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Responsabilité du gynécologue-obstétricien : l’accouchement dans le contexte de pré-éclampsie. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : mardi 5 mars 2024
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La pré-éclampsie se trouve dans de nombreuses affaires de responsabilité médicale du gynécologue-obstétricien car il s’agit d’une pathologie de la grossesse relativement fréquente. Cet article présente ses points essentiels aux avocats et familles des victimes.

En cas d’accouchement compliqué, les parents de la victime demandent souvent à l’avocat en droit de la santé si le gynécologue-obstétricien (ou la sage-femme de la maternité le cas échéant) a commis des manquements ou des négligences à l’origine du handicap de leur enfant. Par exemple, la famille demande si une intervention en temps utile aurait dû avoir lieu telle qu’une césarienne ou un forceps.

La réponse à cette question dépend naturellement des conditions obstétricales et de la tolérance fœtale au travail mais aussi des circonstances qui caractérisent des situations à risque car elles peuvent influer fortement sur la conduite à tenir.

La pré-éclampsie constitue une telle situation. En outre, la pré-éclampsie est relativement fréquente ce qui explique pourquoi elle se trouve dans un grand nombre de décisions de justice tant devant le juge judiciaire que le juge administratif.

Cet article a pour objectif d’exposer aux avocats et victimes les points importants concernant cette pathologie.

I. La pré-éclampsie (appelée parfois toxémie gravidique).

La pré-éclampsie concerne 3% à 10% des grossesses donc il s’agit d’une pathologie souvent présente dans les affaires traitées par l’avocat intervenant en matière de responsabilité médicale ou droit médical.

Or, 10% à 30% des pré-éclampsie sont sévères donc avec des critères de gravité. On reviendra sur l’importance de ces critères.

La pré-éclampsie est liée à une atteinte de la couche interne des vaisseaux sanguins maternels limitant l’adaptation vasculaire du placenta au cours de la grossesse. Elle peut être à l’origine d’une anoxie fœtale et de complications maternelles notamment neurologiques, hépatiques et rénales.

On entend par pré-éclampsie l’association d’une hypertension artérielle pendant la grossesse (tension artérielle systolique supérieure ou égale à 140 mm Hg et/ou une tension diastolique supérieure ou égale à 90 mmHg) et d’une protéinurie significative (plus de 0,3 grammes pour 24 heures) à partir de 20 semaines d’aménorrhée.

Quel que soit le niveau de gravité, une hospitalisation est indiquée. L’évaluation est spécialisée et nécessite les équipes de gynécologie-obstétrique et anesthésie-réanimation.

Cependant c’est surtout la pré-éclampsie avec des signes de gravité qui peuvent conduire à des pathologies maternelles et/ou fœtales.

A. Signes de gravité chez la mère.

1) une hypertension artérielle sévère avec une tension systolique supérieure à 160 mm Hg et/ou une tension diastolique supérieure à 110 mmHg confirmée à deux reprises avec un délai d’attente
2) une atteinte des reins avec une faible production urinaire de moins de 500 ml sur 24 heures ou un taux de créatinine supérieur à 135μmol/L ou une protéinurie supérieure à 5 grammes sur 24 heures
3) un taux de plaquettes dans le sang inférieur à 100.000 par mm3
4) un syndrome dit « HELLP » qui est caractérisé en particulier par la destruction des globules rouges, des cellules du foie et des plaquettes
5) un œdème aigu des poumons
6) une douleur en forme de barre dans la région épigastrique ou un hématome sous-capsulaire du foie
7) des signes neurologiques tels que troubles visuels, réflexes vifs (plus amples que d’habitude) et polycinétiques (présence de plusieurs secousses consécutives), ou des maux de tête intenses
8) une crise d’éclampsie qui doit être suspectée devant toute crise convulsive ou trouble de la conscience survenant au cours de la grossesse. L’éclampsie survient par une crise convulsive tonico-clonique généralisée dans un contexte de pathologie hypertensive de la grossesse.

B. Signes de gravité impliquant le placenta et le fœtus.

1) un hématome rétroplacentaire : la survenue d’un hématome rétroplacentaire provoque une interruption des échanges entre la mère et le fœtus entraînant une asphyxie fœtale pouvant conduire à une infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale) ou décès. La mère peut être aussi en danger en raison d’un choc hémorragique et des troubles de la coagulation du sang. Cliniquement, l’hématome rétroplacentaire survient par des métrorragies peu abondantes, noirâtres et incoagulables avec une douleur abdominale brutale et une contracture utérine. Un état de choc peut se manifester malgré la quantité des saignements extériorisés mais la pression artérielle peut aussi être élevée en raison de la pré-éclampsie. L’hématome rétroplacentaire peut parfois être vu en échographie mais le plus souvent le diagnostic est clinique.

2) un retard de croissance intra-utérin mis en évidence par une cassure de la croissance fœtale suivie par échographie. Il peut y être associé un oligoamnios sévère avec la taille du grand citerne inférieure à 1 centimètre, un doppler ombilical pathologique avec diastole nulle ou flux rétrograde ainsi que des anomalies du rythme cardiaque fœtal comme une variabilité à court terme inférieure à 3 millisecondes ou des ralentissements.

En cas de crise d’éclampsie, il faut éliminer d’autres pathologies maternelles sévères telles que l’embolie amniotique qui est une complication rare mais grave. Elle figure parmi les trois premières causes de mortalité maternelle avec l’hémorragie du post-partum et les complications de la pré-éclampsie sévère. Le fœtus est aussi exposé à l’hypoxie et nécessite une extraction rapide. L’embolie amniotique survient dans la plupart des cas pendant le travail, après la rupture des membranes ou dans le post-partum immédiat. Elle est liée au passage d’éléments du liquide amniotique dans la circulation maternelle conduisant à des défaillances viscérales et éventuellement des troubles de la coagulation du sang. Le diagnostic doit être évoqué devant tout malaise, hypotension, convulsion, détresse respiratoire ou arrêt cardiocirculatoire. Le diagnostic est histologique avec la mise en évidence d’éléments du liquide amniotique dans le sang. Le traitement implique la réanimation de la mère et l’extraction rapide du fœtus.

II. Surveillance de la pré-éclampsie.

A. Concernant la mère.

La surveillance clinique doit être quotidienne avec une surveillance du pouls et de la tension artérielle toutes les huit heures avec éventuellement la mise sous scope pour un meilleur suivi des paramètres vitaux. Outre la recherche d’un œdème des membres inférieurs, il faut faire un bilan des entrées et des sorties dont la diurèse sur 24 heures. La recherche d’une barre épigastrique et une douleur de l’hypochondre droit sont à pratiquer avec aussi celle des signes d’irritation neurologique tels que céphalées et réflexes vifs.

La surveillance biologique est à adapter à la sévérité de la pré-éclampsie avec recherche de protéines dans les urines sur 24 heures avec aussi rapport protéinurie/créatininurie. Un bilan sanguin avec notamment numération formule sanguine, plaquettes, ionogramme sanguine, enzymes hépatiques, créatinine, urée et acide urique.

B. Concernant l’enfant.

La hauteur utérine doit être suivie outre la présence des mouvements actifs fœtaux. Il faut également suivre le rythme cardiaque fœtal et, en cas de retard de croissance fœtale, la variabilité à court terme. Il faut aussi effectuer des échographies de croissance et du liquide amniotique outre doppler ombilical et doppler cérébral. La fréquence de ces examens peut varier selon les protocoles des différentes maternités et en présence de critères de sévérité de pré-éclampsie.

III. Traitement de la pré-éclampsie.

A. Quant à la mère.

La pré-éclampsie nécessite une hospitalisation même en l’absence de critère de gravité. En cas de critères de gravité, une hospitalisation ou un transfert en réanimation ou unité de surveillance continue s’impose. Une maternité de niveau III peut être nécessaire pour bénéficier d’un plateau technique pédiatrique adapté au terme de la grossesse, au poids néonatal réel ou estimé ainsi qu’au risque d’asphyxie périnatale.

Outre la décision sur un éventuel transfert, le traitement de la pré-éclampsie concerne surtout le contrôle de la tension et si besoin l’extraction fœtale mais l’indication du déclenchement ou la césarienne dépend de l’âge gestationnel.

Un traitement par voie intraveineuse de l’hypertension artérielle est indiqué en cas de tension systolique supérieure à 160 mmHg et/ou tension diastolique supérieure à 110 mmHg.

Les traitements à utiliser en première intention sont la nicardipine ou le labétalol. En revanche, les inhibiteurs de conversion de l’angiotensine, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II et les diurétiques ne doivent pas être utilisés car ces molécules sont contre-indiquées pendant la grossesse.

La tension artérielle systolique doit être maintenue à un niveau inférieur à 160 mmHg. Cependant il faut préserver la perfusion du placenta en maintenant la tension diastolique entre 85 mmHg et 100 mmHg.

En cas de crise d’éclampsie, le traitement par sulfate de magnésium est utilisé selon protocole avec une surveillance stricte et le respect des contre-indications.

B. Quant au fœtus.

En cas de pré-éclampsie qui n’est pas sévère et si l’état maternofœtal le permet, l’attente est indiquée jusqu’à 37 SA. En revanche, après 37 SA, l’accouchement est recommandé avec un déclenchement ou une maturation selon conditions locales afin de privilégier la voie basse.

IV. Exemples de notre cabinet d’avocat.

Madame J... primigeste primipare a donné naissance à un petit garçon atteint d’une infirmité motrice cérébrale dans le contexte d’une pré-éclampsie. Les échographies trimestrielles ont montré une croissance fœtale normale. A 38 SA, la tension systolique de la parturiente était à 150 mmHg et une tension diastolique à 95 mmHg.

Après 20 minutes de repos, la tension était à 145/95. Une bandelette urinaire met en évidence deux croix de protéinurie et un échantillon montre une protéinurie à 350 mg sur 24 heures. Après hospitalisation, l’accouchement est déclenché sur des conditions locales favorables.

Cependant, lors de l’accouchement des signes de gravité sont apparus notamment une tension systolique à 170 mmHg et une tension diastolique à 100 mmHg. Il n’y avait pas de céphalées, ni de troubles visuels ou barre épigastrique et les réflexes étaient normaux. Un traitement intraveineux par labétalol a été entrepris avec baisse de la tension à 145/95.

Cependant, des anomalies du rythme cardiaque sont apparues sous forme de ralentissements profonds et répétés ainsi qu’une tachycardie et perte des accélérations.

Malgré le tracé à risque important d’acidose aucun examen de seconde ligne n’est effectué pour vérifier l’équilibre acido-basique du fœtus.

Or, la sage-femme n’a pas appelé pas le gynécologue-obstétricien de garde.

Il s’en est suivi plus tard une perte de la variabilité.

Lors de la dilatation complète, la tête fœtale est au niveau 0.

Ces anomalies du tracé continuent et un accouchement par voie basse est finalement obtenue par la sage-femme après 40 minutes d’efforts expulsifs.

Selon le rapport du Professeur G... :

« La prise en charge de la pré-éclampsie était conforme aux recommandations de la pratique clinique. En effet, conformément aux recommandations de la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) et du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), les chiffres tensionnels sont maintenus au-dessous des valeurs de 160/110 mm Hg. Le déclenchement était également indiqué ».

En revanche, le rapport retient une faute ouvrant droit à l’indemnisation du préjudice lourd de l’enfant car :

« Il y avait un manquement fautif en raison de l’indication de césarienne vu la mauvaise tolérance fœtale à l’hypoxie ».

Voici un autre exemple de notre cabinet d’avocat :

Madame B... nulligeste, nullipare, a accouché d’une petite fille atteinte d’une paralysie cérébrale. Le poids de naissance était 2350 g.

A 37 SA, la tension maternelle systolique était à 150 mmHg et diastolique à 105 mmHg. Après une période d’attente la tension systolique était à 145 mmHg et la diastolique à 102 mmHg.

Il y avait aussi une protéinurie de 0,40 g pour 24 heures et un œdème des membres inférieurs avec signe du godet (la marque laissée par un doigt qui exerce une pression sur la peau oedématiée).

Néanmoins, il n’y avait pas de céphalées ni de signes d’irritation neurologique.

L’examen clinique montrait alors une hauteur utérine de 27 cm. Dans le même sens, les échographies trimestrielles ont montré un retard de la croissance fœtale.

L’examen doppler de l’artère ombilicale est pathologique.

Malgré ces anomalies, la grossesse continue jusqu’à 40 SA.

L’enfant est né dans un état de mort apparente par voie basse malgré des ralentissements tardifs répétés.

Parmi les différentes fautes constatées dans le rapport dans cette affaire, il faut noter celle qu’en présence d’un arrêt de la courbe de croissance fœtale et d’une vasoconstriction montrée par le doppler de l’artère ombilicale, un déclenchement du travail était impératif dès 37 SA puisqu’à ce stade de la grossesse, il n’y avait plus aucun bénéfice à laisser évoluer la grossesse vu la maturité pulmonaire fœtale acquise.

En effet, selon les recommandations du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) :

« Une naissance peut être envisagée à partir de 37 SA en fonction de l’estimation pondérale, de la quantité de liquide amniotique et de la mesure des doppler. La voie d’accouchement tiendra compte des caractéristiques maternelles et obstétricales (parité, utérus cicatriciel, indice de masse corporelle, conditions locales cervicales) ».

Quant au mode d’accouchement, il n’y avait pas de raison de réaliser une césarienne programmée pour soustraire le fœtus à son environnement défavorable. Un déclenchement du travail par un ballonnet intra-cervical ou par les prostaglandines pouvait être envisagé, car à 37 SA les contractions utérines auraient été mieux tolérées du fait de meilleures réserves en oxygène dans l’unité fœto-placentaire.

V. Conclusion.

L’avocat intervenant dans les affaires de responsabilité médicale pour le cas de l’accouchement retiendra surtout la définition de la pré-éclampsie, les critères de gravité qui traduisent une pré-éclampsie sévère, les indications du traitement intra-veineux de l’hypertension et la conduite obstétricale à tenir en fonction de la gravité de la pré-éclampsie et de l’âge gestationnel.

Pour aller plus loin, l’avocat et la famille de la victime peuvent se reporter aux recommandations françaises pour la pratique clinique en cas de pré-éclampsie [1].

Dimitri Philopoulos Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1Recommandations formalisées d’experts. Prise en charge de la patiente avec une pré-éclampsie sévère - recommandations communes de la Société française d’anesthésie-réanimation (SFAR) et du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CGNOF). Gynecol Obstet Fertil Senol. 2022 ;50(1):2-25.