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Le référé-liberté, une garantie du respect de la dignité humaine en détention ? Par David Weber, Etudiant.
Parution : mercredi 13 mars 2024
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En droit des libertés, la dignité humaine constitue l’un des droits les plus fondamentaux pour les personnes, régulièrement examiné par la CEDH lors de litiges.
Ce droit, considéré comme quasi-inviolable, est souvent mis à l’épreuve par les États, notamment en ce qui concerne les conditions de détention des détenus. La jurisprudence abonde sur ce sujet, ce qui rend particulièrement intéressante l’étude de l’efficacité du référé-liberté pour garantir le respect de la dignité humaine en détention. Par conséquent, il est question de commenter l’arrêt B.M. et a. c/France rendu par la CEDH, le 6 juillet 2023.

A l’issue d’une réforme du Code de procédure pénale et du Code pénitentiaire concernant les conditions de détention ainsi que le respect de la dignité humaine, les Sages du Conseil constitutionnel ont déclaré qu’« Il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne » [1].

En effet, lorsque les portes d’une prison se referment sur un individu, la société et plus particulièrement l’État, assument une double responsabilité : celle de punir les transgressions tout en préservant la dignité humaine. Toutefois, la réalité des conditions de détention dans de nombreuses institutions pénitentiaires met en péril cette équation délicate et ce notamment en raison du phénomène de surpopulation carcérale. Effectivement, la surpopulation carcérale, les infrastructures vétustes et l’absence de soins médicaux adéquats soulèvent des questions cruciales sur la capacité de notre système pénitentiaire à respecter les droits fondamentaux des détenus. Dans cette perspective, il est impératif d’explorer les enjeux liés aux conditions de détention, et de garantir la sauvegarde et la protection de la dignité humaine, qui constitue un droit fondamental absolu et éminent, qui se doit de s’appliquer à toute personne, en tout lieu et en tout temps, même derrière les barreaux.

L’arrêt en présence rendue par la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH), le 6 juillet 2023, intitulé B.M, concerne la violation dans une maison d’arrêt de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradant et à celle du droit à un recours effectif [2].

En l’espèce, l’affaire concernait les conditions de détention à la maison d’arrêt de Fresnes, où les détenus faisaient l’objet d’un régime de fouille intégrale systématique à la sortie des parloirs. D’autant plus, que les détenus n’avaient pas connaissance d’une note de service qui aurait été adoptée en décembre 2016 en vue de mettre un terme au caractère systématique de ces fouilles. Par ailleurs, ils n’avaient pas fait usage des recours préalables internes et du référé-liberté en raison, selon eux, des longs délais et de l’inefficacité pratique des recours.

De fait, six détenues formulent une requête de saisine en qualité de requérant(s) devant la juridiction internationale de la CEDH afin de demander la cessation de la mesure attentatoire à la dignité humaine et de son régime des fouilles corporelles intégrale qui revêt un caractère systématique. La CEDH fait droit à leur requête de saisine et souligne dans la présente décision que les requérants n’avaient pas entamé de procédures devant les tribunaux internes, ni épuisé les voies de recours françaises pour contester le régime des fouilles à la maison d’arrêt de Fresnes. Les requérants ont justifié ce choix en faisant valoir que les recours internes préalables étaient inefficaces en raison des délais d’instruction excessivement longs. Ils ont également argumenté que les procédures de référé-liberté et de référé-suspension, telles qu’établies par la législation française, se révélaient peu efficaces dans la pratique, car l’administration pénitentiaire refusait de manière systématique de se conformer aux injonctions des juges ou des organes de contrôle, ainsi qu’à une stricte application de la loi.

Saisit, la CEDH est donc amenée à examiner si les conditions de détention, notamment le régime de fouilles appliqué à la maison d’arrêt de Fresnes, portaient effectivement atteinte à la dignité humaine ?

Par un arrêt du 6 juillet 2023, la CEDH condamne une nouvelle fois la France et conclut à la violation de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants et à celle du droit à un recours effectif dans les trois requêtes à raison des conditions matérielles de détention des requérants et de l’absence de recours effectif.

L’arrêt en présence, amène à se demander si le référé-liberté est un recours effectif permettant de faire cesser l’atteinte à la dignité humaine résultant des conditions de détention ?

Dans l’arrêt en présence, les juges européens rappellent le critère d’effectivité des recours afin d’examiner l’officine du juge administratif des référés, mais c’est en effectuant cette appréciation que le référé-liberté est jugé effectif pour faire cesser les fouilles intégrales constitutives d’un traitement inhumain et dégradant (I). En revanche, le référé-liberté n’est pas jugé effectif pour remédier à l’indignité des conditions matérielles structurelles de détention (II).

I/ Le référé-liberté, un recours effectif pour contester les fouilles intégrales attentatoires à la dignité humaine.

La CEDH réaffirme, au travers de l’arrêt en présence, l’effectivité prétorienne du référé-liberté pour remédier aux atteintes à la dignité humaine (A), elle va cependant reconnaître au même moment, l’existence du référé-liberté et la portée de son effectivité face aux atteintes à la dignité humaine (B).

A) La réaffirmation prétorienne de l’effectivité du référé-liberté pour remédier aux atteintes à la dignité humaine.

Dans la présente décision, la CEDH déclare ad litteram en son (§4) que « La situation générale de la maison d’arrêt telle qu’elle se présentait à la date des faits litigieux est décrite dans l’arrêt J.M.B. et autres c. France ». Cette phrase n’est pas sans importance, en effet, on en comprend implicitement que la présente décision s’inscrit dans les traces laissées par l’arrêt J.M.B, 3 ans plus tôt. L’arrêt en présence concerne la sauvegarde du droit à la dignité humaine dans les maisons d’arrêts françaises, le référé-liberté s’inscrit dans la continuité des arrêts ci-infra.

En effet, dans cette décision B.M. et autres c/ France, la CEDH confirme et entérine la solution rendue dans l’arrêt pilote J.M.B c/ France relatif aux conditions de détention dans les maisons d’arrêt et rappelle que le référé-liberté constitue une voie de recours effective pour remédier aux atteintes à l’article 3 de la CEDH [3]. De fait, on est face à une réaffirmation jurisprudentielle de la part de la CEDH vis-à-vis de l’effectivité du référé-liberté pour remédier aux atteintes à la dignité humaine.

Pour rappel, le référé-liberté, instauré par la loi du 30 juin 2000, constitue une procédure d’urgence visant à mettre fin à une mesure administrative susceptible de gravement porter atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale. Selon le professeur F.Mélin-Soucramanien, cette procédure, en tant que garante du principe de dignité de la personne humaine, est essentielle pour la préservation des droits à la vie, à l’intégrité et au traitement humain [4]. En effet, la dignité humaine est l’un des droits fondamentaux absolus, les plus importants et éminents pour l’être humain. De fait, des textes nationaux et supra-nationaux viennent protéger, enclavé et sanctifier ce droit en rappelant que la torture ainsi que les autres formes de traitements inhumains ou dégradants sont strictement interdits en toutes circonstances [5]. Bien que l’interdiction de ces actes soit clairement et expressément affirmée, leurs définitions sont en revanche moins précises et varient selon les conventions supranationaux. 

De manière générique, la torture peut être définie comme tout acte causant une douleur ou une souffrance aigüe, tant physique que psychique, infligée intentionnellement à une personne, en vue d’obtenir des aveux ou des renseignements [6]. Concernant les autres notions, les divers arrêts de la CEDH ont précisé la notion de mauvais traitement, distinguant le traitement inhumain du traitement dégradant et de la torture, selon un seuil de gravité, la finalité poursuivie et les souffrances endurées.

La CEDH surveille au respect de ces droits par les États, notamment s’agissant des obligations à l’égard des détenus qui sont certes privés de libertés, mais non du droit au respect de la dignité humaine. Selon Bernard Stirn, président de section au Conseil d’État (CE), le respect de la dignité de la personne humaine a inspiré les décisions par lesquelles le juge des référés a ordonné des mesures d’urgence, susceptibles d’être mises en œuvre à bref délai, et destinées à protéger les droits fondamentaux des détenues. En effet, la jurisprudence de la CEDH et du CE est abondante concernant le traitement des détenues, les conditions de détention et la mesure de référé-liberté [7]. La CEDH rejoint, par la même occasion, la position du Conseil d’État [8] vis-à-vis du respect des conditions de détention, de l’hygiène et de la salubrité en raison de la surpopulation carcérale, mais aussi de la taille de la cellule ou encore des fouilles corporelles.

Par ailleurs, dans un arrêt du 19 décembre 2020, la CEDH a jugé pour la 1ʳᵉ fois que le recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif à raison des conditions de détention indigne est effectif. Ces décisions sont importantes, car elles illustrent la progression de la CEDH dans la protection de la dignité humaine, mais témoignent, par la même occasion, que la protection effective de ce droit est issu d’une lente, ancienne et irrégulière Genèse. Néanmoins, il est intéressant de retenir que cet arrêt fait suite aux demandes de la CEDH et du Conseil constitutionnel envers la France, de se doter d’un recours permettant de contester les conditions de détention dans les maisons d’arrêt, le référé-liberté semble être le recours adéquat pour cela.

Pour revenir à notre arrêt, il est question de la sauvegarde du droit à la dignité humaine dans les maisons d’arrêt françaises, celui-ci vient confirmer l’importance du référé-liberté comme recours efficace pour remédier aux atteintes à l’article 3 de la CEDH. En l’espèce, les plaignants dénonçaient des fouilles intégrales systématiques dans la maison d’arrêt de Fresnes. Cependant, avant de saisir la CEDH, ils n’avaient engagé aucune procédure devant les juridictions internes, ni épuisé les voies de recours en France pour contester le régime des fouilles pratiquées à la maison d’arrêt de Fresnes. Les requérants ont justifié cette décision en arguant que les recours préalables internes étaient ineffectifs en raison des longs délais d’instruction. De plus, ils ont pareillement soutenu que les procédures de référé-liberté et de référé-suspension prévues par le droit français s’avéraient peu efficaces en pratique, car l’administration pénitentiaire refusait systématiquement de se conformer aux injonctions des juges ou des organes de contrôle, ainsi qu’à une stricte application de la loi.

Le gouvernement français a répondu en soulignant que de nombreuses demandes en référé avaient été acceptées par les juridictions administratives concernant les fouilles corporelles. Les procédures de référé-liberté et de référé-suspension avaient déjà permis de mettre fin à des atteintes résultant de fouilles systématiques. En effet, dans le passé, le référé-liberté a déjà permis d’enjoindre le directeur d’un établissement pénitencier à faire cesser immédiatement la mesure attentatoire à la dignité humaine. C’est notamment le cas des fouilles intégrales, qui ont été déclarées illégales à la suite de cet arrêt, lorsqu’elles sont systématiques ou aléatoires [9]. Ce fut également le même cas pour le recours en excès de pouvoirs, qui s’adonnait à un examen approfondi de la proportionnalité de ces dites mesures. D’autant plus, que le recours de plein contentieux pouvait pareillement être utilisé pour établir la responsabilité de l’État dans de tels cas. Ainsi, le gouvernement affirmait que des voies de recours existent en France afin de remédier aux problèmes liés aux fouilles corporelles, quand bien même si les requérants les considéraient comme inefficaces.

Par conséquent, le référé-liberté est une voie de recours dont l’effectivité a été longuement examinée par la CEDH, en particulier dans des affaires impliquant fréquemment des violations flagrantes de la dignité humaine, qui constitue un droit fondamental absolu. Il est clair que la jurisprudence de la Cour a établi la capacité du référé-liberté à garantir un recours effectif, particulièrement lorsqu’il s’agit de prévenir ou de mettre fin à des atteintes à la dignité. L’arrêt en question reflète cette reconnaissance par la cour de l’existence de ce recours et de la portée de son effectivité dans la protection de la dignité humaine.

B) La reconnaissance par la CEDH de l’existence du référé-liberté et de son effectivité face aux atteintes à la dignité humaine.

Dans cet arrêt, la CEDH a déclaré verbatim que « la cour rappelle que la procédure de référé-liberté (...) permet en cas d’urgence de remédier à bref délai, aux atteintes graves et manifestement illégales portées à une liberté fondamentale ». Ce qui signifie que la cour a reconnu l’existence du référé-liberté (§60-61) comme étant une procédure d’urgence adéquate pour mettre fin aux atteintes à la dignité humaine, protégé par l’article 3 de la CEDH. Le gouvernement soutient par la même occasion l’effectivité de cette mesure face aux atteintes à la dignité. Néanmoins, les requérants soutenaient que la mesure n’était pas suffisamment accessible en effet, ils faisaient valoir que l’absence de traçabilité des fouilles en détention rendait le recours inopérant (§64).

Cependant, la CEDH a estimé dans le même paragraphe que cette absence de traçabilité, bien que « regrettable », n’empêchait pas en pratique le recours au référé-liberté. La cour a ensuite expliqué que le juge pouvait être saisi d’une demande de suspension d’un régime de fouilles même s’il n’était pas formalisé par écrit. Dans le cadre d’une procédure contradictoire, le juge pouvait demander à l’administration pénitentiaire de fournir toute preuve de l’existence de ce régime. La CEDH a donc conclu que le référé-liberté était effectivement accessible.

Subséquemment, la CEDH a examiné si un référé-liberté engagé contre les fouilles corporelles intégrales avait des chances raisonnables de succès. Pour cela, elle a évalué le degré de contrôle exercé par le juge administratif et les pouvoirs dont il disposait pour mettre fin aux atteintes alléguées (§60-62). En effet, pour porter atteinte à un droit fondamental, il faut que la mesure attentatoire soit nécessaire, justifiée et proportionnée, or certains droits fondamentaux éminents comme le droit à la dignité humaine ne peuvent faire l’objet d’une atteinte dans leur effectivité.

En ce qui concerne le contrôle exercé par le juge administratif des référés, la CEDH a noté que ce dernier effectuait un examen de la nécessité et de la proportionnalité de l’application d’un régime de fouilles à une personne détenue, afin de déterminer si cela portait atteinte ou non à sa dignité (§62). Les mesures de sécurité devaient être examinées par le juge en fonction des principes établis dans la jurisprudence du Conseil d’État du 14 novembre 2008 [10]. Dans cet arrêt, il est dit que si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, il demeure que ce recours doit être justifié par l’existence de suspicion fondée sur le comportement du détenu et qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes.

A l’issue d’un arrêt du 30 janvier 2019 relatif au recours aux fouilles, le juge a retenu que les fouilles bien que pouvant être répétées, ne sauraient revêtir « un caractère systématique » et doivent être justifiées par l’un des motifs prévus par la loi [11].

Dans notre arrêt, la CEDH met en évidence le rôle du juge, qui doit non seulement contrôler la décision de recourir aux fouilles, mais également examiner les modalités concrètes de leur mise en œuvre. De plus, le juge doit s’assurer que l’administration a correctement veillé à deux aspects fondamentaux. D’une part, il doit vérifier que l’utilisation de fouilles corporelles est justifiée en fonction de leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées à l’objectif visé. D’autre part, le juge doit s’assurer que les conditions dans lesquelles ces fouilles sont réalisées ne portent pas atteinte à la dignité des personnes concernées.

Le contrôle exercé par le juge des référés se concentre sur le comportement et les agissements de la personne détenue, ces derniers devant faire apparaître des éléments justifiant la nécessité de recourir à un régime de fouilles. La Cour note que le Conseil d’État contrôle non seulement les mesures individuelles de fouille, mais aussi les notes de service de l’administration pénitentiaire instituant un régime de fouilles ou une pratique administrative révélant une décision informelle d’appliquer un tel régime (§41-48). La cour examine ensuite les pouvoirs du juge administratif.

A l’issue de son contrôle, le juge des référés se penche sur le comportement et les actes de la personne détenue, cherchant des éléments démontrant la nécessité d’appliquer des fouilles. Il est à noter que le Conseil d’État contrôle non seulement les fouilles individuelles, mais aussi les instructions de l’administration pénitentiaire établissant des régimes de fouilles ou des pratiques administratives révèlent une décision informelle de les appliquer (§41-48). Il est d’ailleurs pertinent de noter que l’État est tenu de garantir l’intégrité physique et morale des individus placés sous sa responsabilité. Alors qu’il n’est plus nécessaire d’atteindre un certain degré de gravité pour invoquer l’article 3 CEDH, la cour apprécie in concreto le caractère inhumain, dégradant ou de torture de l’acte, en fonction de la vulnérabilité ou de l’infériorité de la victime (âge, état de santé, souffrance..)

Subséquemment, la cour examine les compétences du juge du référé-liberté, celle-ci considère d’ailleurs qu’il est apte à intervenir promptement, étant donné les pouvoirs dont il dispose pour mettre fin aux violations répétées et illégales d’une liberté fondamentale dont il est saisi en urgence (§60-62). Ce qui peut être le cas lors d’une fouille corporel continue et attentatoire à la dignité humaine. La CEDH souligne l’aptitude du référé-liberté à suspendre l’exécution de la mesure de fouille contesté, ou encore à d’ordonner à l’administration d’ajuster ou de modifier les modalités d’application d’un régime de fouille, mais aussi à « réévaluer périodiquement la légitimité » de la fouille (§41-42-48). Dès lors, on en conclut que le référé-liberté est une voie de recours effectif face aux violations continues du droit à la dignité humaine. Enfin, la cour précise que les ordonnances du juge du référé-liberté sont exécutoires d’office (§61), renforçant ainsi le caractère effectif du recours.

Pour justifier leur abstention de recours, les requérants ont avancé que le système était inefficace, argumentant que l’administration pénitentiaire était inerte dans l’exécution des précédentes décisions rendues en référé, même en dépit des avis des organes de contrôle des conditions de détention (§53). Ils ont d’ailleurs affirmé que, dans ces circonstances, il était difficile de considérer sérieusement que les procédures en référé offraient une perspective réaliste pour mettre fin aux fouilles intégrales, ce qui explique leur décision de ne pas engager de recours interne (§53-54). Faute de procédure entreprise par les requérants au niveau national, la Cour refuse de spéculer de manière abstraite sur l’impossibilité d’obtenir l’exécution effective des mesures ordonnées par le juge des référés (§64), soulignant l’existence de procédures internes permettant l’exécution de ces décisions.

Par conséquent, les requérants disposaient de moyens légaux alternatifs, tels que le référé-réexamen ou la procédure d’exécution des décisions du juge administratif, conformément mentionné par la cour dans l’affaire J.M.B. et autres c./France. Ces éléments suggèrent que le référé-liberté est, pour la CEDH, un recours préventif effectif pour mettre fin promptement à des fouilles intégrales attentatoires au principe de dignité humaine. Néanmoins, ce même recours est considéré comme ineffectif pour rectifier à l’indignité des conditions matérielles structurelles de détention.

II/ Le référé-liberté, un recours ineffectif pour remédier à l’indignité des conditions matérielles structurelles de détention.

La CEDH fait le constat, au travers de l’arrêt en présence, que l’ineffectivité du référé-liberté est dû à une vulnérabilité et à une défaillance de ce mécanisme face à l’indignité des conditions structurelles de détention (A), néanmoins la cour va ouvrir la voie à une éventuelle réformation de cette ineffectivité du référé-liberté, vis-à-vis des défis et enjeux afférent à la dignité des conditions de détention (B).

A) Le constat de la vulnérabilité et de la défaillance d’un référé-liberté ineffectif face à l’indignité des conditions structurelles de détention.

Dans l’arrêt en présence du 6 juillet 2023, la cour dit recevable les griefs de violation des articles 3 et 13, en déclarant ad litteram que « La cour constate que les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables (...) Partant, la cour les déclare recevables » (§73). Ce qui signifie que la cour condamne la violation des articles 3 et 13 de la CEDH par la France, l’article 3 étant relatif au droit à la dignité humaine et l’article 13 concernant le droit au recours effectif.

La CEDH avait aussi condamné la France à l’issue de l’arrêt J.M.B du 30 janvier 2020 pour violation des articles 13 et 3 de la CEDH, au motif que les conditions de détention des requérants s’apparentaient à un traitement inhumain et dégradant. Dans l’arrêt de 2023, la cour constate aussi que les griefs tirés des articles 3 et 13 de la CEDH ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables, ici la CEDH ne se contente que d’émettre une réserve sans pour autant rejeter les prétentions des requérants (§73). D’autant plus, que la CEDH avait aussi souligné un problème structurel lié à la surpopulation carcérale. Un autre élément crucial mis en lumière était le manque d’une voie de recours préventive et efficace pour les requérants, c’est-à-dire un moyen de prévenir ou de faire cesser une détention indigne. Même si le droit français prévoyait la procédure du référé-liberté et la possibilité de demander une indemnisation devant le juge administratif, les juges européens ont estimé que le premier de ces recours ne permettait pas de résoudre les problèmes structurels, et le second n’intervenait qu’a posteriori d’une détention indigne. En conséquence, ces recours ont été considérés comme insuffisants. Dès lors, on remarque que quand bien même, en principe, le référé-liberté semble être un recours effectif en apparence pour la protection de la dignité humaine, la CEDH semble le rejeter implicitement dans sa mise en œuvre, ce qui le rend défaillant.

En effet, dans l’arrêt J.M.B, le recours en référé-liberté a été considéré comme ineffectif en raison des pouvoirs limités dont dispose le juge pour remédier aux conditions de détention structurellement indécentes [12]. Pour rappel, le juge administratif des référés est en mesure d’émettre des ordonnances concernant des mesures superficielles dans les prisons, telles que la propreté des cellules, l’hygiène ou des conditions de sommeil des détenus, voire l’éradication de nuisibles.

Cependant, ces mesures n’ont qu’un impact immédiat et ne permettent pas de remédier aux effets à long terme de la surpopulation carcérale ni à ses causes sous-jacentes. Par exemple, elles n’abordent pas des questions telles que la rénovation structurelle des installations, la gestion de l’exécution des peines, l’allocation de moyens pour mettre en œuvre des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération, ou encore la réorganisation du service public de la justice. Cela démontre une certaine faiblesse dans la mesure du référé-liberté, qui, malgré sa force de portée, peinent à la faire durer dans le temps.

En effet, malgré sa force de portée, cet instrument demeure imparfait, voire vulnérable, tout particulièrement en ce qu’il conditionne la constatation d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale aux moyens dont dispose l’administration et aux mesures qu’elle a déjà mises en œuvre pour pallier à ce souci de structuralité. Partant de ce postulat, le recours-référé semble en profondeur inadéquat pour protéger effectivement la plénitude du droit à la dignité humaine.

Le Conseil d’État a d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises que l’office du juge en référé ne peut pas résoudre des problèmes structurels comme celui de la surpopulation carcérale, et qu’il ne peut pas ordonner des travaux d’ampleur suffisante pour remédier aux conséquences de cette surpopulation. De plus, dans l’arrêt ici commenté, la CEDH estime tacitement que les pouvoirs du juge en référé sont limités en raison du dualisme juridictionnel, ce qui restreint sa capacité à émettre des injonctions concernant la réorganisation du service public de la justice ou l’application des mesures de politique pénale par les autorités judiciaires (§212 à 221) [13]. De plus, lorsque l’on examine attentivement l’arrêt J.M.B., on constate que la formulation utilisée pour condamner le référé-liberté est sans équivoque. En effet, cette procédure est jugée incompatible avec le caractère inviolable du droit protégé par l’article 3 de la Convention. De fait, le référé-liberté ne parvient pas à offrir une protection effective contre les traitements inhumains et dégradants, ce qui le rend défaillant.

Par ailleurs, depuis le quasi-arrêt pilote, les compétences du juge administratif en matière de référé n’ont pas connu d’évolution significative. Le juge administratif des référés a récemment invoqué la question des mesures structurelles pour justifier son incapacité à intervenir, déclarant que ce constat renvoie à une situation générale qui nécessite des mesures structurelles qui ne peuvent pas être mises en œuvre rapidement, et qui ne relèvent donc pas des mesures d’urgence que le juge des référés est habilité à prendre. Néanmoins, il est important de noter que l’appréciation du caractère structurel varie et que certains plaident en faveur de l’abandon de cette notion de « mesures structurelles » afin de permettre la prise de toutes mesures nécessaires à la préservation d’une liberté fondamentale [14]. Cette approche conférerait au référé-liberté une effectivité totale en tant que recours préventif, et permettrait une meilleure effectivité pour protéger la dignité humaine et condamner les mesures attentatoires à la dignité.

Relevant, dans l’arrêt ici commenté, que les requérants se trouvent dans une situation de faits et de droit quasi identique à celle de l’arrêt J.M.B. et autres c/France (§110-111-112), la CEDH conclut qu’il n’y a aucune raison de parvenir à une conclusion différente, en raison de l’absence de recours préventif effectif à l’époque de leur détention, constituant ainsi une violation de l’article 13 de la CEDH (§77).

Ce qui souligne encore davantage l’insuffisance du référé-liberté pour garantir pleinement le respect du droit à la dignité et assurer une protection effective de ce droit, comme le précise l’arrêt J.M.B. En effet, l’arrêt J.M.B. avait déjà mis en évidence la vulnérabilité et les limites de cette procédure en raison de ses restrictions quant à la constatation d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par conséquent, la décision actuelle réaffirme le constat que le référé-liberté n’est pas un outil efficace pour garantir le plein respect du droit à la dignité, tel que protégé par la Convention européenne des droits de l’homme. Les individus détenus dans des conditions inhumaines ou dégradantes sont confrontés à un manque de recours préventif adéquat pour faire cesser ces atteintes, ce qui met en lumière la nécessité d’examiner d’autres recours ou mécanismes juridiques plus efficaces pour répondre à ces problèmes de manière anticipée et effective.

B) Vers la réformation de l’ineffectivité du référé-liberté face aux défis et enjeux afférent à la dignité des conditions de détention.

Dans sa décision B.M de 2023, la CEDH déclare in fine que :

« Le Gouvernement souligne qu’à la suite de l’arrêt JM.B. et autres précité, le législateur français, sur l’initiative de la Cour de cassation, a adopté la loi no 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention ».

Ce qui signifie que l’arrêt B.M de 2023, initié en partie par la décision J.M.B., reflète une évolution législative et une prise de conscience des problèmes soulevés concernant le recours au référé-liberté et les conditions de détention au regard de la dignité humaine. Cependant, cette évolution pourrait ne constituer qu’une première étape, et de futures réformes pourraient être envisagées pour renforcer davantage le rôle du référé-liberté dans la protection de la dignité humaine.

C’est pourquoi, le constat de l’ineffectivité du référé-liberté face à l’indignité des conditions matérielles structurelles de détention est un sujet préoccupant. Ce constat a été mis en évidence par divers arrêts de la CEDH. Par exemple, dans l’arrêt El Shennawy c. France du 20 janvier 2011, la CEDH a déjà condamné la France pour les fouilles répétées et forcées effectuées quotidiennement, soulignant ainsi les atteintes aux droits fondamentaux des détenus [15].

Les conditions matérielles de détention ont régulièrement porté atteinte à la dignité humaine des détenus en France. L’arrêt en présence met en évidence une situation alarmante. La cour y condamne encore une fois la France pour des conditions matérielles structurelles de détention dégradantes, notamment en raison des fouilles corporelles systématiques et intrusives auxquelles sont soumis les détenus. Les requérants ont fait valoir que, outre ces conditions inhumaines, il n’existait pas de voie de recours effectif pour dénoncer ces problèmes structurels.

En droit interne, les conditions de détention sont régies par l’ordonnance du 30 mars 2022, qui codifie en grande partie les dispositions de la loi pénitentiaire de 2009 et du Code de procédure pénale, introduisant ainsi le Code pénitentiaire [16]. Néanmoins, malgré les cadres juridiques existants, la CEDH continue de recevoir des affaires liées à des traitements inhumains en détention. L’arrêt Kudla contre la Grèce a établi que la simple intention d’humilier n’est pas nécessaire pour caractériser une violation de l’article 3 de la CEDH relative à la dignité humaine. Cette violation peut découler de conditions objectives, en prenant en compte le ressenti spécifique de chaque détenu [17]. En effet, l’État français reconnaît que de mauvaises conditions de détention, en particulier en cas de surpopulation carcérale, conduisent à des violations de l’article 3 de la Convention. Cela a été confirmé dans l’arrêt K. c. Pologne de la Grande Chambre de la CEDH du 26 octobre 2000 [18].

L’arrêt J.M.B. est un tournant décisif. La cour constate une double violation : celle de l’article 3 de la Convention, interdisant les traitements inhumains et dégradants, et celle de l’article 13, consacrant le droit à un recours effectif. Cette double condamnation met en lumière l’absence de recours préventif efficace pour mettre fin aux atteintes à la dignité humaine en détention, mais aussi la faiblesse du référé-liberté dans ces circonstances. L’arrêt B.M de 2023, tout comme l’arrêt J.M.B, pointe aussi le caractère structurel du taux d’occupation des prisons concernées pouvant dépasser un taux de 200% [19] (§4). De fait, la France a été invitée à prendre des mesures générales pour éliminer le surpeuplement carcéral, améliorer les conditions de détention, et instaurer un recours préventif.

En comparaison avec nos voisins, l’Italie [20] et la Belgique [21], confrontés à des problèmes similaires, ont dû suspendre leurs plans de réduction du nombre de détenus sous la surveillance du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et mettre en place des recours préventifs efficaces. Cette situation de déflation s’appliquant aussi à la France, souligne davantage le besoin d’un recours effectif pour protéger le droit à la dignité humaine en détention.

On est donc ici face à un arrêt décisif qui presse l’État et notamment les juridictions à définir un recours effectif véritable puisque que le référé-liberté est ineffectif pour remédier à l’indignité des conditions matérielles structurelles de détention. Il souligne également l’urgence d’une refonte des conditions de détention afin de protéger le droit fondamental absolu et éminent qu’est la dignité humaine. Dès lors, le référé-liberté, en dépit de ses avantages apparents, se révèle donc d’autant plus ineffectif pour remédier à l’indignité des conditions matérielles structurelles de détention. Cette constatation nous amène à envisager des réformes, voire l’introduction de mécanismes juridiques plus efficaces pour garantir le respect de la dignité humaine dans les prisons françaises.

En effet, depuis cette période de détention, diverses instances juridiques au travers de juges de différents contentieux (judiciaire, européen, administratif..), ont influencé le législateur pour adopter la loi du 8 avril 2021 visant à garantir le droit au respect de la dignité humaine en détention [22]. Cette loi a créé l’article 803-8 du CPP, introduisant ainsi une nouvelle voie de recours devant le juge judiciaire pour contester les conditions de détention indignes. Bien que cette question relative au recours devant le juge judiciaire ne soit pas directement abordée dans la décision actuelle, elle suscite des interrogations quant à savoir si ce recours judiciaire pourrait être considéré à l’avenir comme un recours préventif effectif, capable de remédier à l’ineffectivité précédemment constatée par la CEDH concernant le référé-liberté dans de telles situations.

Par conséquent, il est important de constater que l’effectivité de ce recours est avérée en principe mais décriée dans sa mise en œuvre, laissant ainsi la porte ouverte à d’éventuelles évolutions prétoriennes relatives aux conditions de détention et au respect de la dignité humaine.

David Weber, Étudiant en Droit à l’Université Toulouse 1 Capitole

[1Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 - Communiqué de presse.

[2CEDH 6 juill. 2023, B.M. et a. c/ France, n° 84187/17.

[3CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B. c/ France ; Art. 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

[4Mélin-Soucramanien, Ferdinand, Libertés Fondamentales, Lefebvre, Dalloz, 2023, 5e éd., 256 pages.

[5Art 2. de la Convention des Nations-Unies contre la torture.

[6Art 1. de la Convention des Nations-Unies contre la torture ; ONU, 3 décembre 1984.

[7CEDH, 10 nov. 2011, Plathey c/France.

[8CE, 22 déc. 2012, Section française de l’observatoire des prisons.

[9CE, 26 sept 2012, Ministère de la Justice c.Pierre T.

[10CE, 14 nov. 2008, n°315622.

[11CE, 30 janvier 2019, n° 416999.

[12Guyomar (M.), « La justiciabilité des mesures pénitentiaires devant le juge administratif », AJDA, 2009, p. 413.

[13Bennassaya (Ph.), Abadie (C.), Rapport fait au nom de la Commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, n° 4906, 2022.

[14Cass. crim., 8 juill. 2020, n° 20-81.731 - n° 20-81.739.

[15El Shennawy c. France n° 51246/08, 20 janvier 2011.

[16Code pénitentiaire, articles L1 à L8 (extraits).

[17CEDH, Gr. Ch., 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, n° 30210/96.

[18V. supra.

[19Bennassaya (Ph.), Abadie (C.), Rapport fait au nom de la Commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, n° 4906, le 12 janvier 2022.

[20CEDH 8 janv.2013 Torregiani c/ Italie, n° 43517/09.

[21CEDH 25 nov. 2014 Vasilescu c/ Belgique, n° 64682/12.

[22Senna (É.), « Indignité des conditions de détention : le recours préventif légalisé », Gaz. Pal., 2021, n° 38, p. 11-15.

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