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L’anéantissement de la dette en matière d’exécution forcée. Par Raphaël Morenon, Avocat.
Parution : jeudi 7 mars 2024
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L’extension du périmètre de l’ordre public de la consommation par la Cour de justice de l’Union européenne a des conséquences importantes en matière de voies d’exécution.

I. Le domaine de l’intervention du juge de l’exécution.

Le domaine d’intervention du juge de l’exécution est défini à l’article L213-6 du Code de l’organisation judiciaire.

Ce texte nous enseigne, de façon tout à fait classique, que le juge de l’exécution (JEX) ne peut intervenir que dans le périmètre d’une mesure d’exécution forcée, et plus spécifiquement, qu’il peut connaître du fond du droit lorsque la physionomie de l’affaire le permet.

On pense naturellement, à ce sujet, aux procédures d’exécution forcées poursuivies sur le fondement d’un acte authentique revêtu de la formule exécutoire. Pour cette catégorie de mesures d’exécution, le débat au fond n’a jamais été purgé et le juge de l’exécution a donc la possibilité de s’interroger à propos du fond du droit, sous réserve de cantonner son analyse aux problématiques qui affectent l’exécution forcée.

Cela ouvre ipso facto le champ des possibles, car nous pouvons alors débattre devant le juge de l’exécution de l’ensemble des problématiques touchant au fond du droit, pourvu qu’elles affectent l’exécution forcée.

A contrario, lorsque le juge de l’exécution intervient dans le cadre d’une exécution forcée poursuivie sur le fondement d’une décision passée en force de chose jugée, il est soumis à l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision et doit se contenter d’intervenir dans le seul et strict périmètre de l’exécution. Cela cantonnera son intervention à des problématiques habituellement relatives aux décomptes, à la régularité de la procédure, ou encore aux procès-verbaux de signification.

Ou plutôt, il en était ainsi jusqu’à récemment : la Cour de justice de l’Union européenne vient d’autoriser le juge de l’exécution à statuer sur le fond du droit, même en présence d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée. Comment est-ce possible ?

II. L’ordre public de la consommation.

Comme on le sait, la CJUE protège fermement l’ordre public de la consommation. C’est dans ce contexte que cette juridiction a précisé, par une décision du 17 mai 2022, que lorsque le consommateur manifeste la volonté de se prévaloir de la présence d’une clause abusive, le juge de l’exécution doit y déférer même lorsqu’il intervient dans le périmètre d’une décision passée en force de chose jugée [1].

Jurisprudence rapidement reprise par la Cour de cassation [2].

La Cour de cassation ayant précisé, par ailleurs, que la clause de déchéance du terme qui imparti au débiteur un délai de paiement trop court est abusive, le juge de l’exécution se trouve aujourd’hui en position de supprimer le fondement des poursuites (la déchéance du terme), même lorsque le créancier se prévaut d’une décision passée en force de chose jugée.

De là à dire que le juge de l’exécution peut annuler la créance titrée ? [3].

Raphaël Morenon, Avocat, Barreau de Marseille Solent Avocats

[1CJUE, n° C-693/19, Arrêt de la Cour, SPV Project 1503 Srl et Dobank SpA contre YB et Banco di Desio e della Brianza SpA e.a. contre YX et ZW, 17 mai 2022.

[2Cass. Com, 8 février 2023, 21-17.763, Publié au bulletin ; Cour de cassation, Chambre civile 2, 13 avril 2023, 21-14.540, Publié au bulletin.