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Comment contester un refus de visa pour la France ? Par Caroline Martin, Avocat.
Parution : mercredi 13 mars 2024
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Pour entrer et séjourner en France pour une durée de moins de 3 mois, un visa de court séjour (visa Schengen) est en principe requis (sauf dérogation).

Pour une durée de plus de 3 mois, un visa de long séjour (type D) peut être demandé. Il est délivré le plus souvent pour des raisons familiales, ou en qualité de visiteur, d’étudiant, de stagiaire ou encore au titre d’une activité professionnelle.
Le refus de visa peut être contesté selon les voies et délais de recours applicables depuis la réforme entrée en vigueur au 1er janvier 2023.
Les chances de succès ne sont pas négligeables. En 2020, le taux d’annulation des décisions de rejet de visa aurait atteint 41% [1].

Les motifs d’annulation des refus de visa sont nombreux et peuvent notamment concerner :

Enfin, la nouvelle loi « immigration » du 26 janvier 2024 (Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration) a créé un nouveau motif de refus de visa en cas d’obligation de quitter le territoire antérieure à la demande, qui pourra lui aussi être contesté en présence de circonstances humanitaires.

1. Contester un refus de visa : quels sont les voies et délais de recours ?

Il appartient à l’autorité consulaire de notifier au demandeur sa décision d’acceptation ou de refus de délivrance du visa demandé.

À défaut, une décision de refus implicite naît au terme d’un silence de deux mois après le dépôt d’une demande de visa (article L231-4 du Code des relations entre le public et l’administration).

Cependant, si l’autorité consulaire informe le demandeur de son intention de procéder à la vérification d’actes d’état civil, la décision implicite de rejet naît à l’issue d’un délai de quatre mois ou d’une durée maximale de huit mois en cas de prorogation de la suspension (article R811-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Depuis le 1er janvier 2023, un nouveau régime s’applique à la contestation des refus de visas (D. n° 2022-962, 29 juin 2022, art. 5 : JO, 1er juill. ; D. n° 2022-963, 29 juin 2022, art. 3 : JO, 1er juill.).

Le demandeur auquel une décision de refus a été opposée peut la contester dans un délai de 30 jours en formant un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) avant tout recours devant le juge administratif :

En cas de maintien du refus de visa par la CRRV ou le sous-directeur des visas, ce qui est le cas le plus fréquent, une requête en annulation devant le tribunal administratif de Nantes peut être déposée.

En cas d’urgence, une requête en référé est également envisageable.

2. Contester un refus de visa insuffisamment motivé.

1. Les décisions peu ou pas motivées, ou motivées de manière si stéréotypée qu’elles en sont incompréhensibles, peuvent faire l’objet d’une annulation.

Par exemple, un nombre important de décisions de refus de visa sont fondées sur les formules stéréotypées suivantes : « les informations communiquées pour justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ».

Ces décisions sont annulables par le Tribunal administratif qui considère régulièrement que :

« une telle motivation, qui ne comporte aucune circonstance de fait propre à la situation des demandeurs, ne peut être regardée comme suffisante au regard des exigences posées par les dispositions de l’article L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration ».

2. Par ailleurs, la jurisprudence récente semble indiquer que l’utilisation du formulaire de notification prévu par le « code des visas » pour notifier une décision de refus de visa est insuffisante.

En effet, selon la cour administrative d’appel de Nantes :

« la motivation du refus de visa de court séjour par l’autorité consulaire au moyen du formulaire de notification prévu par le « Code des visas », qui en l’espèce se limitait à la mention qu’il "existe des doutes quant à votre volonté de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa" cochée sur ledit formulaire, est insuffisante en droit et en conséquence, encourt l’annulation, car elle ne permet pas d’identifier le cadre juridique dans lequel la décision est intervenue » [2].

3. En cas de décision implicite de rejet de l’autorité consulaire, il convient d’adresser à l’administration une demande de communication des motifs de la décision. En effet, l’absence de réponse à cette demande caractérise un défaut de motivation susceptible d’entrainer l’annulation de la décision de rejet.

Cependant, la décision implicite de la CRRV se substitue à celle de l’autorité consulaire, et doit être regardée comme s’en étant approprié les motifs si le demandeur en a été averti au préalable par la commission [3]. Par ce mécanisme d’appropriation, la commission doit être regardée comme ayant spontanément communiqué les motifs de ses décisions implicites, rendant superflue une demande de communication de ces motifs.

3. Contester un refus de visa fondé sur une inscription afin de non-admission dans le Système d’information Schengen (SIS).

L’autorité consulaire saisie d’une demande de visa doit consulter le système d’information Schengen (SIS) pour vérifier si le demandeur du visa fait l’objet d’un tel signalement.

Le non-signalement dans le SIS est en effet une condition pour pouvoir entrer sur le territoire français (article L311-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Cependant, un tel signalement peut être contesté devant le juge administratif, qui peut statuer sur la légalité de la mesure de signalement prise par les autorités françaises. Il est également compétent pour apprécier le bien-fondé d’une telle mesure prise par un autre État Schengen.

L’administration doit rapporter la preuve de l’inscription au SIS et communiquer les motifs ayant entrainé le signalement. À défaut, la décision de refus de visa encourt l’annulation.

Le caractère injustifié de la mesure peut donc être soulevé, le plus souvent au regard de faits matériellement inexacts ou de faits nouveaux, en particulier en cas d’effacement d’une interdiction du territoire ou d’une interdiction de retour.

4. Contester un refus de visa portant sur d’autres motifs.

Plus généralement, de nombreux motifs peuvent fonder un refus de visa, et parmi les plus fréquents :

Ces décisions sont contestables le plus souvent en démontrant une erreur d’appréciation de l’administration, une erreur sur la matérialité des faits, et/ou le caractère complet et authentique des documents déposés.

Le refus de visa peut en outre porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ou porter une atteinte à tout autre droit prévu par un instrument international tel que la convention internationale des droits de l’enfant, et ainsi en entrainer l’annulation.

Par exemple, a été annulé le refus de visa à une ressortissante étrangère qui voulait séjourner en France pour s’occuper de sa petite-fille, en raison du fait que la mère de cette dernière était temporairement dans l’impossibilité de s’en occuper [4].

5. Le nouveau motif de refus de visa créé par la loi immigration du 26 janvier 2024.

Il est rappelé que l’entrée sur le territoire français était d’ores et déjà interdite aux étrangers qui font l’objet « d’une peine d’interdiction judiciaire du territoire, d’une décision d’expulsion, d’une interdiction de retour sur le territoire français, d’une interdiction de circulation sur le territoire français ou d’une interdiction administrative du territoire » (article L311-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

La loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 (art. 61) introduit un nouvel article dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’article L312-1 A :

« Sans préjudice des conditions mentionnées à l’article L311-2, les visas mentionnés aux articles L312-1 à L312-4 ne sont pas délivrés à l’étranger qui a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français depuis moins de cinq ans et n’apporte pas la preuve qu’il a quitté le territoire français dans le délai qui lui a été accordé au titre de l’article L612-1 ou, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L612-2.
Dans le cas où des circonstances humanitaires de même nature que celles prises en compte pour l’application des articles L612-6 et L612-7 sont constatées à l’issue d’un examen individuel de la situation de l’étranger, le premier alinéa du présent article n’est pas applicable
 ».

La loi institue donc un nouveau motif de refus de visa lorsque l’étranger ne démontre pas avoir respecté les modalités d’exécution d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) antérieure (prononcée depuis moins de 5 ans), dans le délai autorisé.

Cependant, il reste toujours possible d’obtenir un visa en démontrant l’existence de circonstances humanitaires de nature à en justifier le bien-fondé. Dans ce cadre, les circonstances personnelles et familiales seront par exemple prises en compte. Les contestations demeureront donc possibles.

Caroline Martin Avocat au Barreau de Paris [->cmartin@ccm-avocat.com]

[1Rapport annuel sur les orientations de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration 2020 au Parlement.

[2CAA Nantes, 5e ch., 26 janvier 2024, n°22NT02665

[3CE avis du 21 avril 2023, n°468836.

[4CE, 21 avr. 2000, n° 207266.