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Refus de travaux privatifs en copropriété : les solutions pour parvenir à leur réalisation. Par Charles Dulac, Avocat.
Parution : mercredi 13 mars 2024
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Les décisions d’assemblée générale peuvent parfois sembler radicales, surtout quand elles refusent la réalisation de travaux privatifs. Le Code de la copropriété propose toutefois plusieurs solutions.

Partons de l’évidence : la copropriété n’est rien d’autre qu’un amalgame de voisins qui, en commun, doivent prendre des décisions collectives pour la survie de leur ensemble (le Syndicat des copropriétaires).
De cette manière, la copropriété fait régner un dynamisme qui contraint le propriétaire à jongler entre ses préoccupations individuelles et celles de la communauté, pour laquelle il est amené à se prononcer.
Il existe alors un jeu de relations, parfois quasiment politiques, entre les membres de la copropriété, le conseil syndical et son Président, puis même, et surtout, avec le syndic.
En termes plus simples et surtout plus concrets : la copropriété c’est la jungle !

Les animosités et les petits règlements de comptes entre voisins sont pléthores et les assemblées générales ressemblent plus souvent à un débat entre le RN et LFI à l’Assemblée nationale qu’à une réunion paisible d’anciens copains dans un salon feutré.
Dans cette ambiance, peu propice à la pacification des peuples, refuser des travaux privatifs à son voisin "casse-pied" peut s’avérer jouissif en plus d’être parfaitement légal. L’assemblée générale devient alors une épreuve de force où la réunion des votes pour obtenir une issue favorable devient un challenge plus compliqué que d’avoir 500 signatures pour se présenter aux présidentiels.

Alors, que faire quand on se voit refuser l’exécution de travaux privatifs lors d’une assemblée générale de copropriété ?

1. Tout d’abord, quels travaux privatifs nécessitent une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires ?
Globalement, il s’agit de travaux consistants en des actes de disposition ou d’appropriation des parties communes.
Les premiers sont soumis à la majorité absolue de l’article 25 b) de la Loi du 10 juillet 1965, dès lors qu’il s’agit simplement de « travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble ». Les seconds sont évidemment d’une plus grande importance en ce qu’ils consistent en une emprise sur une partie commune ou à générer une nouvelle surface, entraînant une nouvelle répartition des tantièmes. Dans ce cas, la majorité renforcée des deux tiers, voire l’unanimité de l’article 26 de la Loi du 10 juillet 1965, est exigée.

Il est parfois difficile de distinguer les différentes catégories de travaux et d’identifier ceux soumis à autorisation, ceux relevant de l’article 25 b) ou ceux plutôt subordonnés à l’autorisation de l’article 26.
L’exemple des travaux de rénovation d’un appartement est assez parlant. Si l’on prend la réfection du plancher, la simple mise en place d’un parquet flottant ne demandera aucune autorisation, tandis que la reprise de la chape isolante demandera de consulter la copropriété préalablement.
Parfois, la différence peut être très ténue et tenir à l’évolution de l’immeuble dans le temps. Par exemple, le fait d’abattre un mur, a priori non porteur, peut finalement nécessiter une autorisation si ce dernier est devenu porteur dans le temps. De même, changer le cadre de sa fenêtre nécessite souvent une autorisation de l’assemblée générale compte tenu de l’atteinte à l’aspect extérieur de l’immeuble.

Pire encore, les actes d’aliénation relevant de l’article 26 sont souvent méconnus des propriétaires. Ainsi, celui qui fait réaliser une mezzanine chez lui doit solliciter une autorisation renforcée de l’assemblée générale dès lors qu’il crée une nouvelle surface impliquant non seulement la modification du Règlement de copropriété et de l’Etat descriptif de division mais également le rachat de droits de construire à la copropriété. Or, les travaux ont été réalisés dans son appartement et n’ont pas forcément eu besoin de s’appuyer sur les parties communes ! Mais ils ont eu, en revanche, une incidence sur la consistance même de la copropriété.

En tout état de cause, il faut noter que la distinction est parfois bien difficile et les exemples abondent les Tribunaux qui doivent souvent se prononcer sur des cas ambigus, à la frontière entre les différentes notions.
Au-delà des simples travaux esthétiques, il ne peut qu’être conseillé de consulter son syndic avant de réaliser un chantier sans autorisation. Ce dernier, ayant connaissance de la loi et du Règlement de copropriété, mais surtout par son dialogue avec le conseil syndical, pourra être plus à même de répondre et éviter une procédure judiciaire intempestive.

2. Ensuite, quels sont les risques à se passer d’une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires à réaliser des travaux privatifs ?
C’est (trop) souvent la réaction première du copropriétaire qui ne veut pas se contraindre à déposer une résolution en assemblée générale et va donc réaliser ses travaux sous le manteau. Eh bien, sachez que l’expression selon laquelle il faut vivre caché pour vivre heureux, ne s’applique définitivement pas en copropriété. C’est tout le contraire. D’abord, parce que les travaux ça fait du bruit quoiqu’on en dise et même si l’on prend des gants de velours. Ensuite, parce que le syndic est parfaitement autorisé à venir vous visiter et que si vous refusez de lui ouvrir la porte, il obtiendra sans difficulté une décision judiciaire lui autorisant à entrer avec huissier et force de l’ordre, si nécessaire, et en plus à vos frais. Aussi, une recommandation judicieuse reste toujours de vous inviter à tenir informé de vos travaux le syndic et le conseil syndical, qu’ils soient soumis à autorisation ou non.

Si, toutefois, vous passez outre l’autorisation, le risque est assez simple. Le Syndicat des copropriétaires est alors en droit d’engager une procédure en référé, c’est-à-dire d’urgence, pour obtenir votre condamnation sous astreinte financière à démonter l’installation litigieuse ou à remettre en état la partie démolie illégalement. Les condamnations sont assez aisées à obtenir pour la copropriété qui, par ailleurs, n’a quant à elle pas besoin de solliciter une habilitation à agir en justice de l’assemblée générale étant donné qu’il s’agit d’une procédure en référé [1]. Une fois la décision judiciaire rendue, vous vous exposez non seulement à reprendre vos travaux mais aussi à payer une somme importante par jour de retard. Aussi, le jeu n’en vaut pas la chandelle.

3. Aussi, comment obtenir une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires à réaliser des travaux privatifs ?
D’un point de vue théorique, il suffit de déposer une proposition de résolution lors de l’assemblée générale des copropriétaires. Néanmoins, quelques écueils doivent être considérés.

- Premièrement, sur les formalités, il convient de formuler sa demande de résolution au syndic par voie de lettre recommandée avec accusé de réception [2]. Une lettre simple ou un courriel ne seront pas retenus.

- Deuxièmement, la demande doit être communiquée dans un délai passablement lointain avant la date d’envoi des convocations à l’assemblée générale (21 jours avant la date de l’assemblée générale). L’idée est de permettre au syndic de l’intégrer à l’ordre du jour de l’assemblée générale.

- Troisièmement, la rédaction de la résolution doit être suffisamment précise et détaillée pour permettre aux copropriétaires de connaître le contenu et l’étendue des travaux mais également leur modalité et durée. Une résolution incomplète ou inexacte pourra faire l’objet de contestations et l’autorisation sera nulle. Par exemple, une résolution qui habilite des travaux de percement d’une trémie ne permettent pas de modifier le raccordement des eaux de vannes.

- Dernièrement, un dossier technique doit être adossé à la résolution. Sur ce dernier point, il ne s’agit pas à proprement parler d’une obligation mais d’un vif conseil. Effectivement, le copropriétaire qui s’appuie sur des documents techniques aura plus de chance de voir sa résolution approuvée ou d’engager légitiment des poursuites, par la suite, pour en obtenir l’approbation. En revanche, l’absence d’annexes peut facilement justifier d’une carence dans le dossier de travaux et donc d’un refus d’autorisation. Par exemple, un copropriétaire qui veut abattre une cloison porteuse avec IPN, aura tout intérêt à produire une étude d’un Bureau d’Etude Technique (B.E.T) pour justifier d’un calcul des charges. En l’absence, sa résolution sera rejetée à coup sûr.

4. Mais alors, que faire si l’assemblée générale des copropriétaires refuse quand même l’autorisation de travaux privatifs ?
Comme évoqué en introduction, cette situation n’est malheureusement pas banale. Il faut comprendre que si le refus est parfois justifié par des motifs objectifs, comme la carence du dossier de travaux, il est aussi quelquefois fondé sur des raisons bien plus subjectives, tenant plus à des inimitiés entre copropriétaires qu’à des facteurs pragmatiques. Alors que faire ? Il existe deux grandes solutions qui s’affrontent : la contestation d’assemblée générale et la demande d’autorisation judiciaire. À mon sens, il faut privilégier la seconde solution.

5. La contestation d’assemblée générale demeure pourtant le moyen qui est utilisé majoritairement.
Elle consiste à demander judiciairement l’annulation de la résolution (voire de l’assemblée générale en son intégralité) qui a refusé l’autorisation de travaux. Cette demande doit être formée devant le Tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée générale [3].
Les motifs d’annulation peuvent être fondés sur des vices de forme (défaut de convocation dans les délais, absence de signatures du procès-verbal…) mais également, et surtout, sur des prétentions de fond dont la plus connue est « l’abus de majorité ». Cette notion prétorienne, extirpée au droit des sociétés, vise à démontrer que la décision de refus des travaux a été prise dans le but de favoriser un ou des intérêts individuels et contrairement à l’intérêt collectif. Elle est particulièrement délicate à démontrer en ce qu’il ne suffit pas seulement de prouver que le refus est illégitime mais bien l’existence d’une rupture d’égalité contraire à l’objet syndical. Ainsi, l’abus de majorité a pu être caractérisé pour un refus de travaux sans motif valable et dont l’absence de réalisation mettait en péril les parties communes [4]. En outre, la finalité de la contestation judiciaire d’une assemblée générale est somme toute assez limitée. En effet, le juge saisi de cette demande ne peut in fine que prononcer l’annulation de la résolution et, en aucun cas, en modifier le contenu ou le résultat. De ce fait, le copropriétaire qui obtient la nullité de la résolution rejetée n’aura plus qu’à introduire une nouvelle demande lors de la prochaine assemblée générale, étant précisé qu’entre temps souvent une ou plusieurs assemblées générales ordinaires se sont déjà tenues, les délais de procédure devant le Tribunal judiciaire étant particulièrement longs. C’est en ce sens qu’il convient de privilégier la seconde solution.

6. Pourtant moins connue, la demande d’autorisation judiciaire de réaliser les travaux peut s’avérer efficace.
L’alinéa 4 de l’article 30 de la Loi du 10 juillet 1965 confère au Juge un pouvoir exorbitant lui permettant d’outrepasser un refus de l’assemblée générale et d’accorder la réalisation de travaux privatifs. Il est rare que le droit de la copropriété déroge au pouvoir de l’assemblée générale, ainsi, plusieurs conditions ont été posées par la législation.

- Premièrement, les travaux doivent avoir été refusés en assemblée générale.

- Deuxièmement, ils ne doivent pas déjà avoir été entrepris (l’autorisation a postériori n’existant pas).

- Troisièmement, ils doivent relever de l’autorisation à la majorité de l’article 25 b). C’est ce qu’a rappelé récemment la Cour de cassation qui validé l’appréciation des Juges du fonds qui avaient refusé l’autorisation judiciaire au motif que les travaux relevaient de la majorité de l’article 26 de la Loi du 10 juillet 1965 [5].

- Quatrièmement, il doit s’agit de travaux d’amélioration. Peu importe que cette amélioration ne présente aucun intérêt pour la collectivité, les magistrats apprécient souverainement le « changement en mieux ». Les travaux doivent procurer des éléments de conforts et d’habitabilité supplémentaires.

- Cinquièmement, les travaux doivent être conformes à la destination de l’immeuble. Par exemple, ils ne doivent pas être contraires au Règlement de copropriété ou porter atteinte à l’esthétique du bâtiment. C’est par ailleurs en ce sens que le dossier de travaux doit être complet. En reprenant l’exemple de le fait d’abattre la cloison porteuse, il est certain que cette mesure porte atteinte aux parties communes et un magistrat ne pourra prononcer une autorisation judiciaire que sur la base d’un dossier technique certain garantissant la solidité de l’ouvrage par rapport à l’immeuble.

- Enfin, sixièmement, les travaux ne doivent pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires. En effet, le fait d’abattre une cloison, par exemple, peut interdire à d’autres copropriétaires la réalisation du même projet au risque de compromettre la solidité de l’immeuble. En définitive, comme conseillé en infra, si l’autorisation judiciaire est hautement plus efficace que la demande d’annulation de l’assemblée générale, il faut, pour espérer l’obtenir, se parer d’un dossier technique complet et détaillé pour justifier de l’opportunité et de la viabilité de leur réalisation.

7. Enfin, existe-t-il une ou des exceptions qui permettent de contourner l’obligation préalable d’autorisation de l’assemblée générale pour des travaux privatifs ?
Cette dernière interrogation n’étant évidemment pas posée au hasard, la réponse est sans surprise oui ! Il existe deux types d’exception d’inexécution [moyen de défense] pour éviter de se trouver dans l’illégalité et donc de devoir démonter son installation.

- La plus évidente est celle d’obtenir une régularisation de ses travaux par une autorisation a posteriori. Cet accord peut être exprès mais également tacite (décision d’une assemblée générale de ne pas procéder à la démolition). Il peut résulter également d’un protocole d’accord plus global mais qui devra dans tous les cas être approuvé en assemblée générale à la majorité nécessaire à l’approbation des travaux.

- La seconde possibilité est pour le copropriétaire d’alléguer de la prescription de l’action en contestation de son ouvrage. Pour rappel, l’action en revendication d’un droit personnel est prescrite de cinq années [6]. En revanche, pour les actions dites réelles, en revendication d’un droit de propriété, la prescription passe à trente ans [7]. C’est au travers de cette distinction que la jurisprudence a rattaché l’action du Syndicat des copropriétaires à l’encontre d’un ouvrage litigieux soit à l’action personnelle, prescrite de cinq ans, soit à l’action réelle, pour 30 ans.
Mais qu’est-ce que cela donne sur l’analyse factuelle ? Un principe se dégage : si le fait dénoncé consiste en la seule disposition sur une partie commune, le délai sera conditionné à cinq années, en revanche, si le fait dénoncé consiste en une véritable emprise, alors la prescription sera trentenaire. Pour bon nombre de situations la distinction semble aisée. Par exemple, l’action à l’encontre de travaux non autorisés affectant simplement l’aspect extérieur de l’immeuble sera soumise au délai de cinq ans [8]. En revanche, l’action à l’encontre d’un acte d’appropriation des parties communes, comme la création d’une ouverture [9], ou encore l’annexion d’un palier commun [10], sera trentenaire.
Néanmoins, l’appréciation est parfois plus compliquée. Par exemple, pour un climatiseur simplement déposé sur une terrasse, l’action serait de nature personnelle (5ans), alors que si le climatiseur est ancré à la façade de l’immeuble, l’action serait de nature réelle (30 ans). De même que pour une construction érigée dans un jardin privatif, l’action serait de nature personnelle car n’affectant que l’aspect extérieur de l’immeuble (5 ans), alors que si la construction est édifiée dans un jardin en partie commune à jouissance privative, l’action sera réelle (30 ans). Aussi, un dernier critère semble s’appliquer : si l’ouvrage litigieux est sur une partie privative, le juge penchera plus pour un délai de cinq ans, tandis que s’il est sur une partie commune, même spéciale ou à jouissance privative, le juge tranchera pour un délai trentenaire.
En tout état de cause, il revient au propriétaire de l’ouvrage litigieux de justifier de la prescription de l’action et de réunir un faisceau de preuve lui permettant de se dédouaner d’une action en dépose de son installation.

Pour conclure et finalement revenir aux propos liminaires, la copropriété est un jeu de relations de bon voisinage. L’idée n’est pas tant de trouver des arguments pour contrer des décisions défavorables que de s’en prémunir en entretenant une bonne communication sur la nature de ses travaux privatifs réalisés et leur consistance.
La prophylaxie reste dans bien des domaines le meilleur des remèdes.

Charles Dulac Avocat au Barreau de Paris [->contact@dulac-avocat.com]

[1Article 55 – Décret du 17 mars 1967.

[2Articles 64 et suivants – Décret du 17 mars 1967.

[3Article 42 – Loi du 10 juillet 1965.

[4Cass. Civ. 3ème, 11 janvier 1984.

[5Cass. Civ. 3ème, 16 novembre 2023, n°22-18.908.

[6Article 42 - Loi du 10 juillet 1965.

[7Article 2227 - Code civil.

[8Cass., Civ.3ème, 6 mars 1991.

[9Cass., Civ.3ème, 10 septembre 2008, n°07-15.983.

[10Ca Paris, 23ème Ch. A, 25 novembre 1989.

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