et services médicaux sociaux).

L’analyse de son contenu (I) ainsi que l’examen des possibilités qu’il offre aux départements (II) doivent permettre d’appréhender au mieux l’intérêt du RDAS.

I. Le contenu du Règlement Départemental d’Aide Sociale.

Comme il l’a été indiqué plus haut, le RDAS constitue un acte réglementaire qui définit les règles selon lesquelles sont accordées les prestations sociales dont le versement incombe aux départements. Il s’agit des prestations légales, par exemple le RSA, mais aussi des prestations que le département créé de sa propre initiative (A).

Quelques exemples concrets permettront d’illustrer le propos (B).

A. Des obligations légales assez peu contraignantes.

A tout bien considéré, force est d’observer que le Code de l’action sociale et des familles, s’il pose l’obligation d’adopter un RDAS, consacre peu de ses dispositions à la définition du contenu de ce document lorsqu’il est question des prestations créées par le législateur.

Ainsi, il apparaît que le RDAS doit, a minima, détailler les points qui suivent.

En premier lieu, l’article L314-10 du Code de l’action sociale et des familles impose que le RDAS précise si les personnes usagers sont totalement ou partiellement exonérés des frais de séjour en cas d’absence lorsqu’ils sont accueillis dans un établissement financé exclusivement par le département.

En deuxième lieu, l’article L228-2 du code précité dispose que le règlement précise que le Président du conseil départemental fixe le montant de la contribution financière qui peut être demandée à toute personne prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, ou à ses parents si celle-ci est mineure.

En troisième lieu, l’article L231-5 du même code oblige le RDAS à mentionner les conditions selon lesquelles le département peut prendre en charge des prestations d’aide sociale pour les personnes âgées, accueillies pendant une durée de cinq ans dans un établissement non habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale, et dont les ressources ne leur permettent plus de faire face seules à leurs frais de séjour.

Enfin, l’article L133-2 du Code de l’action sociale et des familles dispose que le RDAS fixe les conditions dans lesquelles sont exercés les contrôles des bénéficiaires et des institutions intéressées s’agissant du respect des règles applicables aux différentes formes d’aides sociales servies par le département.

Hormis les dispositions précitées, le Code de l’action sociale et des familles n’impose rien s’agissant des prestations légales d’aide sociale.

Cela étant, à partir du moment où un département décide de créer des aides facultatives (i.e. non prévues par le législateur) ou d’assouplir les conditions d’octroi de certaines prestations, il lui appartient de préciser les conditions et modalités de son action dans le RDAS.

Ainsi, s’agissant des conditions d’octroi du RSA, l’article L262-26 du Code de l’action sociale et des familles dispose que :

« Lorsque le conseil départemental décide, en application de l’article L121-4, de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables au revenu de solidarité active, le règlement départemental d’aide sociale mentionne ces adaptations. Les dépenses afférentes sont à la charge du département. Elles font l’objet, par les organismes mentionnés à l’article L262-16, d’un suivi comptable distinct ».

De même, s’agissant des prestations créées à l’initiative d’un département, l’article L111-4 du Code de l’action sociale et des familles [3] dispose l’obligation d’une mention dans le RDAS.

Pour résumer les choses, il peut être affirmé que le RDAS, hormis les cas où il est dérogé aux règles légales et réglementaires et où sont créées des prestations facultatives, peut être assez peu disert.

En dépit de cet état du droit, l’examen des différents RDAS amène à affirmer que les départements manifestent une tendance nette à adopter des « mini codes » de l’action sociale et des familles.

B. Dans la pratique, des règlements très développés.

A titre liminaire, il nous paraît intéressant d’illustrer nos développements par quelques constats chiffrés, tirés des exemples suivants :

A l’examen, assez rares sont ceux qui, comme le RDAS du Morbihan [7], comportent moins de soixante pages.

Une lecture attentive permet de constater que la plupart des dispositions des RDAS sont la reprise, à la virgule près, des dispositions du Code de l’action sociale et des familles, ce qui pose la question de l’utilité de règlements aussi denses.

Les considérations tenant à l’accessibilité de la règle de droit apparaissent ici au premier plan, tant les usagers que les gestionnaires de services et d’établissements étant plus enclins à consulter un document plus lisible qu’un code et facilement accessible avec n’importe quel moteur de recherche.

Mais au-delà de la reprise des dispositions du Code de l’action sociale et des familles, nombre de RDAS, peut-être même la plupart, procèdent à un aménagement des règles édictées dans ledit code.

C’est sur ce point que, pour la personne intéressée (agent du département, usagers, professionnel du secteur social ou médico-social), le RDAS revêt un intérêt tout particulier.

Pour revenir au département des Hauts-de-Seine, il peut être notamment relevé qu’à la page 140 du RDAS il est disposé que :

« En cas de non-versement de la contribution par le résident, et sous réserve que l’établissement justifie avoir procédé aux relances et démarches nécessaires auprès de celui-ci pour obtenir le versement direct des ressources, il adresse au département la facture de la totalité des frais de séjour et ticket modérateur du résident. Le Département émet un titre de recettes à l’encontre du résident pour le montant des contributions non versées ».

Par là-même, le département considéré instaure une garantie au profit des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) et ce, dès lors qu’un résident s’avère défaillant dans le reversement de ses ressources. Or, une telle garantie n’est pas prévue par le Code de l’action sociale et des familles.

Dans le même esprit, il peut être relevé que le RDAS du département de l’Essonne exclut les petits-enfants de la participation aux frais d’hébergement de leurs grands-parents afférents à un accueil en établissement d’hébergement pour personnes âgées [8], et ce par dérogation à l’obligation alimentaire.

En pratique, le RDAS peut s’avérer comporter des subtilités dont la bonne prise en compte conditionne le service des prestations sociales.

II. L’encadrement des dispositions du règlement départemental d’aide sociale.

Le RDAS ne peut pas se révéler moins avantageux que le Code de l’action sociale et des familles (A). Les dispositions qu’il comporte et qui dérogent audit code doivent être plus favorables que ce que prévoient les lois et règlements nationaux (B).

A. L’impossibilité de retrancher aux dispositions légales et réglementaires.

Il faut revenir à la lettre de l’article L121-4 du Code de l’action sociale et des familles, qui dispose que :

« Le conseil départemental peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l’article L121-1. Le département assure la charge financière de ces décisions ».

Il ressort de ce texte que : i) les départements peuvent modifier les conditions d’octroi d’une prestation ; ii) peuvent en modifier les montants. Dans tous les cas, les modifications ainsi décidées doivent permettre d’accroître les droits des allocataires. Pour dresser un parallèle avec le droit du travail, il s’agit d’une sorte de principe de faveur.

En dépit de la clarté du texte, il peut être constaté que plusieurs départements introduisent ou maintiennent des dispositions moins favorables que ce que prévoie le Code de l’action sociale et des familles. La tentation est en effet grande de réaliser des économies sur des postes budgétaires très importants.

Un tel procédé appelle inévitablement une censure quand il est porté à la connaissance des juridictions administratives.

Le Conseil d’Etat a notamment estimé illégale la délibération d’un conseil départemental modifiant le RDAS qui limitait la prise en charge, par l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), des dépenses liées à la dépendance d’une personne âgée hébergée dans le cadre de l’accueil familial « aux seuls indemnités de sujétions particulières et frais spécifiques », alors que la loi impose de prendre également en compte la rémunération des services rendus par les accueillants familiaux [9].

Dans le même esprit, la Cour administrative d’appel de Nantes a censuré la partie du RDAS du département de la Manche qui limitait le bénéfice du dispositif d’aide aux jeunes majeurs de moins de 21 ans, aux jeunes majeurs ayant été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance pendant au moins 3 ans consécutifs avant leur majorité, une telle condition n’étant nullement imposée par le Code de l’action sociale et des familles [10].

Certains départements ont entendu tirer profit du silence ou de l’imprécision du législateur pour restreindre à l’excès l’accès à certaines prestations. Un tel procédé est également condamné.

Le cas des mineurs isolés qui, une fois devenus majeurs, sollicitent une prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance du département dans le cadre du dispositif « contrat jeune majeur » est particulièrement topique.

Une affaire impliquant le département du Bas-Rhin illustre ce propos. Le RDAS de cette collectivité conditionnait l’ouverture du dispositif « contrat jeune majeur » au fait bénéfice « d’une prise en charge antérieure par le service de l’aide sociale à l’enfance au cours de sa minorité pendant un an au moins ». Cette condition de durée de prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance n’est nullement prévue par le Code de l’action sociale et des familles, lequel s’avère taiseux sur le sujet.

Le Conseil d’Etat a jugé en substance que le silence de la loi ne pouvait justifier qu’un département fixe « de condition nouvelle conduisant à écarter par principe du bénéfice des prestations des personnes qui entrent dans le champ des dispositions législatives applicables » [11].

L’accès à une prestation ne peut donc pas être privée de sa substance.

B. La possibilité de créer ou d’améliorer des droits.

Nous l’avons vu, il est loisible aux départements de créer des prestations extra-légales.

Conformément au principe de libre administration des collectivités, le conseil départemental définit librement les critères d’attribution des aides qu’il a décidé de créer. L’imagination peut, en l’occurrence, prendre le pouvoir.

Parmi ces aides facultatives, il est possible de citer le forfait améthyste réservé aux personnes âgées et/ou aux personnes en situation de handicap de bénéficier d’une prise en charge des frais de transport en commun. Attribué dans les départements franciliens, ses conditions d’octroi s’avèrent variables [12].

Outre la création de prestations, un département peut libéraliser les conditions d’attribution d’une prestation telle qu’elle a été prévue par la loi ou un décret.

Il a ainsi été jugé qu’un RDAS peut prévoir le versement complet des frais de séjour à un EHPAD alors même que le résident serait partiellement admis à l’aide sociale à l’hébergement (ASH) [13] [14], l’objectif étant ici de sécuriser le paiement des frais.

L’insertion de mesures plus favorables que les dispositions légales et réglementaires n’est pas sans conséquence d’un point de vue financier. Nous avons en effet pu observer que l’article L121-4 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que les conséquences financières de mesures préférentielles sont supportées par les seuls départements, ce qui exclut donc toute compensation de l’Etat ou de tout autre organisme compétent.

Dans une période de contraction annoncée de la dépense publique, les dérogations aux règles légales et réglementaires devraient se raréfier.

Pour conclure notre propos, on peut constater que le RDAS consacre l’existence d’un pouvoir normatif autonome au profit des départements, ce qui singularise cette collectivité.

Ce règlement apparaît comme un instrument de régulation de l’aide sociale qui, parfois, peut véritablement être créateur de droits. Il constitue aussi - et cela est très important pour les administrations et les usagers - un document consolidé doté de réelles vertus pédagogiques participant de l’accessibilité de la règle de droit.

David Taron Avocat au Barreau de Versailles

[1Art. L121-1 du Code de l’action sociale et des familles/et Article L1111-9 III du Code général des collectivités territoriales : « Le département est chargé d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives à : l’action sociale, le développement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique ».

[2Loi n°2015-991 du 7 août 2015, JO 8 août.

[3« L’admission à une prestation d’aide sociale est prononcée au vu des conditions d’attribution telles qu’elles résultent des dispositions législatives ou réglementaires et, pour les prestations légales relevant de la compétence du département ou pour les prestations que le département crée de sa propre initiative, au vu des conditions d’attribution telles qu’elles résultent des dispositions du règlement départemental d’aide sociale mentionné à l’article L121-3 ».

[4« L’admission à une prestation d’aide sociale est prononcée au vu des conditions d’attribution telles qu’elles résultent des dispositions législatives ou réglementaires et, pour les prestations légales relevant de la compétence du département ou pour les prestations que le département crée de sa propre initiative, au vu des conditions d’attribution telles qu’elles résultent des dispositions du règlement départemental d’aide sociale mentionné à l’article L121-3 ».

[5Voir : RDAS actu _passage CP 10 juillet 2014_m (seinesaintdenis.fr).

[6Accessible via : RDAS-2019_BP (departement13.fr).

[7Consultable via : RDAS 56 version SLD14.02C2 (morbihan.fr).

[8Voir la page 64 de ce RDAS, consultable via : Approbation du Règlement Départemental d’Aide Sociale essonnien (essonne.fr).

[9CE, 28 nov. 2014, n° 365733.

[10CAA Nantes, 6 octobre 2017, n°16NT00312.

[11CE, 29 mai 2019, n°417406.

[12Pour un exemple concernant le département de Seine-Saint-Denis : TA Montreuil, 17 novembre 2023, n°2114578. Le département défendeur rappelle bien le caractère extra-légal de cette aide.

[13Il s’agit, pour simplifier, de l’aide versée par les départements en vue de payer les frais de séjour des personnes ne disposant pas de revenus suffisants.

[14Cass. Civ. 2ème, 7 juillet 2022, n°21-13.527. La compétence du juge judiciaire s’explique ici par la circonstance qu’était en cause un recours en récupération sur la succession des héritiers de la résidente.

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